Lors du festival Sundance, qui s’est déroulé du 18 au 28 janvier à Salt Lake City, les spectateurs ont pu découvrir les deux derniers projets d’Atlas V, un studio français de réalité virtuelle (VR) et contenus immersifs. Dans le premier épisode de Sphere, le public est plongé dans le cosmos et suit la naissance d’un trou noir. Dans Battlescar, il est transporté au coeur de la scène punk new-yorkaise des années 1970 sur les pas de Lupe et de Debbie, deux jeunes femmes qui veulent créer leur groupe de rock. Deux films découpés en trois épisodes de 10 à 15 minutes qui ont tapé dans l’oeil de géants américains : Sphere a fait l’objet d’un partenariat avec Oculus (filiale de Facebook) et Battlescar est coproduit par Arte et YouTube (Google). Atlas V a par ailleurs signé un contrat à plus d’un million dollars avec CityLights, un distributeur privé.

Un manque criant de contenus en réalité virtuelle

Un joli succès pour le studio qui n’a que quelques mois d’existence. A son origine, quatre Français, chacun spécialiste d’un domaine (prise de vue stéréoscopique, réalisation de court-métrages…) qui ont décidé d’unir leurs talents pour se lancer dans l’aventure. Un gros risque, car « le marché est encore en phase de découverte », reconnaît Antoine Cayrol, l’un des cofondateurs. Jusqu’à présent, la réalité virtuelle nous a été présentée uniquement sous le prisme du matériel, notamment les casques comme ceux d’Oculus, Sony ou HTC. 22 millions de ces casques devraient être écoulés en 2018, avec une multiplication par cinq du marché d’ici 2022, prévoit CSS Insight. Si la technologie est parfaitement au point, les contenus sont encore très limités, voire restent au stade de démo technique. Le domaine du jeu vidéo est le plus en pointe, mais l’offre en animation est quasi inexistante. On a même pu penser que le concept était en train de faire long feu lorsque Facebook a décidé l’an dernier de fermer son studio dédié à la VR. Mais c’était pour mieux investir dans les contenus externes, comme le montre le deal avec Atlas V.

Un écosystème français hyper favorable

« En Europe, nous bénéficions d’un véritable écosystème de financement qui permet de développer des projets artistiques », explique Antoine Cayrol. La création est encouragée chez nous par de nombreux organismes publics qui sont moins regardants sur la rentabilité que des producteurs privés. « Sans Arte, le CNC ou la Région Rhône-Alpes, nous n’aurions pas pu démarrer nos projets et prendre autant de risques », reconnait Fred Volhuer, le PDG d'Atlas V. Le studio bénéficie aussi du soutien de la BBC, d’Amazon ou de Hulu aux États-Unis. La France dispose d’un autre atout maître : celui de son savoir-faire dans les jeux vidéos et la création, avec de nombreux talents formés dans nos écoles spécialisées comme les Gobelins. Pour une fois, nous avons donc une longueur d’avance. « Arte est l’un des leaders mondiaux en matière de réalité virtuelle », avance Antoine Cayrol. 80% du fonds « nouveaux médias » du CNC sont maintenant consacrés aux expériences VR. Car le développement des films en VR nécessitent des moyens  importants : « entre 250 000 euros et 1,8 million pour 15 minutes de film, ajoute le Français. Mais cela va baisser très vite. On commence déjà à voir des logiciels qui permettent de monter directement en VR ».

A la conquête du marché américain

Avec ses talents, Atlas V réussit ainsi la performance d’attirer des acteurs et réalisateurs américains. Dans Sphere, la voix off est interprétée par Jessica Chastain (vue notamment dans Zero Dark Thirty ou Interstellar) et Lupe, l’héroïne de Battlescar, est incarnée par Rosario Dawson (qui joue notamment dans la série Daredevil de Netflix). Des stars qui permettent de faire connaître les films et de les rentabiliser auprès d’un public mondial. « La moitié de notre chiffre d’affaires est réalisée aux EÉtats-Unis », se félicite Antoine Cayrol. Après Lyon et Paris, Atlas V a ouvert des bureaux à New York et Los Angeles pour doper son développement international.

Le défi de la distribution en salles

Alors que la création émerge petit à petit, la distribution reste un goulet d’étranglement. Les films d’Atlas V sont seront disponible dès novembre sur ordinateur via un casque de réalité virtuelle. Mais le public hésite à s’équiper d’un objet à 500 euros qui ne servira qu’une fois tous les quatre mois. Pour Antoine Cayrol, l’évangélisation passera donc d’abord par le cinéma. « Les gens veulent découvrir ce mode de narration immersive avant de s’équiper », assure le cofondateur. A Paris, le MK2 VR a ouvert fin 2016 une salle spécialement équipée. iMax en possède sept dans le monde, à Bangkok, Los Angeles ou Manchester. Des salles qui offrent une expérience inédite, totalement différente de celle d’un jeu vidéo par exemple. « Le jeu vidéo est concentré sur l’interactivité, sauter d’un hélicoptère, tirer sur des trucs, etc. Le cinéma, c’est l’immersion », insiste Fred Volhuer. Et la puissance de l’immersion est "incroyable", assure le patron. « En l’espace de deux ou trois minutes, le cerveau est transposé dans environnement complètement nouveau ». A le croire, nous n’avons pourtant encore rien vu. « Aujourd’hui, à peine 0,1 % des possibilités de la réalité virtuelle ont été explorées ».