Anthropologue spécialisée dans l'Innovation par les Usages, Christine Stutzmann compte également 15 ans d'expérience en entreprise. Au cours des années, son appétence pour le business la rapproche de sa formation d'origine : un doctorat anthropologie des entreprises et IEP Paris. Entretien avec celle qui a notamment accompagné les startups Transmitio, Velogo, HelloMaVille, HubeeFood et ReUse Docs.


Comment l'anthropologie peut activer certains leviers en termes d'innovation ?

D'abord POURQUOI est-il fondamental d'activer certains leviers en termes d'innovation et de creuser en profondeur les usages et les comportements des utilisateurs ? Deux constats :

  • La première cause d'échec des entreprises repose à 45 % sur l'inadéquation entre les produits proposés et les attentes des clients (source : IBM)
  • 80% des produits développés ne rencontrent pas leur marché car les fonctions ne répondent pas à une pratique réelle et n’ont pas de sens pour les consommateurs.

Ensuite COMMENT activer ces leviers ? De Henry Ford à Steve Jobs...tout le monde le dit ! On ne peut se limiter à demander à un client ce qu’il pense ou veut, via une étude de marché classique. Il existe un écart trop important entre ce que les personnes disent et ce qu’elles font, c’est à dire entre leurs intentions et leurs actions.

Au delà du discours, il faut agripper les réel des utilisateurs et décortiquer les faits. De la subjectivité à l'objectivité, il faut placer les faits au centre.

Une vraie immersion anthropologique amène une connaissance augmentée des besoins clients et des possibles points bloquants ou les leviers quelle que soit leur nature, pour apporter une réponse pertinente en terme de conception de services, d’espace. Pour une innovation réussie, il est important d’identifier clairement les habitudes actuelles pour repérer les besoins explicites mais surtout accéder à ceux implicites et inconscients, non formulés. Comprendre en profondeur les usages d'aujourd'hui pour penser ceux de demain

Une application réussie n’est pas une prouesse technique mais une application qui a du sens pour le client dans sa vie quotidienne. L’anthropologie vient fournir ces données.

Plus de 75% des énergies, du temps et du budget sont consacrés au développement. Les dirigeants ont une représentation de leur cible qui est souvent décalée avec les vrais besoins et usages. Pour fiabiliser le processus d'innovation et réussir sa mise sur le marché, il est fondamental de se questionner sur l'acceptabilité, les conditions d'adoption de cette nouveauté dans le quotidien des gens/users..

Quelles sont les méthodes que vous employez ?

L'anthropologie est une science, une science de terrain. Angle 9 se présente comme une agence de terrain ; je passe plus 60% de mon temps chez les clients de mes clients pour observer, vivre avec eux leur quotidien.

L'immersion anthropologique in situ (c'est-à-dire chez les gens) permet de comprendre ce qui prime dans le quotidien au delà du discours et de l'opinion. Nous explorons alors les modalités de l’interaction des utilisateurs avec leurs équipements etc. L'immersion anthropologique permet d’aller au plus près de la réalité, d’observer et de comprendre les usages, les pratiques, les comportements. Notre méthode est inductive. Cela veut dire qu’au-delà des questionnements propres au sujet d’étude, nous ne formulons pas d’hypothèse avant d’avoir passé suffisamment de temps sur le terrain, au plus près des situations étudiés.

C'est à ce moment là que les bonnes questions émergent, et dans le cadre de Transmitio, nous avons identifié un frein majeur : pour la cible pré-identifiée, l'usage n'existait pas. Ces personnes n'avaient pas mis en place de gestion du patrimoine numérique. Aucune anticipation de sa disparition avait été évoquée.

Les fondateurs ont alors réalisé qu'ils poussaient une innovation d'usage, ce qui confirmait l'hypothèse de la mise en place de partenariats de distribution.

A relire : #Securité : Transmitio anticipe la paralysie d’entreprise suite au décès des dirigeants

Crédit Photo : Shutterstock