Depuis une dizaine d’années, la gamification s’est présentée comme une tendance forte prête à conquérir le monde de l’entreprise. En 2011, une étude de Gartner annonçait qu’en 2015, 70% des 2000 plus grandes entreprises auraient au moins une application gamifiée. Qu’en est-il ?


En termes purement de jeu, celui-ci s’est largement démocratisé depuis l’essor de Facebook et des smartphones qui ont permis à un nouveau profil de joueur plus “casual” d’émerger. Le marché traditionnel “hardcore gamer” étant aussi en croissance, les revenus des grands blockbusters du jeux ont dépassé ceux d’Hollywood. Les petits studios de jeux (Mojang, King) aux succès fulgurant se revendent maintenant des milliards. Si le jeu est maintenant dans tous les foyers, est-il rentré dans les entreprises grâce à la gamification ?

Candy-crush-1

Beaucoup définissent la gamification comme l’utilisation du jeu pour résoudre une problématique non ludique. Pourtant les exemples de succès de dispositifs se limitant à cette définition sont assez peu nombreux.

Les Advergames (jeux vidéo publicitaires) peinent a avoir de l’attrait à l’heure où de nombreux jeux de qualité sont disponibles gratuitement tout en bénéficiant d’un appui marketing important.

Les Serious Games sont souvent de simples adaptations d’eLearning avec un décor plus ludique, ils présentent donc une courbe d'intérêt de l’utilisateur qui s’écroule assez rapidement une fois la surprise de la découverte du support passée. Ils sont autrement employés comme des social games mais dans un contenu qui n’est pas fun et donc perdent nécessairement de leur aspect ludique.

Les badges, scores et classements beaucoup mis en avant sont très souvent utilisés à mauvais escient car rarement adaptés au contenu, au profil et au comportement de la cible. Il n’y a pas de solution duplicable à toutes les problématiques.

Cependant la gamification fonctionne lorsqu’elle est mise en place de manière intelligente et réfléchie et non de manière systématique. On peut citer le cas de FantasySalesTeam racheté en août dernier par Microsoft proposant un système gamifié reprenant le principe du management d’une équipe sportive pour challenger et booster les équipes commerciales.

Fantasy-sales-team-2https://www.fantasysalesteam.com/

Dans FantasySalesTeam les managers composent des équipes de commerciaux qui vont s’affronter le long d’une “saison” sur différents metrics qui ne sont pas des buts ou des paniers marqués mais des metrics propres à l’entreprise (nombres d’opportunités, revenu rapporté, pourcentage de quotas atteint...), le tout retranscrit dans une plateforme gamifiée inspirée des jeux de gestion d’équipes sportives (Football Manager, NFL Manager). FantasySalesTeam à travers son principe et sa forme génère une émulation et un engagement élevé au sein des “équipes” qui s’affrontent.

Quelle est la clef de cette gamification qui réussit ?

La solution tient en un mot, engagement. La gamification a avant tout un objectif d’engagement de l’utilisateur ou d’une audience, le tout bien évidemment grâce à des mécanisme tirés de l’univers du jeu. Et ces mécaniques sont fréquemment inspirées des jeux Free2Play (jeu gratuit) mobile ou social car c’est eux qui ont travaillé le plus l’engagement de l’utilisateur pour faire de l’acquisition, les retenir dans leur jeu et surtout pour les engager assez afin de réussir à les convertir en joueur payant. Plusieurs applications reprennent à leur avantage ces principes:  

Yesware affiche une citation courte d’une personnalité à chaque ouverture de son onglet permettant d’augmenter le temps passé sur l’application. La citation étant en plus de nature positive, elle renforce le bien-être de l’utilisateur. Elle engage l’utilisateur par le plaisir de la surprise et par le temps supplémentaire passé sur la plateforme. Cette idée de surprise à chaque ouverture est similaire au Doodle de Google qui permet chaque jour de découvrir une animation en lien avec la journée. On retrouve ici le double bénéfice des jeux offrant souvent en fin de niveau la possibilité de tourner une roue de la fortune pour gagner les gains de fin de niveau qui augmente en plus le temps de jeu du joueur.

Lucky-cart-3http://www.luckycart.com/fr/

Cette roue de la fortune est reprise directement par Lucky Cart qui offre une chance aux clients de sites d’e-commerce de rembourser leur achat via une loterie une fois l’acte d’achat d’un montant minimum réalisé, engageant l’utilisateur à justement avoir un panier moyen plus important.

Chains-cc-4https://chains.cc/

Chains.cc est une application qui permet à l’utilisateur de rentrer ses objectifs personnels et l’application les décompose en un ensemble de sous objectifs de courts termes (technique de leveling). Et tout comme les jeux, la difficulté de chaque objectif augmente au fur et à mesure des niveaux, mais l’utilisateur arrive facilement à gagner les premiers niveaux. Il a l’impression d’avoir parcouru un grand chemin facilement, il est alors accroché à ne pas abandonner et engagé à atteindre des objectifs plus grands.

D’autres applications vont beaucoup plus loin en reprenant l’intégralité des codes des jeux comme Tinder qui reprend les codes des stress game et aussi Waze, application de conduite GPS qui transforme tous les voyages en un jeu Pac Man social. L’application détourne donc la perception de l’utilisateur d’un acte qui serait en temps normal monotone en le présentant sous une forme différente, celle d’un mini-jeu. Elle l’engage à participer en mettant en avant les interactions sociales, mais aussi simplement à l’utiliser en gagnant des points et des statistiques qui fait de chaque voyage une expérience ludique.

Waze-5https://www.waze.com/fr/

Une gamification qui réussit est donc une gamification qui s’inspire des mécanismes qui fonctionnent dans le jeu en les adaptant spécifiquement à une cible en question et non en les combinant aléatoirement ou de manière systématique. Contrairement au jeu, la gamification prend place dans le monde réel, elle n’a pas pour objectif l’amusement mais la résolution de problématiques concrètes. Le coté fun et addictif est donc un outil est non une finalité dans la gamification et peut se présenter sous de nombreuses formes comme le simple détournement de l’utilisation d’un service ou l’addition d’une petite mécanique de gratification qui vont changer la perspective de l’utilisateur pour le meilleur.

Article écrit par Vincent Guilloux, CEO de Brand2Play, agence de conseil stratégique en gamification.

Crédit photo : Shutterstock