La disparition de l’ISF s’accompagne de celle de l’ISF-PME, qui permettait aux particuliers assujettis d’investir dans des startups. Ces dernières seront-elles du coup gagnantes ou perdantes de la réforme ?

Réforme phare du programme d’Emmanuel Macron, la disparition de l’ISF au 1er janvier 2018 et son remplacement par un IFI centré sur l’immobilier doit «favoriser le risque et l’investissement au détriment  de la rente». Une mesure qui, accompagnée de la flat tax de 30% sur les plus-values de cession des valeurs mobilières, a normalement de quoi réjouir tous les dirigeants de PME et de startups. «Les PME vont largement bénéficier de la libération et de la réorientation de l'épargne vers l’économie productive générée par notre réforme fiscale», se félicite Bruno Le Maire le ministre de l’Economie.

Car aujourd’hui, alors que les Français épargnent bien plus que la plupart de leurs voisins, seuls 36% de leurs 4,8 milliards d’économies sont investis dans des actifs «risqués» (actions cotées et non cotées, titres d’OPC non monétaires…). De l’autre côté, 40% des start-ups et PME du numérique disent avoir des difficultés à obtenir des financements, d’après le Syntec numérique. «Aujourd’hui, 98% de nos clients sont des TPE/PME avec un résultat positif. Pourtant, il leur est impossible d'obtenir un financement auprès des banques», déplore Harlod Zimé, cofondateur de la fintech Ipoome, qui facilite l’investissement dans les PME grâce à l’intelligence artificielle.

Que vont devenir les 516 millions d’euros de l’ISF-PME ?

Le problème, c’est que la fin de l’ISF signe en même temps celle de l’ISF-PME. Ce dernier permet de déduire 50% du montant des investissements dans des PME dans la limite de 45 000 euros. Un dispositif qui a permis de récolter 516 millions d’euros via des fonds d’investissement dans les entreprises françaises en 2016, d’après l’Afic (Association française des investisseurs pour la croissance). Sa disparition alarme donc de nombreux acteurs du secteur.

«Plus de la moitié des investisseurs des réseaux de business angels ont recours à la défiscalisation d'ISF-PME», s’inquiète ainsi Tanguy de la Fourchardière, président de France Angels, dans les Echos. «On peut donc anticiper que les investissements dans les entreprises innovantes soient divisés par deux». Et les plus novatrices risquent d’être les premières victimes. «Il restera certes des capitaux pour les projets les plus avancés ou à vocation mondiale qui se financent auprès de "super angels" et pour lesquels l'ISF PME, vu ses plafonds, ne représentait pas une incitation significative», estime Christophe Bonnet, professeur à l’école de management de Grenoble. «Mais le financement de la phase d'amorçage, et donc de nombreux projets susceptibles de devenir de belles PME ou ETI, sera fragilisé».

«On oriente les gens vers la défiscalisation au lieu de les intéresser à l’entreprise»

La complainte agace un peu Jean-Baptiste Danet, le président de Croissance Plus. «On ne va quand même pas pleurer la disparition d’une mauvaise niche fiscale sur un impôt idiot», lâche-t-il. Car ce dispositif tant vanté par les fonds d’investissement présente de nombreux travers. Pour la Cour des Comptes, il est carrément contre-productif. «Il est manifeste que c’est l’importance de l’avantage fiscal qui rend le dispositif attractif pour les épargnants, plus que les espoirs de rentabilité de l’investissement réalisé», écrit-elle dans un rapport de 2016. Autrement dit, les particuliers investisseurs se préoccupent peu de réussite de la PME dans laquelle ils ont pourtant misé. La Cour juge aussi son impact économique incertain. «Les analyses réalisées ne permettent pas de conclure à un effet significatif sur les sociétés bénéficiaires». Enfin, le rapport met en évidence les frais de gestion exorbitants engloutis par les FCPI et les FIP, qui servent d’intermédiaires : entre 36% et 45% de la souscription initiale réalisée par le contribuable.

