Au Burkina Faso, une Française, Lisa Barutel, a créé l'un des premiers incubateurs du pays à destination des jeunes pousses burkinabè.


C’est une petite maison aux murs couleur ocre, au bout d’un chemin de terre rouge, un « six-mètres » comme on les appelle ici. Nous sommes dans le quartier résidentiel de Dassasgho, à Ouagadougou, la capitale du pays. Tas de sable, outils, morceaux de murs, la cour est en travaux. Des bicyclettes et des motos y sont garées. Bienvenue à La Fabrique, le premier incubateur dédié aux entreprises sociales du Burkina Faso.

On y pénètre par la salle de coworking, où plusieurs tables en bois et des ventilateurs sont installés à l’abri du soleil de plomb de l’extérieur. « C’est encore un peu vide car nous venons tout juste de déménager ici. Nous commencions à être trop à l’étroit dans notre ancien lieu », explique Lisa Barutel, fondatrice de La Fabrique, en accueillant. La maison offre désormais tout l’espace nécessaire : on y trouve, en plus de la salle de coworking, une cuisine, une salle pour la pause café avec des canapés moelleux, un bureau fermé, une salle de bain, une salle de réunion, ainsi qu’une agréable terrasse ombragée.

Lisa Barutel

Lisa Barutel, 28 ans, a lancé La Fabrique fin 2014.

La Fabrique, un lieu de co-création et d'accompagnement

« Plus qu’un incubateur, la Fabrique est un lieu de co-création : ici nous accompagnons les startups du début à la fin. Nous allons avec les créateurs pour négocier les contrats, voir les partenaires, en plus d’un accompagnement classique », explique la jeune femme de 28 ans, qui a créé cet incubateur fin 2014. En plus de la source de revenus que représentent les loyers, La Fabrique prend 5 à 10 % de commission sur les levées de fonds des startups qu’elle abrite, et peut également en prendre des parts. « C’est un modèle très entrepreneurial : si ça marche c’est pour tout le monde, si c’est un échec, ça l’est pour tous ». Enfin, Lisa Barutel propose des missions de conseil à des structures externes.

Au Burkina Faso, créer sa propre petite entreprise - comme le fond la plupart des gens pour travailler - est administrativement très facile : en 72 heures c'est bouclé. « Ce qui est compliqué, c’est de mettre en place les conditions pour une entreprise ambitieuse et innovante comme celles que nous abritons. Il n’y a pas d’écosystème favorable aux startups et les financements pour ce type de projets sont quasi-inexistants », regrette Lisa Barutel.

Et la jeune femme sait de quoi elle parle. Originaire de Toulouse, diplômée de l’ESSEC en 2013, cette dernière, déjà passionnée d’entrepreneuriat social et solidaire a notamment piloté le GSVC (Global Social Venture Competition, une compétition internationale d'entrepreneuriat social) pour la zone francophone au sein de l’Institut de l’Innovation et de l’Entrepreneuriat Social de l’école de commerce francilienne.

FasoPro

FasoPro propose des produits à base de chenilles de karité : plats préparés, chenilles conditionnées, gâteaux, poudre.

C’est à cette occasion qu’elle découvre la startup FasoPro créée par Kahitouo Hien, ingénieur issu de l'Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE). Coup de coeur : Lisa Barutel décide de s’installer au Pays des Hommes Intègres pour aider bénévolement la jeune pousse. Elle décroche un poste à 2iE, où étudie encore Kahitouo Hien, où elle est chargée d’accompagner les projets hébergés par l’incubateur de l’école. Fin 2014, elle quitte son poste et lance sa propre structure. « J’avais envie de créer moi-même quelque chose dans l’entrepreneuriat social», remarque celle qui dit avoir toujours eu la fibre du business responsable.

Une communauté d'entrepreneurs qui regroupe 10 startups

Kahitouo-Hien

Kahitouo Hien, jeune ingénieur de la réputée école 2iE de Ouagadougou, a crée FasoPro, qui distribue des produits à base de chenilles de karité. FasoPro a dégagé 7 millions de francs CFA pour son premier chiffre d’affaires.

Si en France l’écosystème permet aux jeunes porteurs de projets innovants de s’entourer facilement, au Burkina Faso, l’entrepreneur a souvent besoin d’un vrai bras droit disposant de compétences spécifiques et d’un réseau. « Ici les jeunes entrepreneurs innovants sont très isolés, et encore plus lorsque leur projet est social. Lisa aide à trouver les compétitions auxquelles nous pouvons participer, qui sont une source de financement importante, ou d’autres manières de mobiliser des fonds », explique Kahitouo Hien. Officiellement lancée en septembre 2014 (l’aventure a débuté sous forme de projet étudiant), son entreprise valorise la chenille de karité, très courante à l’ouest du Burkina Faso et dotée de hautes qualités nutritionnelles, pour produire des aliments de prévention de la malnutrition.

De son côté, la startup Faso Soap, prix du concours GSVC en 2013, ne parvient toujours pas à réunir 30 000 euros pour finaliser sa phase de test des prototypes de ses savons anti-moustiques à base de plantes. « Au Burkina Faso, il est extrêmement difficile de trouver des investisseurs pour financer la R&D », confirme son créateur, Gérard Niyondiko, autre ingénieur 2iE. Dernièrement, Faso Soap a pu recevoir 5 000 dollars de la Fondation africaine Tony Elumelu grâce à l’accompagnement de Lisa Barutel. « Lisa fait de la veille, elle voit tout passer », se réjouit le jeune homme.

FasoSoap

Gérard Niyondiko, ingénieur 2iE, a crée Faso Soap en 2013 alors qu’il était encore étudiant, avant de se lancer totalement dans l’aventure avec Moctar Dembélé à la fin de leurs études en 2014.

Face à la solitude à laquelle sont confrontés les jeunes entrepreneurs sociaux burkinabè, la communauté regroupée au sein de La Fabrique est également précieuse. « Ici nous échangeons aussi avec les différents entrepreneurs présents. C’est très important. Même si tu n’est pas impliqué dans le projet de l’autre, tu le suis par la force des choses. Par exemple, l’expérience de FasoPro, qui vient de commercialiser ses produits, nous intéresse énormément, nous qui en sommes encore à l’étape de test des prototypes. Nous sommes vraiment comme une famille », détaille Gérard Niyondiko.

Aujourd’hui, La Fabrique incube une petite dizaine de startups burkinabè, sénégalaise, béninoise, ou tchadienne. Certaines comme FasoPro ou Faso Soap, travaillent à La Fabrique au quotidien. D’autres comme Labane Na (commercialisation de lait de chamelle pour lutter contre le diabète), BioPhytoCollines (commercialisation de bio pesticides et d'engrais biologiques à base de l’arbre neem) ou encore Maison de l’Artemisia (commercialisation de produits faits à base de feuille d'artemisia, pour prévenir et guérir le paludisme), sont accompagnées à distance par Lisa Barutel. Après avoir déménagé pour agrandir l’incubateur, la jeune femme vient de recruter une autre Française, Laure Prin pour l’épauler sur l’accompagnement des startups agroalimentaires, très présentes.

Article écrit par Léonor Lumineau

Crédit photo : Léonor Lumineau