Les fintechs ne seraient-elles pas en train de passer à côté du marché en ne s’adressant qu’aux riches ? Cartes de paiement au design sophistiqué, expérience utilisateur de pointe, assurances et services haut de gamme… Ces fintechs offrent souvent des services très similaires. Quand on s’y intéresse de plus près, on remarque qu’ils encouragent tous la “consommation” plutôt qu’une bonne gestion bancaire. Et si l’avenir des fintechs n’était pas ce TGV vers la consommation ?

La disruption bancaire, une affaire de riches ?

Chez les fintechs, ce sont les néo-banques qui occupent le plus de place dans notre quotidien. On en compte 18 en activité en France à l’été 2019, selon le cabinet KPMG . Elles revendiquent 1 des millions d’utilisateurs en France, en Europe, voire dans le monde. Leurs utilisateurs sont fiers de dégainer leurs magnifiques cartes métalliques un peu partout dans les lieux branchés, dans les aéroports ou encore sur Instagram. Et pour cause : ces néo-banques proposent de payer et d’échanger des devises dans le monde entier, sans de coûteux frais de change et de façon instantanée. Rien de mieux pour voyager. Cerise sur le gâteau : on peut accéder à une partie de ces offres complètement gratuitement. C’est un vrai progrès car les banques classiques continuent de facturer des frais exorbitants pour chaque opération effectuée à l’étranger.

Dans les offres des néo-banques, comme celles de l’allemande N26 ou l’anglaise Revolut, tout est en self-service, tout est automatisé : l’expérience est 5 étoiles, les apps sont léchées et minimalistes, on vend du luxe à prix abordable. Un vernis impeccable sur une offre superflue ? Cette offre est complétée, pour les versions premium, par une palanquée d’assurances voyage ou pour smartphone ultra complètes, de services additionnels haut de gamme comme une conciergerie ou encore la possibilité de se constituer un portefeuille de crypto monnaies.

Bref, des services annexes à l’activité bancaire, qui ne servent qu’à une infime partie de la population, CSP+ connectés, ou grands voyageurs. À part Nickel, véritable pionnier néo-bancaire, qui a été le premier à s’intéresser à une population plus large (mais sans autorisation de découvert par exemple), les autres néo-banques jouent toutes sur le même terrain, là où il y a de l’argent, en négligeant de proposer des produits bancaires traditionnels comme le prêt ou une épargne.

Ils pensent réinventer la banque mais passent à côté du coeur de métier

En effet, les nouveaux acteurs bancaires pêchent quand on en vient au véritable quotidien bancaire de monsieur et madame tout le monde. Leur offre est souvent incomplète : ils offrent une carte sans frais mais pas de découvert, des retraits possibles mais payants, des espaces pour économiser mais pas de rémunération d’épargne. Et pour ce qui est de plus gros projets, peut-on vraiment compter sur elles pour accompagner leurs utilisateurs ?

Peu ou pas de trace de prêt, de crédit ni d’épargne… les néo-banques tâtonnent quand on passe au crible leurs produits bancaires. Elles sont encore loin de proposer dans leurs applications ce que les banques traditionnelles proposent au sein de leurs agences. Et pour cause, leurs principales innovations tournent autour du paiement (de la consommation donc) : des paiement immédiats en devises du monde entier grâce à des cartes métalliques. Leur cible a de l’argent et cherche à le dépenser lors d’une expérience de paiement parfaitement fluide, sans friction. Même les offres additionnelles, comme les assurances, se concentrent sur des populations aisées, qui voyagent en avion ou qui cherchent à être assurées lors de leurs séjours au ski. En revanche, pas d’assurance habitation ou voiture : les néo-banques ne comptent pas forcément accompagner le quotidien, mais plutôt l’exceptionnel.

Le conseil bancaire, ou l’atout principal des banques

Pendant que les néo-banques déferlent littéralement sur le marché, les agences bancaires ferment en France, bien qu’elles constituent l’avantage principal des banques par rapport à leurs sœurs numériques : l’accompagnement humain. En dix ans les banques françaises ont fermé 5 % de leurs agences et on attend 20 à 30 % de guichets en moins dans les années à venir . Les banques misent de plus en plus sur une stratégie en ligne, pour faire des 2 économies. Habile, mais risqué. Elles savent proposer des produits bancaires performants, en épargne ou en crédit, contrairement aux néo-banques, mais elles peuvent aussi proposer ces produits à leurs clients grâce à leurs employés, directement en agence. C’est d’ailleurs même leur plus gros avantage, coûteux certes, mais qui leur assure la fidélité de leur clientèle.

