Ziko et Lilo avaient avalé le plus rapidement possible leur petit-déjeuner. Comme tous les matins, la perspective de la journée qui s’annonçait les motivait plus que tout. Alors que leur mère Mila se préparait à recevoir son cours d’art 3D par hologramme, les adolescents se ruèrent vers le salon pour choisir leurs unités d’apprentissage de la journée.

Depuis que les robots avaient massivement remplacé la main d’oeuvre humaine dans la plupart des tâches, la seule manière de se démarquer fut pour l’Homme d’aiguiser ce qu’il manquait cruellement à ses homologues de silicone et d’acier : la créativité, l’intuition, l’empathie, l’imagination et tout ce qui faisait que depuis des milliers d’années l’Homme avait toujours surpassé toutes les espèces. Et il n’était pas encore venu le temps où cette domination prendrait fin. Pour rivaliser avec les robots, la plupart des humains faisaient rapidement le choix d’acquérir un nano-robot cérébral. Dans les familles aisées, les enfants en étaient même dotés dès leur naissance. Grâce à un accès au cloud, toutes les connaissances accumulées depuis des siècles étaient accessibles à cette micro-puce, qui pouvait envoyer une requête et obtenir une réponse en une milliseconde. Depuis la création de cette technologie, briller dans les dîners se limitait désormais au fait d’avoir un nano-robot plus rapide et plus puissant que son voisin.

Avec cet accès illimité à la connaissance, le système éducatif se trouva totalement bouleversé, et dû s’adapter. Le contenu même des enseignements changea drastiquement, leur forme, encore plus. Déjà, dans les années 2010, avant même l’avènement des nano-robots cérébraux, les enseignants cherchèrent une méthode moins archaïque d’intéresser leurs élèves aux matières enseignées. L’école inversée vit alors le jour, les élèves apprirent à leur convenance, chez eux, grâce à des cours vidéo, et mirent en pratique à l’école, là où il était possible de poser toutes les questions de leur choix à leur professeur. C’est ce modèle qui avait inspiré ce qui allait devenir en quelques années une norme universelle. Du côté des contenus, il n’y avait désormais plus de cours mais des “unités d’apprentissage” qui devaient permettre aux élèves d’avoir des repères, d’apprendre à contextualiser, et surtout de développer leur esprit critique. Plus que les thèmes enseignés, c’était surtout la manière de cultiver ces qualités qui importait.

Le principe même de l’école, de quatre murs et d’une cour de récréation, fut remis en cause dès les années 2020, lorsque des tiers-lieux d’épanouissement et d’apprentissage virent le jour. Dans chacun des espaces accessibles aux élèves se trouvait un humanoïde enseignant, doté de la plus puissante des intelligences artificielles. Avant de démarrer leur journée, les élèves pouvaient choisir, depuis l’unité centrale omnipotente dont ils disposaient tous au sein de leurs foyers, les thématiques qu’ils souhaitaient approfondir ce jour-là. Pratiques ou intellectuelles, libre à eux de choisir ce qu’ils voulaient étudier. Dès l’âge de 3 ans, les enfants purent commencer à apprendre le métier de leur choix. À partir de 6 ans, c’était à la construction d’un véritable projet professionnel qu’ils travaillaient. Il n’était ainsi pas rare de voir dès 9 ou 10 ans des enfants riches à millions grâce à la création d’un business particulièrement florissant.

S’il n’existait plus d’école à proprement parler, n’importe quel lieu pouvait se transformer en espace d’épanouissement. N’importe quel stade, bibliothèque, ou hangar dernier cri, pouvait accueillir les élèves. À chaque lieu correspondait très souvent une thématique. Le stade était idéal pour la pratique sportive, évidemment, et le hangar, doté de plafond et de murs projecteurs permettait d’emmener les élèves à la découverte de l’astronomie dans un voyage spatial que les parents leur enviaient. Pour le cours de zoologie, qui offrait aux élèves une connaissance inédite de la faune qui les entourait, le professeur en charge choisissait le plus souvent les jardins-serres, là où la “nature” s’exprimait. Grâce aux dernières technologies holographiques, les étudiants pouvaient voir, mais surtout toucher et sentir la projection d’animaux, y compris ceux qui avaient disparu depuis des millions d’années. D’ailleurs, l’intitulé de cette unité dispensée à partir de 10h23 ce 17 janvier 2084 interpella Ziko et Lilo : “Découverte du Tyrannosaurus rex et domptage de parvicursor”. Le premier cours de la journée était choisi !  

Si jusqu’à 16 ans, un minimum de 14 unités d’apprentissage devaient être suivies par semaine - sauf si l’entreprise de l’élève fonctionnait bien et lui demandait plus d’énergie -, aucune thématique n’était obligatoire et les choix, toujours respectés. Dans la mesure du possible bien sûr. Les cours de magnétisme et de télékinésie par exemple, étaient toujours très prisés, et les élèves devaient bien souvent s’y prendre des semaines à l’avance pour réserver leur place. Ziko, plus attiré par ces choses-là que son frère, avait ainsi dû patienter près de 3 mois avant de trouver un créneau disponible. Mais il avait fini par y arriver et il allait, enfin, pouvoir passer son niveau 4 de télékinésie après le cours de domptage de dinosaures.

Le spectre des compétences à développer était désormais si étendu que l’apprentissage durait toute une vie. Les cours étaient proposés par niveau mais il n’était pas rare de voir un parent accompagner son enfant à une unité de skate magnétique ou de mécanique robotique. Mila avait choisi de se perfectionner en art, tandis que Max, le père de Ziko et Lilo, consacrait une bonne partie de son temps libre à ses cours de littérature historique. Il faut dire qu’ils étaient plus qu’attrayants. Grâce aux puces immersives, l’hologramme enseignant pouvait choisir de faire revivre à ses élèves des moments charnière des ouvrages, comme une bataille, un couronnement ou un soulèvement populaire. Ce jour-là, toute la famille avait d’ailleurs prévu de se réunir avant le dîner pour se plonger au coeur des derniers jours de Marie-Antoinette. Pour l’occasion, Mila avait même tenté de refaire une brioche, telle que sa mère la lui préparait quand elle était petite…