Les nouvelles technologies font désormais intégralement partie de notre quotidien et ont créé de nouvelles routines. En une journée, les Français passent ainsi en moyenne un peu plus de 2 heures devant leur télévision, 83 minutes devant l’ordinateur, 80 minutes sur leur téléphone et 15 minutes sur une tablette. Soit un total de 5 heures par jour devant les écrans ! On estime également qu’on passe, en moyenne, 18 heures par semaine sur internet. Pas étonnant que nous nous inquiétons de notre dépendance à ces outils chronophages et obsédants.

Première cible des critiques : le smartphone, que l’on touche en moyenne plus de 2600 fois par jour. De quoi juger ce nouvel appendice comme dangereux ? Si l’addiction aux smartphones n’est pas reconnue comme un trouble psychiatrique en soi, la “nomophobie”, de la contraction anglaise “no mobile phobia” est la nouvelle “maladie” en vogue. La nomophobie, c’est cette peur panique d’être éloigné de son téléphone - ou pire, de le perdre ! - qui nous rend véritablement anxieux et fait même augmenter le rythme cardiaque des plus stressés. À ses côtés la FOMO, “fear of missing out fait de plus en plus parler d’elle. Elle nous pousse à consulter toujours plus de sites, (applications, réseaux sociaux) de peur de manquer un événement, une actualité, une information, une tendance… Et nos rapports avec nous-mêmes et les autres ne sont pas épargnés. Nous devenons impatients dès qu’il faut faire la queue, les corps retouchés qui défilent sous nos yeux nous donnent des complexes, et notre jalousie est aiguisée à mesure que l’on se compare à nos abonnés, dont les plus chevronnés étalent chaque jour leur pseudo-bonheur à la face du monde sur Instagram, Snapchat et consorts.

Pire, la simple utilisation d’internet conduit au déclin des capacités de mémorisation et de concentration. En 2015, une étude a ainsi démontré que l’homme moderne est désormais moins concentré qu’un poisson rouge ! Alors que notre capacité de concentration est en moyenne de 8 secondes (alors qu’elle était de 12 secondes il y a 15 ans), celle de Nemo serait de 9 secondes. L’Homme, ce nouveau Dory ?

Une addiction rémunératrice

Même si le constat est alarmant, il est aujourd’hui compliqué de décrocher, car nous sommes accros ! Et ce n’est pas (que) de notre faute : les applications sont faites pour ça. Le business model des GAFA & cie se base exclusivement sur la publicité, il leur faut donc nous retenir le plus longtemps possible. L’attention est devenue une valeur pour les commerciaux, un bien qu’il faut à tout prix monétiser. Et ils s’en donnent les moyens : des départements entiers sont dédiés à trouver ce qui nous fera rester un peu plus (une dernière photo, un dernier article). Leur obsession ? Nous rendre addict.

Comme le chocolat, le sexe ou la drogue, les réseaux sociaux activent les circuits de la récompense et du plaisir

Car une fois qu’ils ont capté notre attention - chose de plus en plus facile à mesure que nous nous rendons nous-mêmes disponibles en achetant des smartphones et en téléchargeant des applications - ils font en effet appel à des biais cognitifs pour que l’on continue à utiliser leurs produits, à coups de “likes” et de notifications. Ils tirent parti de la tendance humaine naturelle à l’oisiveté et à la curiosité, en proposant un fil d’actualité qui se charge à l’infini. Ils nous encouragent à partager nos moindres faits et gestes en jouant sur notre besoin psychologique de connection et d’approbation. Et concrètement ? Comme le chocolat, le sexe ou la drogue, les réseaux sociaux activent les circuits de la récompense et du plaisir. A chaque fois qu’on reçoit une alerte ou un “like”, notre cerveau reçoit un “shot” de dopamine. Pour en recevoir plus, il va renforcer les comportements qui sont susceptibles de lui en procurer. Sauf que parfois, la dose est trop forte, et l’overdose guette.

Une seule solution : la déconnexion ?

