Peut-on rêver de routes sans autels fleuris sur les bas-côtés, rappelant que, chaque année, quelque 3500 personnes y perdent la vie ? De voyages en train, en avion ou en bateau sans craindre un accident fatal ? Bref, de transports aux technologies suffisamment performantes pour garantir un risque zéro à leurs passagers ? Les ingénieurs qui travaillent sur le sujet ne se risqueraient pas, eux-mêmes, à une telle prédiction. Pourtant, les technologies de rupture actuellement développées dans le secteur des transports, qu’ils soient routier, ferroviaire, maritime, aérien ou même aérospatial, ont toutes une sécurité accrue comme objectif numéro un.

La sécurité est la problématique par laquelle on entame le développement de ces technologies. C’est la première question à se poser, avant même une quelconque industrialisation du projet : a-t-il fait la démonstration de sa sécurité ?” - Luc Laroche, directeur du projet Train automatique à la SNCF

Car c’est bien là l’enjeu de rendre les transports autonomes. Voitures, trains ou même avions autonomes doivent permettre de réduire le premier facteur de risque, à savoir le facteur humain. Une étude menée par l’Observatoire interministériel de la sécurité routière dans les années 1990 et 2000 montrait que 90% des accidents de la route étaient liés au comportement de l’un des protagonistes (alcoolisation, fatigue, erreur de conduite…). Le déploiement de véhicules intelligents pourrait donc permettre de réduire drastiquement le nombre d’accidents : dans l’étude Le mieux est l’ennemi du bien : estimer ce que coûte l’attente de véhicules autonomes presque parfaits, les chercheurs Nidhi Kalra et David G. Groves ont estimé que, dans le meilleur des cas, 500 000 vies pourraient être sauvées chaque année dans le monde grâce aux véhicules autonomes, alors que 1,25 million de personnes sont tuées chaque année dans des accidents de la route. Soit plus d’un tiers ! Nombreuses sont les entreprises de la Silicon Valley à se pencher sur la question.

Dans le domaine aérien, Boeing a, par exemple, déjà annoncé son intention de développer des avions de ligne sans pilote, grâce à une “intelligence artificielle qui prendra des décisions comme un pilote”, a précisé en juin Mike Sinnett, vice-président en charge du développement des produits. Une vision du futur qui n’est pas celle de la SNCF, dont le projet de train autonome “n’a pas pour but de se passer de conducteur”.

Nous imaginons plutôt une complémentarité d’excellence entre l’humain et la machine. La qualité humaine est connue en matière de conduite. Mais la machine bénéficie d’une attention continue, est capable de gérer dix problèmes à la fois et de détecter divers obstacles.” - Luc Laroche

Des infrastructures à repenser

Encore faut-il que les infrastructures qui accueilleront ces transports autonomes soient étudiées pour, non seulement garantir, mais également optimiser leur fonctionnement. En effet, un véhicule autonome n’est capable de “comprendre” son environnement que s’il est également connecté à l’aide de capteurs, qui doivent pour cela pouvoir détecter aussi bien le mouvement (piétons, animaux sauvages, autres véhicules) que des objets vecteurs d’informations (feux tricolores, panneaux de signalisation, passages piétons). Or, si les constructeurs se sont concentrés sur le développement des véhicules, la question des systèmes de communication et d’information entre ces derniers et leur environnement reste pour l’instant encore en suspens. L’idéal serait évidemment que la même technologie soit adoptée par l’ensemble des constructeurs pour que leurs produits puissent interagir ensemble. Mais aucune ne semble pour l’instant s’être imposée. De quoi retarder l’idée d’un réseau entièrement connecté. Or, impossible d’accélérer le déploiement de nouvelles infrastructures tant que la sécurité de leur connectivité n’aura pas, elle aussi, été assurée.

