Notre activité part d’un constat assez universel : la transition entre le monde étudiant et le monde professionnel est souvent délicate. Nous avons créé JobTeaser, plateforme de recherche de stage et d’emploi, pour aider les étudiants et jeunes diplômés dans leur orientation professionnelle. Aujourd’hui, nous équipons avec notre plateforme 500 établissements, universités et écoles en Europe, ce qui nous permet d’accompagner plus de 2 millions de jeunes talents.

Mais notre développement en Europe a généré de nombreuses remises en question sur tous les fronts : l’humain, la vente, le produit ou le juridique. Il y a eu un vrai jeu d’équilibre à trouver, entre le siège et les pays, entre l’ancrage territorial et la scalabilité, entre le besoin de garder la main sur le développement de la boîte et le choix de faire confiance à des équipes résilientes, engagées et expertes. Avec un peu de recul sur mon expérience et sur l’aventure que j’ai pu vivre avec nos équipes, voilà les conseils que j’aimerais partager aux entrepreneurs qui se lancent  à l’international.

Tip N°1 : Ne pas minimiser la complexité du continent.  

Dans un pays comme les États-Unis, le marché est tel qu’il est possible d’atteindre une taille critique tout en restant " local ". Mais pour " scaler " sa startup sur le continent européen c’est une toute autre histoire : le marché est disparate, et cela revient presque à partir de 0 sur chaque pays qu’on veut intégrer. A chaque étape, il est incontournable de s’appuyer sur une analyse économique solide, et se libérer d’idées préconçues qui peuvent nous influencer.

C’est un constat auquel nous nous sommes d’ailleurs heurtés plusieurs fois : en Belgique, où le stage ne fait pas partie du parcours étudiant, en Allemagne, où le service carrière ne détient pas la même place dans l’université que dans une grande école française, ou encore au Royaume-Uni, qui est à la pointe de l’innovation en matière d’orientation.

Dans quel pays aller ?

Nous avons bien sûr commencé par mener des études de marché sur le potentiel des différents pays européens, en termes de chiffre d’affaires des entreprises, mais aussi par rapport au potentiel d’acquisition d’audience et d’équipement des universités dans les pays.  

Notre phase initiale d’exploration sur le terrain, accompagnée d’acteurs locaux, nous a confirmé une hypothèse :  il y avait une place à prendre, et vite, car les universités sont en plein processus de modernisation dans la manière d’accompagner les étudiants.  Ce constat nous a poussé à faire un choix particulier et conséquent : ouvrir dix pays en même temps pour devancer la concurrence (dont l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Espagne et le Royaume-Uni).

Tip N°2 : Recruter des natifs, et leur faire confiance

S’appuyer sur des personnes natives est incontournable lorsqu’on veut se développer à l’international. Ce sont elles qui vont vous aider à appréhender les besoins locaux, que ce soit en matière d’adaptation du produit, d’approche de vos interlocuteurs, ou de prise de décisions marketing,

Ces personnes seront-elles basées au siège ou dans les pays ?

Notamment en début de parcours, il y a des choix décisifs à faire sur la localisation des équipes pays. Dans chaque cas, il y a évidemment des avantages et des inconvénients liés au salaire et à la capacité (il est plus difficile de recruter 15 allemands à Paris qu’en Allemagne !). Nous avons imaginé un développement en quatre phases :

Phase 1 : Les équipes internationales opèrent depuis Paris

Au départ, nous avons recruté une seule personne par pays, basée à Paris, l’idée étant de délocaliser et faire grandir les équipes au fur et à mesure. Cela permettait aux collaborateurs internationaux de s’imprégner de la culture d’entreprise et des process, et de rester dans une dynamique collective. C’était évidemment aussi une manière pour nous de rester agiles dans la gestion des coûts dans cette phase initiale (location de bureaux, etc.).

Phase 2 : Les équipes internationales opèrent depuis les pays

Une fois que nous avons pu confirmer que nous avancions dans la bonne direction, nous avons commencé à ouvrir des bureaux et à recruter des équipes sur place. A ce moment-là, nous avons fait face à de nombreuses questions juridiques et de ressources humaines, il faut donc bien se préparer.

Phase 3 : Un “Country Launcher” chapeaute chaque équipe pays

Nous avons plutôt fait le choix de nommer des “country launchers” : des managers intérimaires, qui, comme leur nom l’indique, ont le rôle significatif de “lancer” un pays. Le choix d’un " country launcher " n’est pas anodin. Nous avons choisi des managers ayant déjà fait leurs preuves au siège, tout en n’ayant aucune peur de mettre les mains dans le cambouis ! Car lancer un pays n’est qu’une succession de défis, qu’ils soient liés au business, au recrutement, ou au management au quotidien.

Phase 4 : Le “Country Launcher” recrute un Country Manager

Non seulement nos Country Launchers accompagnent le développement de l’activité de JobTeaser sur le pays jusqu’à ce qu’elle soit stabilisée, mais ils doivent aussi recruter un “Country Manager” local. Le travail se fait ensuite en binôme avec cette personne pendant un certain temps. Cette phase est essentielle pour s’assurer que le pays puisse voler de ses propres ailes une fois le manager intérimaire parti. Ces recrutements sont clés, car la personne qui reprendra le pilotage du pays doit être polyvalente, agile, et incarner la culture et les valeurs de votre entreprise.

La question de la préservation de notre culture dans tous les pays où nous sommes présents est d’ailleurs un sujet auquel nous sommes particulièrement attentifs.