Névroses, addictions, troubles compulsifs… L’impact cognitif des nouvelles technologies est protéiforme, sans que l’on sache exactement comment le définir. Pour la majorité d’entre nous, il s’agira de conséquences bénignes et passagères, sans prise réelle et invalidante sur notre quotidien. Malheureusement, les effets peuvent être bien plus graves chez des utilisateurs “fragiles”, qui vont développer de véritables pathologies. La sonnette d’alarme a ainsi été tirée au Royaume-Uni l’été dernier : une étude a prouvé qu’à l’exception de Youtube, les quatre réseaux sociaux (Snapchat, Facebook, Twitter et Instagram, le pire) avaient un impact négatif sur la santé mentale des jeunes. Anxiété, dépression, isolement, troubles du comportement alimentaire… Les sondés sont lucides sur la dangerosité d’une trop grande exposition aux réseaux sociaux. Ils sont la génération “crash test”, celle qui subit les suicides en direct sur Periscope, le cyber-harcèlement sur Facebook et qui a vu naître les hikikomori, ces adolescents qui se retirent complètement du monde réel, reclus dans leur chambre avec pour seul compagnon leur connexion internet.

Si le phénomène est apparu au Japon dans les années 1990, il s’est très vite propagé. En Chine, sur 300 millions d'habitants connectés, ils seraient 24 millions à être atteints de cyberdépendance. Si bien qu'en 2004 est né le premier camp de sevrage du genre à Pékin, censé guérir ce mal moderne. Une tendance qui s'est accélérée lorsqu'en 2008, la Chine est devenu le premier pays à considérer l'e-addiction comme un "trouble clinique". Il existerait aujourd'hui environ 250 camps dont l'objectif est d'éradiquer l'overdose d'Internet, grâce à un sevrage brutal dont le but est de les reconnecter à la société grâce à une vie militaire sur fond de parcours d’obstacles et de tâches collectives.

En France, rien d’aussi draconien n’a pour l’instant vu le jour. Le gouvernement commence tout juste à s’emparer du problème, mais les initiatives sont déjà nombreuses : sensibilisation aux effets d’une surexposition aux écrans par les médecins, prévention du cyberharcèlement à l’école, droit à la déconnection au travail…  Pour ceux qui frôlent le burn-out, il reste les “digital detox”. Dans leur forme la plus classique, elles consistent à se déconnecter, pendant un temps donné, pour réfléchir à ses pratiques et mettre en places des habitudes plus saines. Devenues une vraie tendance, elles ont vite été récupérées par des organismes privés qui n’ont pas hésité à proposer des séjours 100% sans écran “all inclusive” moyennant une coquette somme (comptez plus de 1000 euros pour trois nuits dans un hôtel 5 étoiles). Pour les budgets plus modestes, il reste une autre option : les “digital detox”… via smartphone ! Alors qu’un Français sur deux est désormais équipé d'un smartphone, (un chiffre qui a doublé en trois ans), des dizaines d’applications sont nées pour nous aider à reprendre le contrôle : Moment, RescueTime, DinnerTime…

Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, de plus en plus de psychiatres misent aujourd’hui sur les nouvelles technologies pour le diagnostic et le suivi des pathologies. Moodnotes (carnet de bord de l'évolution de son humeur), Happily (un programme en ligne de 4 mois pour surmonter l'anxiété sociale) et autres technologies mobiles et objets connectés sont ainsi de plus en plus utilisés pour guérir les troubles mentaux sévères, tels que la schizophrénie, les troubles de l'humeur, les troubles anxieux et les addictions.

S’il est aujourd’hui impossible de prédire quel sort le futur réservera à la technologie, il est légitime de se demander si le système n’a pas atteint ses limites. Peut-on aller plus loin dans l’hyperconnectivité ? Et à quel prix ? Les innovations technologiques de demain (masque de réalité virtuelle, intelligence artificielle, robots, prothèses augmentées...) devront, elles aussi, trouver leur place dans notre quotidien, et c’est à nous de choisir celle que nous leur accorderons.