Créé il y a 7 ans, Uber est devenu rapidement un modèle pour de nombreuses startups et on ne compte plus les “Uber-like”. En dépoussiérant le secteur du taxi, et en profitant des nombreuses grèves qui ont offert une publicité gratuite au service de VTC, Uber est devenu un acteur majeur du monde technologique, valorisé aujourd’hui près de 70 milliards de dollars. Rien ne semble pouvoir arrêter la firme californienne. Et pourtant, derrière la vitrine médiatique, le colosse pourrait se révéler plus fragile qu’il n’y parait. Et si, comme le prédisent certains économistes, l’aventure Uber se terminait par une faillite ? Article initialement paru sur Medium par Pierre André, cofondateur de WeCasa.

7 ans, 85% de part de marché VTC et… toujours pas rentable !

Pour comprendre cette prédiction surprenante, il faut lire le passionnant article de Bloomberg. Où l’on apprend que depuis sa création, l’entreprise californienne a perdu quelques 4 milliards de dollars ! Pire, sur le premier semestre 2016, l’entreprise perdait 1,2 milliard de dollars pour 2,1 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Soit une rentabilité de… -57% !

Bien que difficile à justifier, une telle perte pourrait s’expliquer par des évènements exceptionnels, ou un investissement sur de nouveaux produits et territoires. C’est d’ailleurs ce qui est mis en avant par le CEO qui évoque les gros montants perdus pour s’implanter en Chine, avec pour épilogue un retrait du marché et une prise de participation dans son concurrent chinois. La Chine représenterait environ la moitié des pertes d’Uber, qui devraient donc se réduire à l’avenir grâce à cet accord.

Cependant, même en tenant compte d’un investissement pour l’avenir, le montant reste colossal. Amazon avait adopté avec succès cette stratégie consistant à perdre de l’argent le temps de dominer le marché. Mais sa plus grosse perte date de 2000 et s’élevait ‘seulement’ à 1,4 milliard de dollars. Uber a de son côté perdu 2 milliards de dollars en 2015, et s’apprête à faire pire en 2016…

On peut aussi regarder du coté des autres grands noms du web en forte croissance qui réalisent aussi des pertes, compréhensibles à ce stade de développement, mais d’une ampleur bien moindre. Ainsi, sur les estimations des chiffres de 2015

  • Airbnb ferait 900 millions de dollars de CA et 150 millions de dollars de pertes, soit -16,7%
  • Twitter réalise 2,2 milliards de dollars de CA et 521 millions de dollars de pertes, soit -26%
  • Tesla réalise 4 milliards de dollars de CA et 888 millions de dollars de pertes, soit -22,5%
  • Uber ferait 1,5 milliard de dollars de CA et … 2 milliards de dollars de pertes, soit -133% !

Ainsi, si des pertes sont logiques dans le monde des startups le temps de s’imposer sur le marché, celles de Uber vont bien au-delà des autres acteurs.

Mais le plus inquiétant est ce que l’on apprend sur le marché US : après avoir été légèrement rentable au 1er trimestre, Uber perd encore 100 millions de $ au 2e trimestre sur ce marché où il revendique… entre 84% et 87% de part de marché du VTC ! Avec des parts de marché équivalentes, un Microsoft ou un Apple au début de l’iPhone avaient amassé des trésors de guerre pour financer leur croissance.

Si l’entreprise perd de l’argent, ou au mieux n’est que faiblement rentable, avec une telle position dominante, comment imaginer qu’elle puisse être rentable un jour, sans même parler de compenser les énormes pertes du passé ? Comment expliquer une situation aussi faible pour une entreprise si prestigieuse ?

Levées de fonds + notoriété média : les dangereuses sirènes

Et pourtant, l’entreprise se porte bien et dispose encore de plus de 4 milliards de trésorerie grâce aux quelques 16 milliards de dollars amassés en levées de fond et en dette, ce qui lui donne le temps de voir venir. Les investisseurs continuent donc à suivre l’entreprise qui doit cependant compter régulièrement sur une nouvelle levée de fond pour ne pas baisser le rideau. Jusqu’à quand ?

On a coutume de dire dans une entreprise ‘normale’ que c’est le client qui paie nos salaires, ce qui est assez sain. Mais quand ce sont les investisseurs qui paient les salaires, même au bout de 7 ans et avec une position mondiale dominante, quelque chose semble aller de travers.

Ainsi, le vrai client d’Uber n’est plus l’utilisateur du service de VTC, mais les investisseurs qu’il faut convaincre de réinvestir régulièrement. Remettre une pièce dans la machine car sinon tout s’arrête et tout le monde perd.

Et si les investisseurs continuent à suivre (pour le moment), c’est qu’ils pensent un jour retrouver leur mise. Que le service sera tellement puissant et tellement gros qu’il pourra alors devenir vraiment rentable. On garde en mémoire les aventures de Google, Facebook ou Amazon qui sont passés par là.

Le problème, c’est que l’avenir pour Uber pourrait être plus sombre, et qu’être le plus gros ne suffit pas nécessairement à la rentabilité.

3 raisons pour lesquelles Uber pourrait tomber

#1 : La facilité du changement

La stratégie appliquée par Uber est le fameux “Winner Takes All”. Selon cet adage, il faudrait investir énormément à coup de levées de fond pour devenir le plus gros sur son marché, dominer les concurrents et pouvoir alors augmenter ses marges et devenir rentable. C’est la stratégie appliquée avec succès par Google, Facebook ou Amazon.

