L'agence Fred & Farid s'associe à Céline Lippi, cofondatrice de Fashion Capital Partners, pour lancer Luxury Forward, une conférence prospective autour du luxe. Retour avec Fred Raillard et Farid Mokart sur l'importance de la technologie et de l'innovation pour ce marché qui répond à des codes très particuliers. 

Le 29 novembre prochain, Luxury Forward ouvrira ses portes au Conseil Economique et Social, Palais Iéna, afin de de réunir, le temps d’une journée, les acteurs majeurs de l'écosystème du luxe, de la mode, de la beauté, du retail et des technologies. Son objectif : permettre à chacun d'échanger autour du futur de ces industries, impactées depuis plusieurs années par la technologie.

Organisé à l'initiative de l'agence Fred&Farid et de Céline Lippi, cofondatrice du fonds Fashion Capital Partners, l'événement sera introduit par une intervention d'Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du Numérique et de l'Innovation. S'en suivront des interventions et keynotes de marques et personnalités marquantes du secteur, parmi lesquelles Condé Nast, Galeries Lafayette, Google, Karl Lagerfeld, Louis Vuitton, LVMH Fragrance, Richemont, ou encore le Chef étoilé Akrame Benallal, le mathématicien Cédric Villani et l’architecte Marcelo Joulia.

Fred Raillard et Farid Mokart, cofondateurs de l'agence Fred&Farid, connue pour avoir un pied a Shanghaï et l'autre à Paris, ont accepté de répondre aux questions de la rédaction sur les enjeux de cet événement, et plus largement sur la transformation que vit aujourd'hui le secteur du luxe. 

Pourquoi vous êtes-vous intéressés à ce thème en particulier ?

Parce que le luxe est un sujet qui touche aujourd’hui toutes les catégories de business. Chaque marque a un produit luxe sur lequel il faut bien comprendre comment fonctionnent les règles de la création de valeur. À partir du moment où les "marques standards" copient les codes du luxe, le luxe tout entier est obligé de se réinventer, de s’élever pour recréer de la distance avec ces marques. Se posent donc aujourd’hui de grandes questions sur le repositionnement du luxe. 

Par ailleurs, le luxe a fondé toute son autorité sur une forme de distance intimidante pour le consommateur. Or avec le digital, cette théâtralisation de la distance est beaucoup moins facile. Le luxe comme tous les autres business doit passer par le petit écran du mobile, et obéir au doigt et à l’oeil. Il est intéressant de voir comment le luxe va réussir à recréer cette distance, cette fascination, ce rêve pour justifier son prix. 

Comment la technologie et l’innovation y ont-elles fait leur entrée ? 

Que l’on soit une marque standard ou luxe, la finalité du process est de toucher le consommateur là où il se trouve. Or même le riche consommateur de produits de luxe passe la plupart de son temps sur son mobile aujourd’hui, et va sur internet. Le luxe n’échappe donc pas au numérique. Le consommateur a déjà commencé à digitaliser sa vie, et la digitalise chaque jour davantage. La technologie a donc fait son entrée dans le luxe de façon naturelle en rapprochant le consommateur de la marque. Aujourd'hui la marque et son audience sont reliées de fait par la technologie.

Quelles sont les conditions de l’innovation dans le luxe ?

" Le luxe doit faire très attention à ne pas, à travers la technologie, briser sa magie donc sa valeur "

Il est risqué pour une marque de luxe de se laisser séduire par une technologie et de gadgetiser ses messages. Le digital et la technologie doivent rester au service de l’émotion et aider à l’accentuer... en travaillant par exemple sur des UX plus fortes, plus ambitieuses.

Évidemment le mode dominant de la "brand conversation" aujourd’hui normalise la relation et donc détruit la valeur. Sur les medias sociaux, les marques de luxe voulant conserver une distance ou une autorité sur leurs audiences doivent faire très attention à ne pas trop normaliser leur relation avec leur communauté. C’est un exercice presque schizophrène entre interactivité et distance. 

L’innovation est-elle une attente particulière de ce segment ? 

Non, l’innovation n’est pas une attente particulière de ceux qui consomment des produits de luxe, néanmoins ils peuvent se laisser séduire par une expérience forte, innovante, originale. C’est une clientèle qui a besoin de se sentir très valorisée par sa consommation. Son expérience digitale doit ainsi également être très valorisante. Elle ne doit pas être totalement démocratisée.

