Article initialement publié le 17 septembre 2018

Au cours des cinq dernières années, les valorisations moyennes avant l’apport en capital (pre-money) ont augmenté, essentiellement pour les entreprises en phase de lancement, de l’ordre de 50 à 100% aux États-Unis et de 25 à 50% en Europe. Cette inflation s’explique sans doute par l’afflux de liquidités sur le marché – tant pour les phases de lancement (early stage) que pour les phases de développement/croissance (later/growth stage) –, ce qui offre la possibilité de monter des opérations de plus grande envergure et d’accumuler ainsi plus de trésorerie sur les comptes bancaires des startups.

Dans cette mesure, se soucier du taux d’absorption des liquidités (burn rate) pourrait sembler contre-intuitif : si vous disposez de plus d’argent, alors pourquoi mettre l’accent sur la maîtrise des coûts ? Or, justement, le burn rate devrait être une préoccupation aussi bien des investisseurs que des fondateurs, et ce pour plusieurs raisons.

D'abord, la dilution. Moins la société lèvera de fonds, plus faibles seront les dilutions subies par les fondateurs jusqu’à la sortie. Selon certaines statistiques, l’effet dilutif pour les fondateurs est en moyenne de 55% entre la phase d’amorçage (seed) et les séries D/la sortie, principalement du fait de la levée de fonds. Imaginez que vous puissiez, en tant que fondateur, réduire cette dilution de 5% : cela reviendrait, au bout du compte, à environ 25 millions d’euros de plus dans le cas d’une sortie à 500 millions d’euros. En outre, moins les fondateurs ont besoin de lever des fonds, plus leur pouvoir de négociation est important pour fixer la valorisation lors des différents tours de table et plus la dilution qui s’en suit est faible.

En second lieu, le renforcement de la capacité à pourvoir des postes clés : les capitaux propres pouvant être investis dans les postes clés nécessaires au développement de la société seront d’autant plus élevés que la dilution des fondateurs sera faible, ce qui peut entraîner un effet favorable sur la capacité de croissance et de rendement pour une sortie réussie.

Troisième raison : la création de valeur. Si vous n’avez pas de doutes quant à l’adéquation de votre produit avec le marché et que vous maîtrisez plutôt bien votre canal de distribution et votre croissance, vous êtes probablement peu concerné. Cela étant, lors de la phase de lancement, vous ignorez quelle sera la création de valeur pour chaque euro dépensé, qu’elle soit mesurée par la marge ou par d’autres indicateurs. La création de valeur est un facteur clé pour les investisseurs et une entreprise qui ne parviendrait pas à créer de la valeur sera nécessairement pénalisée. La maîtrise du burn rate vous aidera à y parvenir et à obtenir une valorisation supérieure lors du tour de table suivant.

La quatrième raison, c’est la capacité à maîtriser le risque. Bien que le climat soit plutôt favorable pour le financement des sociétés non cotées en phase de lancement, il ne faut jamais exclure la possibilité d’un revirement de situation, d’autant que les marchés mondiaux de capitaux sont à leur plus haut. Qui plus est, en cas d’assèchement, il sera bien plus compliqué de mener à bien la levée de fonds suivante. Grâce à la maîtrise du burn rate, vous pourrez non seulement poursuivre sur votre lancée en reportant à plus tard votre prochaine augmentation de capital et disposer de davantage de temps pour prouver la valeur de votre société mais également démontrer votre capacité à gérer les fonds dont vous disposez et, par conséquent, à réagir de manière appropriée en période de repli. Vous bénéficierez en outre de plus de flexibilité et de meilleures chances de survie en cas de passages difficiles, risque auquel toutes les startups peuvent être confrontées.

Maîtriser ses dépenses (et y parvenir)

Partant du principe que l’importance de la maîtrise du burn rate est désormais intégrée, encore faut-il atteindre cet objectif. Si l’ambition de votre startup est de réinventer un marché important ou d’en rebattre les cartes, vous aurez sans doute envie d’innover tous azimuts. Il importe alors d’identifier les facteurs essentiels pour permettre à la société de passer à l’étape supérieure.