Les Français ont encore confiance en leur banquier (et c’est tant mieux) : 73 % des Français déclarent encore être satisfaits de leur conseiller, qu’ils estiment compétent. Et pour cause : c’est le conseiller bancaire qui vous accompagne dans vos projets de vie, pour des crédits ou pour l’ouverture du livret A de vos enfants. C’est un conseil humain et personnalisé, et pour certaines personnes, un allié de long terme qui vous connaît et vous suit depuis de nombreuses années. Mais bien souvent, ces conseillers n’ont pas les outils à disposition pour analyser vos données bancaires et vous aider à faire des choix en conséquence, en temps réel. Le banquier est parfait pour les projets long termes, mais peut être aussi perdu que vous quand on en vient à votre gestion quotidienne, ou pour un petit coup de pouce.

Micro-épargne et finance pour tous : comment rendre l’innovation bancaire inclusive ?

Les néo-banques ont pour objectif de devenir le compte principal de leur client dans les mois à venir : combien réussiront ? La plupart d’entre elles ont choisi la même cible, ces CSP+ qui voyagent beaucoup, sans se soucier de proposer des outils peu chers et financièrement efficaces. Pourtant la plupart des Français sont de temps à temps à découvert : 60% des Français dépassent leur limite de découvert au moins une fois par an (Etude Panorabanques 2017) pour répondre au besoin quotidien de leur cible actuelle.

À l’heure où la technologie se veut plus durable et éthique, l’enjeu principal de la disruption bancaire n’est pas de se substituer aux banques traditionnelles à l’aide d’un marketing astucieux et de produits additionnels inutiles qui cachent une offre bancaire partielle. À la place, il s’agit plutôt de proposer un service additionnel aux banques traditionnelles, en ajoutant de nouvelles fonctionnalités à des services bancaires essentiels déjà existants. Par exemple, proposer, sur un livret d’épargne traditionnel, une solution de micro-épargne intelligente, qui s’adapte aux dépenses de l’utilisateur et qui lui prodigue des conseils.

Les données de transaction et les algorithmes qui en découlent ne sont pas encore pleinement exploitées par les banques : les conseillers ne les utilisent pas pour informer leurs clients, et c’est une perte. C’est là la véritable plus-value des fintechs : mettre la donnée bancaire au service du plus grand nombre. En analysant ces données et en les communiquant aux utilisateurs, on a la possibilité de venir enrichir des produits bancaires déjà performants proposés par les banques : les offres bancaires deviennent personnalisées et s’adaptent à tous les types de profils, et elles coûtent moins cher aux banques car elles ne sont proposées qu’aux bonnes personnes, au bon moment. L’analyse des données bancaires doit œuvrer pour une finance personnelle plus durable et éthique. Par exemple, on peut éviter les situations de surendettement en ne se basant plus sur ce que les emprunteurs déclarent, mais en prenant en compte les véritables situations bancaires. Avec la connaissance que leur apporte l’analyse des données, les clients ont la possibilité de faire de meilleurs choix financiers. On leur donne le pouvoir de réaliser des projets, et plus de liberté pour faire de meilleur choix financiers.

Aux États-Unis, les fintechs l’ont déjà bien compris et plusieurs acteurs comme Dave, Even ou Earnin se positionnent déjà sur ce créneau. Il est maintenant temps que les fintechs françaises et européennes y travaillent. Mais pour permettre à ce genre de solutions de se développer ailleurs qu’aux États-Unis, il faut que les banques traditionnelles comprennent l’intérêt qu’elles ont à travailler main dans la main avec des fintechs, et qu’elles ouvrent des APIs performantes, comme l’exige la Directive européenne sur les Services de Paiement 2 (DSP2). Et ça, ce n’est pas encore gagné : la plateforme suédoise d’open-banking Tink publiait il y a quelques jours une étude qui montre qu’aucune API de banque n’est prête à être utilisée pour de bon, à quelques semaines de la date limite fixée par la DSP2.

Florent Robert est le fondateur de Bruno, application de microépargne