La recherche de viralité peut évidemment détruire la valeur. Les clients du luxe sont avant tout en attente d’excellence. Le digital peut en cela les séduire avec une expérience unique, une qualité artistique, culturelle autour de l’activation digitale. Il faut simplement retrouver l’esprit des grandes marques de luxe dans les expériences digitales... À l'instar des annonces presse des photographes qui ont toujours respecté cet esprit.

La technologie permet-elle une démocratisation du luxe ? 

Oui la technologie permet une démocratisation du luxe, mais le démocratiser n’est pas forcément une voie pérenne pour le luxe. Par exemple lorsque nous produisons un film pour Audemars Piguet, il n’est pas référencé sur les plateformes vidéo mais uniquement sur celles d’Audemars Piguet. Il n’y a aucune recherche de viralité.

Le social media dit “follow me”, ce qui est encore pire qu’une ouverture, c'est une soumission au regard de l'autre. On supplie presque pour avoir plus de followers. Cette posture est destructrice de valeur. Une marque de luxe doit être confiante, laisser venir son audience par la qualité de ses produits et son contenu. Se décentrer de cette rhétorique, c’est détruire la valeur. 

Existe-t-il une marque pionnière et innovante dans le luxe aujourd’hui ?

Il n’y a pas de marque pionnière et innovante dans le luxe aujourd’hui. Il y a même toujours une réticence sur le sujet. Beaucoup de marques s’aventurent, créent des websites, produisent des expériences et commencent à faire de l’activation, mais ce n’est quand même généralement pas dans le luxe que l’on voit les expériences les plus innovantes.

" C’est comme si le luxe n’avait pas encore compris la poésie que pouvaient apporter les expériences digitales et l’intéractivité "

Pour être en contact avec beaucoup de marques de luxe à Paris, Shanghai et New York, on a plutôt l’impression que le luxe aborde le digital via le e-commerce et une approche très “ROIste” de son média, très mathématique. Elles se sont lancées dans une vraie réflexion rationnelle et logique d'optimisation de leurs points de contact et de leurs commandes... investissement en référencement sur les outils de recherche, UX efficace et incitative, etc.

Il n’y a pas encore eu de véritable intention d’être un leader sur une créativité digitale dans le luxe. Le luxe est entré dans le digital par la partie rationnelle. Lorsqu'il aura digéré cette partie il ira certainement explorer la partie émotionnelle. Mais cela va prendre du temps car il existe une réticence culturelle de ce marché. Par ailleurs les fashion designers ont une vision très claire de ce qu’ils veulent, mais ne maîtrisent pas forcément le digital et donc s’en méfient. Ils sont obligés de collaborer avec d’autres directeurs de création externes, et l’expérience a montré que cela ne fonctionne pas bien.

Le vrai tournant sera lorsqu’un fashion designer travaillant pour une grande marque de luxe sera lui-même un passionné de digital et développera des expériences digitales. Ce jour-là le luxe basculera dans un tout nouveau champ d’expression. 

À quoi ressemblera le luxe demain ?

C’est toute la question de la conférence Luxury Forward. On peut imaginer beaucoup de scénarios différents... Que les millennials et leurs enfants refuseront, dans un monde fragile, instable et décadent, l’idée de dépenser de telles sommes pour un sac... Que le luxe paraisse très superficiel par rapport aux problèmes de la planète, et que les nouvelles générations porteront un regard méprisant sur les consommateurs de luxe d’aujourd’hui (leurs grands-parents, nous). On peut aussi imaginer que des produits courants deviennent des produits de luxe demain. On constate par exemple que pour avoir de l’air pur en Chine il faut investir dans des filtres à air très coûteux.

D’une certaine façon l’air et l’eau, les arbres, la nature sont en train de devenir des produits de luxe. Il existe même la tendance du "barefoot luxury" ou "naked luxury", des resorts qui louent des cabanes dans les arbres, sans wifi, avec des aliments bio, et qui louent ce service très cher. C’est une nouvelle forme de luxe.

" On peut aussi imaginer que transformer son corps soit plus important que les vêtements et accessoires qu’on achète aujourd'hui. On peut imaginer que le vrai nouveau luxe sera, grâce a la science, de se rendre plus beau ou même plus intelligent "

Beaucoup de scénarios sont possibles sur ce que va devenir le luxe demain, c’est tout l’objet de Luxury Forward avec plus de 60 speakers qui vont partager leur analyse et leur intuition sur ce que l'avenir nous réserve.

Luxury Forward, le 29 novembre au Conseil Economique et Social.