Bref, la niche fiscale rate semble-t-il son objectif premier : celui de rapprocher les riches épargnants des startups. Sur les 516 millions d’euros récoltés via l’ISF-PME, seuls 43 millions d’euros ont été investis directement dans les entreprises par les contribuables sans recours aux fonds d’investissement selon France Angels. «En France, on oriente les gens avec la défiscalisation au lieu de les intéresser à l’entreprise», déplore Jean-Baptiste Danet.

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Les mesures de compensation à l’étude

Au gouvernement, on planche donc sur une mesure compensatoire à la suppression de l’ISF-PME, même si officiellement Bruno Le Maire a fustigé une «niche fiscale» qui «ne doit pas être reconduite». «Nous préférons mettre à disposition de l’économie française 3 milliards d’euros sans les flécher», car «flécher, ça ne fonctionne pas», martèle-t-il. Plusieurs mesures sont pourtant bien sur la table sur la table. Première piste : simplifier l’accès au Crédit impôt recherche pour en faciliter l’accès aux startups innovantes. Car les PME, qui représentent presque 90% des bénéficiaires, profitent de moins de 20% des 5,42 milliards d’euros distribués par l’Etat. Le dossier scientifique à remplir est parfois complexe pour des startups qui démarrent et les critères d’octroi restent flous (un guide complet est toutefois disponible ici). Autre piste: le futur «fonds pour l'innovation, qui devrait générer des revenus de l'ordre de 200 millions d'euros par an pour «financer des projets de rupture». Des projets qui devront concerner le domaine des transports, de la santé, ou des énergies renouvelables.

Booster l’IR-PME : une solution pour élargir les profils d’investisseurs

Mais la mesure la plus efficace, selon Croissance Plus, serait«l’alignement du taux de réduction de l’IR-PME (loi Madelin) sur celui de l’ex-ISF-PME, soit 50%, et du plafond de l’avantage fiscal, à 45 000 euros (aujourd’hui l’avantage est limité à 18% de l’investissement avec un plafond de 9 000 euros). Au Royaume-Uni, depuis la hausse du taux de réduction d'impôt de 20% à 30% pour les PME (et même 50% pour l'amorçage), les fonds investis sous ce régime ont quasiment quadruplé», rappelle Christophe Bonnet. Outre-manche, on peut même déduire les pertes de revenus de ses impôts. De quoi inciter à une plus grande prise de risque.

«Les entrepreneurs vont devoir expliquer ce qu’ils font»

Autre avantage de la mesure : ouvrir la porte à un plus large public. «Ce dispositif permet à tous ceux qui ne payaient pas l’ISF d’investir dans une entreprise», met en avant Jean-Baptiste Danet. Les plateformes de crowdfunding, elles aussi très concernées par toutes ces réformes, y sont d’ailleurs largement favorables. «En touchant plus de gens, on consolide le modèle économique des plateformes et donc le financement des startups», avance Stéphanie Savel, présidente de Wiseed. A condition que les jeunes pousses en question y mettent aussi un peu de volonté. «Cela va les obliger à s’adresser directement aux particuliers et plus seulement aux banques et au investisseurs», avertit Jean-Baptiste Danet. «Les entrepreneurs vont devoir expliquer ce qu’ils font et intéresser les gens à leur activité». Mais au final, tout le monde sera gagnant, assure-t-il. «Cette mise en avant va considérablement renforcer l’attractivité de la France toute entière et aussi celle de chaque région, en mettant en valeur un savoir-faire local».

Le gros problème reste faire changer les mentalités. Car les Français sont culturellement rétifs à la prise de risque. Au moment de placer leur argent, ils voient systématiquement plus «le risque de perdre» (70%) que «l'opportunité de gagner», selon un sondage Odoxa de septembre 2017. «C'est plutôt une peur, souvent irrationnelle, et un réflexe sécuritaire bien plus qu'un manque de culture économique qui nous incitent à adopter un comportement de fourmi», estime Gaël Sliman, président d'Odoxa. Une peur qui aura bien du mal à s’envoler à l’aide de simples mesures fiscales.