Une formation inadaptée, périmée aussitôt qu’elle s’est achevée et qui ne serait légitimée que par des passages plus ou moins prolongés en entreprise : tels sont les reproches qui sont régulièrement adressés aux écoles d’informatique, chargées de former les développeurs de demain. Le secteur a longtemps mythifié l’autodidacte, celui qui se forme seul dans sa chambre depuis son plus jeune âge, déconsidérant en creux les filières traditionnelles. Mais si les autodidactes sont toujours tenus en haute estime, ils sont rares, en particulier en France où les diplômes sont scrutés de près par les recruteurs. Selon une étude de CodeInGame publiée l’an dernier, 87% des développeurs avaient au moins un diplôme de niveau bac+2 et plus d’un sur deux (57%) présentaient un diplôme de niveau Master.

Au fur et à mesure de la démocratisation du code, les besoins des entreprises ont évolué et les formations se sont elles aussi adaptées. “On constate une hausse du chômage des profils qui ont été spécifiquement formés au code”, souligne Emmanuel Carli, directeur général de l’école Epitech. En cause : le développement à vitesse grand V de logiciels, conçus pour pouvoir être utilisées par tous, sans compétence particulière, et facilement adaptables aux attentes de l’entreprise cliente. “Il est plus facile de s’appuyer sur une solution développée par d’autres que de développer une solution sur-mesure en interne”, note-t-il encore.

Bienvenue aux développeurs couteaux-suisses

Les développeurs seraient-ils donc déjà obsolètes ? Loin de là ! Mais les attentes du marché à leur égard ont mué. “L’informatique doit aujourd’hui être au coeur des équipes métier, ce qui requiert des compétences plus transverses pour avoir un véritable impact sur le business. Les développeurs doivent être capables de comprendre les besoins du marché.” Exit les “devs” qui alignaient naïvement les lignes de code, place au développeur couteau-suisse. “Les développeurs doivent maîtriser les éléments de langage des équipes marketing ou produit”, milite Emmanuel Carli, qui souligne l’importance de “l’interdisciplinarité” du métier.

Les formations doivent s’adapter à ces nouveaux besoins, formant tout aussi bien des entrepreneurs que des intrapreneurs. “L’orientation se résume finalement au problème que l’on a envie de résoudre, remarque le DG d’Epitech. Dans quoi voulons-nous investir notre temps et notre énergie ? Certains vont créer leur entreprise, d’autres vont développer des projets au sein d’une société.” La réponse à cette question détermine également la barrière entre ce qui relève du hobby et une passion suffisante pour devenir un métier à part entière.

Devenir un architecte informatique

Une évolution du métier que les entreprises ont parfois elles-mêmes du mal à intégrer. “Les entreprises ne sont pas dans la démarche de recruter des personnes qui vont trouver de nouveaux problèmes à résoudre, regrette Emmanuel Carli. Elles préfèrent recruter celles qui arriveront à résoudre les problèmes déjà identifiés.” Et prennent ainsi un retard considérable dans la course à l’innovation ! Pourtant, les talents sortant d’Epitech ou d’autres écoles d’informatique n’intéressent plus seulement les startups. Les grands groupes aussi, après avoir longtemps privilégié les profils d’ingénieurs, regardent avec curiosité cette nouvelle génération de développeurs, capables de “détecter” les besoins et les évolutions techniques du marché dans lequel l’entreprise évolue.

Face à la prolifération de formations qui promettent à leurs étudiants de leur apprendre le code en quelques mois - voire, pire, en quelques semaines ! - Emmanuel Carli préfère opposer le temps que nécessite une formation de qualité. “Avant de pouvoir publier un roman dans La Pléiade, il faut savoir lire et écrire, rappelle le DG d’Epitech. En matière de code, il est important de connaître l’anatomie des systèmes avant d’utiliser les langages.” Plutôt que d’apprendre à empiler des briques, les étudiants acquièrent les bases de l’architecture informatique, plus utile à la compréhension holistique d’un projet. D’autant que, comme il le rappelle avec malice, “savoir coder ne signifie pas avoir la capacité de créer le prochain Amazon”.

C’est tout l’intérêt “d’apprendre à apprendre”, une méthode qui donne également davantage leur chance à des profils variés (jeunes sans baccalauréat, personnes en reconversion, salariés en quête d’une double compétence…). Car si les publics et la façon d’enseigner ont évolué, l’objectif de la formation, lui, reste toujours le même : “emmener les étudiants à leur potentiel maximal, quel qu’il soit”.

Maddyness, partenaire média du Groupe Ionis