Le problème ? Pour que cette stratégie fonctionne, il faut que la taille ou l’ancienneté apportent un réel avantage compétitif. Et alors, en effet, les concurrents sont éliminés et le gagnant peut pratiquer la politique tarifaire qu’il souhaite, ou presque.

Avec le temps, le moteur de recherche Google est devenu de plus en plus puissant et performant et donc plus dur à contrer pour un nouvel entrant.

Amazon a mis en place une organisation logistique de 1er ordre quasi-impossible à concurrencer, plus un immense réseau de fournisseurs.

Facebook possède le plus grand nombre d’utilisateurs et un historique colossal. Passer sur une plateforme concurrente serait difficile car l’utilisateur devrait alors tout reconstruire.

Malheureusement pour Uber, rien de tout cela ne s’applique dans le cas des VTC.

  • Uber ne dispose pas d’avantage technologique majeur face à ses concurrents (contrairement à Amazon ou Google)
  • Le fait d’être client depuis longtemps n’apporte pas de bénéfice notable pour le client de nature à freiner le changement (contrairement à Facebook par exemple). Par opposition, Twitter réalise aussi des pertes importantes mais la difficulté de changement pour les utilisateurs serait significative, ce qui offre plus de possibilités de monétisation.

Ainsi, même en étant utilisateur depuis plusieurs années, basculer chez LeCab ne m’a pris que 2 minutes, en retrouvant un service équivalent (voire meilleur même).

Le seul avantage concurrentiel notable pourrait être le réseau de professionnels, à savoir les chauffeurs. Mais cet avantage, bien que réel, n’est pas forcément acquis : si les clients passent en masse sur une nouvelle plateforme, les chauffeurs en feront rapidement autant. D’autant plus que les chauffeurs peuvent généralement travailler avec plusieurs plateformes, et donc continuer avec Uber et une nouvelle plateforme…

#2 : Le cadre externe va se compliquer

Faute d’avantage compétitif notable, Uber pourrait espérer avoir un marché plus facile à l’avenir. En effet, la part de marché d’Uber est dominante sur le marché du VTC, donc l’enjeu pour la compagnie est que le marché du VTC augmente encore significativement. Cependant, 2 facteurs pourraient au contraire lui compliquer la tâche

  • Les taxis avaient longtemps bénéficié d’un monopole leur permettant de facturer cher un service déplorable. L’arrivée des VTC a heureusement permis de rebattre les cartes. Après avoir freiné autant que possible, la corporation des taxis commence (enfin) à améliorer le service aux utilisateurs. L’avantage du VTC sur le taxi pourrait donc s’effriter à l’avenir, rendant les taxis de nouveau attractifs.
  • Le statut des chauffeurs Uber pose problème dans de nombreux pays, et certaines poursuites juridiques seraient d’ailleurs à l’origine d’une partie des pertes de la compagnie. Dans le cas d’Uber, les chauffeurs étant hautement dépendants de la plateforme pour leur activité, il est probable que leur statut soit amené à évoluer et que les conditions fiscales deviennent plus défavorables encore pour la compagnie, rendant la rentabilité encore plus compliquée. Sans parler des diverses poursuites engagées.

Et à plus long terme, la révolution des voitures autonomes va totalement rebattre les cartes de la mobilité, sans que l’on puisse dire à ce stade qui seront les gagnants de cette immense révolution.

#3 : Le mythe des coûts fixes

Enfin, derrière cette stratégie de croissance boostée aux levées de fonds, on trouve le mythe des coûts fixes. Selon cette approche, les services tels que Uber seraient basés sur de gros coûts fixes, à savoir le développement de la plateforme, le marketing et l’acquisition des premiers clients.

Mais les coûts variables seraient faibles, et une fois que le volume d’activité aurait atteint les coûts fixes, la rentabilité pourrait exploser. Ce type de business model se retrouve dans beaucoup de produits technologiques, particulièrement les logiciels ou le matériel informatique.

Sauf que non. Dans le cas des marketplace de service comme Uber, le plus gros des coûts sont en général les salaires des équipes et les coûts d’acquisition marketing. Et au niveau de la masse salariale, la majorité des ressources sont consacrées aux opérations : gestion des prestataires, gestion des clients, développement de l’activité. Ce sont donc des coûts fixes…variables !

Conséquence ? Dès que le volume d’affaire augmente, les besoins RH augmentent et donc les coûts associés. Et cette fameuse barre des coûts fixes, qui semblait pourtant si proche, s’éloigne toujours plus.

Le retour à la raison ?

Au final, malgré son succès, sa notoriété médiatique, ses parts de marché et ses levées de fonds, Uber est condamné à trouver encore et toujours de nouveaux investisseurs, ou à équilibrer enfin son business model dans un contexte complexe.

Et à la fin, il n’est pas exclu que les lois de l’économie que connait n’importe quel boulanger finissent par s’imposer : il faut générer de la marge pour faire tourner une entreprise, même la plus glamour, même la plus innovante.

Surtout, sur des business de type marketplace de service, si vous n’avez ni avantage technologique décisif, ni effet de masse notable, vos opérations doivent être rentables relativement vite car sinon, la croissance effrénée générera simplement… plus de pertes !

Il reste donc maintenant à assurer l’atterrissage de toutes les plateformes de type Uber qui apportent un réel bénéfice aux utilisateurs et qui doivent encore trouver un modèle économique pérenne.

Quant à Uber, les prochains mois diront si l’entreprise a trouvé le chemin d’un succès… rentable.