Vos clients. Au démarrage, les démarches les plus évidentes consisteraient à engager des dépenses pour la mise au point du produit, la formation de l’équipe commerciale et la conception d’une campagne marketing intelligente et d’un positionnement différenciant. Tous ces aspects sont certes importants mais il faut d’abord être sûr que votre offre fonctionne vraiment, en commençant par regarder plus loin : est-ce que vos clients vous payent ? Avez-vous complètement appréhendé leurs besoins ? Maîtrisez-vous le cycle des ventes et les prérequis réellement indispensables pour qu’ils vous sollicitent pour de gros volumes d’achats (y compris ce qui doit changer/se produire pour que ces achats aient lieu) ? La vigilance est particulièrement de mise pour les entreprises ayant pour clients d’autres entreprises, où le cycle des ventes peut se révéler assez long. Les clients, surtout lorsqu’il s’agit de grands groupes, sont longs à s’engager ; il vous faudra durer suffisamment longtemps pour gérer efficacement cette période d’attente précédant leur prise de décision.

Une fois ces éléments bien maîtrisés, veillez à bien définir vos priorités avant d’agir, en gardant en tête qu’elles doivent avoir des conséquences directes sur la création de valeur. Avant de vous lancer dans quelque chose de nouveau, assurez-vous que l’entreprise est capable de tenir ses engagements et que votre stratégie est partagée par tous afin que votre équipe commerciale puisse vendre ce que votre équipe de production peut produire (cela peut sembler évident, mais ça ne l’est pas toujours).

Recruter. Il est clair que la majeure partie des liquidités d’une startup sera absorbée par la rémunération des collaborateurs ; en tant que fondateur, vous devez donc bien gérer l’évolution de votre entreprise. Certains fondateurs peuvent être tentés de recruter très tôt des managers expérimentés, mais, en réalité, vous n’avez pas nécessairement besoin de managers tant que vous n’avez pas atteint la taille critique. Les fondateurs doivent assumer un rôle de managers aussi longtemps que possible. À coup sûr, vos collaborateurs vous demanderont de recruter car c’est une tendance naturelle de vouloir toujours plus de personnes sous sa responsabilité. Gardez le cap et ne cédez que lorsque nécessaire !

Bien sûr, le besoin de pourvoir des postes de managers pourra se faire sentir et recruter est certainement le moyen le plus rapide de le combler car vous avez ainsi l’impression de disposer des compétences dont vous avez besoin au bon moment. Dans certains cas, ce choix est clairement la meilleure solution, mais n’oubliez pas qu’il est nécessaire de développer les capacités d’encadrement de vos collaborateurs et d’encourager la promotion interne : les collaborateurs les plus anciens font en général preuve d’une plus grande fidélité à l’égard de leur employeur.

S’agissant du burn rate, plusieurs autres points mériteraient d’être approfondis et si ceux évoqués ne sont pas exhaustifs, ils donnent une idée des enjeux liés à la question, même quand les liquidités abondent sur le marché. En définitive, ce qui compte réellement, c’est l’attitude des fondateurs : gérez les fonds que vous avez levés auprès des investisseurs comme s’il s’agissait de votre propre argent. Votre état d’esprit ne sera plus du tout le même et vous éviterez que les dépenses dérapent sans que personne ne le remarque.

En réalité, une startup est vouée... à l’échec ! Comme l’indique le rapport Startup Genome, 92% des startups qui lèvent des fonds d’amorçage finissent par échouer. Quelle que soit l’importance des sommes que vous levez, si vous ne maîtrisez pas votre burn rate, vous risquez d’aller droit dans le mur. Alors, un conseil : envisagez dès maintenant chaque euro dépensé comme du temps en moins pour réussir à construire votre réussite.

Fabio Lancellotti, Partner chez Aster