La cybersécurité est l’autre enjeu majeur pour les constructeurs comme pour les gestionnaires de réseau. Car si les véhicules autonomes et connectés doivent permettre de réduire les dangers physiques, ils ouvrent également la voie à de nouveaux dangers, dématérialisés cette fois-ci. Dès 2015, plusieurs experts en sécurité informatique alertaient sur les failles de ces nouveaux véhicules. Simulation d’obstacles qui brouillent les capteurs, lignes au sol incompréhensibles par le véhicule, prise en main à distance des capteurs voire du système de pilotage automatique… Les pirates ont redoublé d’ingéniosité pour imaginer toutes sortes de dangers pour les véhicules autonomes. Aux constructeurs et à leurs partenaires désormais de sécuriser leurs produits. Mais la tâche incombe aussi aux gestionnaires de réseaux et à l’État d’éviter tout piratage des infrastructures sur lesquelles les véhicules seront déployés. Car si le piratage simultané de milliers de véhicules reste une tâche - pour l’instant - hors de portée de n’importe quel plaisantin, celui d’un unique système de signalisation pourrait être tout aussi redoutable sans présenter de grande difficulté si sa sécurité n’a pas été mûrement réfléchie.

Rééduquer l’humain ou le remplacer ?

Ces interrogations pourraient bien retarder le déploiement à grande échelle des véhicules intelligents. Pas de panique pour autant : nombreuses sont les startups à imaginer des technologies pour rendre nos déplacements plus sûrs. D’un boîtier pour améliorer la signalisation des motards (Cosmo Connected) au guidon de vélo lumineux pour aider les cyclistes à se diriger (Velco) en passant par un GPS qui affiche ses instructions directement sur la route devant les yeux des conducteurs de deux-roues (EyeLights), les objets connectés ont pleinement investi le secteur de la sécurité, notamment routière. Avec un point commun : contribuer à éduquer l’humain pour que cyclistes, motards mais aussi automobilistes ou piétons soient plus vigilants.  N’est-ce finalement pas là la meilleure sécurité à long terme ? L’innovation doit-elle forcément être de rupture pour être efficace ? Si l’on en croit l’exemple de l’obligation du port de la ceinture de sécurité en voiture, rien n’est moins sûr : imposée par décret le 1er juillet 1973, elle a permis de réduire le nombre de morts sur les routes de 30% en à peine six mois.

A l’ère du tout numérique, d’autres initiatives sont développées pour alerter, éduquer voire rappeler à l’ordre conducteurs et piétons. La Sécurité Routière s’est illustrée au printemps 2017 par une campagne originale pour rappeler aux piétons la nécessité de traverser uniquement lorsque le feu passe au vert : installé à proximité d’un passage piéton, un panneau publicitaire connecté reproduit le son d’un freinage d’urgence lorsqu’un piéton traverse alors que le feu est rouge, photographie sa réaction de panique et l’affiche en même temps qu’un message préventif. Un dispositif qui n’a rien de révolutionnaire mais qui, pourtant, a le mérite de marquer les esprits. De la même manière, certaines innovations low-tech, comme des passages piétons dessinés en trompe-l’oeil de manière à faire croire aux automobilistes qu’un obstacle se dresse sur la route, pourraient bien se révéler d’une efficacité redoutable tout en étant plus accessibles et réalisables à court terme que des véhicules autonomes.

Ces deux approches ne sont pas forcément antinomiques. Malgré le développement de véhicules intelligents, il sera difficile voire impossible pour les constructeurs d’imaginer des véhicules 100% autonomes. Comment imaginer qu’aucune intervention humaine ne soit possible, par exemple en cas d’urgence ou de déficience des systèmes électroniques ? De l’autre côté, les technologies de plus petite envergure ne suffiront pas, à elles seules, à rendre les transports plus sûrs, alors que la mobilité explose et que le danger est donc démultiplié. Il appartient donc désormais aux différents acteurs de cette révolution, privés comme publics, de s’allier pour la concrétiser au plus vite.