Comment préserver sa culture d’entreprise ?

Dans une startup, et particulièrement chez JobTeaser, l’enjeu de la culture d’entreprise est fort. C’est une question sur laquelle nous avons passé énormément de temps : la définition de nos valeurs (à savoir le HEAT : l’Humilité, l’Engagement, l’Agilité et l’enThousiasme), et la manière dont elles sont vécues par nos collaborateurs.

Pour faire en sorte que cette culture, si forte et si présente au siège, soit ressentie de la même manière à l’international, plusieurs facteurs sont à prendre en compte :

S’assurer que les personnes soient un bon “fit culturel” pour vous à la base.

En tant que startup RH, c’est un point qui nous tient particulièrement à cœur : chaque recrutement est soigné, et l’adéquation de chaque candidat avec nos valeurs est confirmée par plusieurs personnes. La pire erreur à commettre serait de recruter “en urgence” des personnes dont vous ne seriez pas convaincues. Comme le dit Dan Jacobs, Head of Talent chez Apple “You would rather have a hole [in your team] than an asshole”!

Les accueillir au siège

Nos nouvelles recrues internationales participent aux journées " onboarding " que nous organisons au siège à Paris, aux côtés de nos collaborateurs français. L’occasion de revenir ensemble sur les valeurs qui nous caractérisent, et de créer des affinités entre nouveaux arrivants, quelle que soit leur nationalité.

Déterminer à quelle fréquence elles viennent au siège

Faire venir vos équipes internationales au siège est un excellent moyen de créer des ponts et des échanges inter-pays. Il reste à déterminer la fréquence de ces visites.

Tip N°3 : S’ouvrir à l’interculturel

Il est indispensable de rester attentif à la gestion des équipes très diverses en interne. Vos collaborateurs internationaux sont certes les premiers concernés mais il ne faut pas oublier non plus vos équipes françaises, qui devront s’habituer, par exemple, aux réunions d’équipes en anglais.

Cet apprentissage intercutlurel est passionnant, il oblige à prendre du recul sur soi-même, à comprendre dans un même temps ce qui est perçu comme étant un comportement typiquement français. Comme dit souvent notre Country Launcher UK, “C’est un apprentissage qui dépasse le boulot : tu apprends sur toi-même, et en même temps, t’apprends l’Europe !”.

Tip N°4 : Trouver l’équilibre entre localisation et scalabilité du produit

Après l’équipe, on en vient au produit lui-même. Et tout entrepreneur le sait : il faut rester “scalable”, et faciliter la reproductibilité sur différents pays. C’est ainsi que le produit doit être pensé.

Mais d’un marché à l’autre, les besoins ne seront jamais parfaitement identiques ! Selon votre produit, vous pouvez être amenés à remettre en question le prix, les fonctionnalités, l’approche. Il faut pourtant choisir ses combats : si l’on ne fait que localiser et transformer son produit, on perd en " scalabilité ", en temps et en ressources. C’est pourquoi la compréhension du marché, et l’apport de personnes natives et expertes sont clés : ils vous permettront d’identifier les choix de localisation qui seront déterminants pour votre entrée sur le marché. Par exemple, en Espagne, l’intégration d’un système de convention de stages au Career Center by JobTeaser était un incontournable pour percer.

Tip N°5 : Ne pas hésiter à revoir son organisation  

Cette manière de fonctionner nous a permis de remettre en question notre organisation en interne.

Auparavant nos équipes étaient, dans un certain sens, assez cloisonnées : une partie signait et gérait nos partenariats avec les écoles, tandis que l’autre s’occupait des entreprises. Nous nous sommes rendu compte en nous développant qu’il y avait un manque de communication à surmonter au sein de l'équipe, car les collaborateurs raisonnaient par métier plutôt que par zone.

Aujourd’hui, nous donnons plus de poids au pays qu’au métier ou la cible : in fine, un responsable du développement côté universités en Espagne à tout intérêt à se synchroniser avec un commercial qui travaille sur l’Espagne avant de s’aligner avec un responsable universités pour l’Allemagne !

Ces remises en question de votre organisation peuvent mener à de nouvelles approches, qui rendront vos équipes pays plus soudées et plus efficaces.

Tip N°6 : Être à l’écoute de ses équipes

Se développer sur un, deux ou dix pays, implique que l’équipe grandit très rapidement. Chez JobTeaser, nous avons doublé les effectifs chaque année depuis notre levée de fonds de 2015, et chaque vague de nouveaux arrivants augmente la distance entre les cofondateurs et la réalité du terrain. C’est pourquoi j’insiste sur le fait de rester à l’écoute des personnes qui mettent en œuvre la mission de votre entreprise au quotidien.

Nous avons aussi mis en place des moments de transparence et de partage. Une fois par mois, nous organisons des sessions libres de Q&A avec mon co-fondateur Nicolas, et moi-même. C’est un excellent moyen de prendre la température de ses équipes, de comprendre leurs besoins, leurs craintes et leurs aspirations, pour mieux y répondre ensemble.

Notre aventure à l’international ne fait que commencer, mais, forts de nos premiers enseignements, nous sommes confiants pour la suite. Car, sans avoir toutes les réponses, nous connaissons aujourd’hui les questions, et nous nous engageons à y répondre avec le sérieux et la méthode d’un leader européen. Comme le disait l’auteur américain Leon Megginson, " Ce ne sont pas les plus forts, ni les plus intelligents qui réussiront, mais ceux qui sauront le mieux gérer le changement ".