Portfolio par Jean-David Chamboredon
4 octobre 2019
4 octobre 2019
Temps de lecture : 6 minutes
6 min
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Le capital-risque est-il « toxique » ?

Avoir plus d'argent n'est pas toujours une bénédiction. Jean-David Chamboredon, CEO d'ISAI, évoque l'éventuelle toxicité du capital-risque, de plus en plus souvent soulignée par certains entrepreneurs qui lui préfèrent une croissance organique.
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Tribune initialement publiée en juillet 2017

Nous avons  d’un côté un écosystème venture en France qui est en croissance : les levées de fonds se multiplient avec des tours de table de plus en plus "à l’Américaine". De l’autre, les témoignages d’entrepreneurs "avisés" abondent expliquant pourquoi ils n’ont pas levé de fonds auprès de la confrérie du capital-risque et un certain nombre de crashs sont rapportés par les médias relatant comment telle ou telle startup a dû jeter l’éponge quelques trimestres après une levée de fonds jugée pourtant spectaculaire et prometteuse lors de son annonce…

Si l’on adopte un point de vue macro, l’afflux de capital que connaît notre écosystème aura deux grandes conséquences :

  • Un certain nombre de startups tricolores beaucoup mieux financées qu’elles ne l’auraient été il y a quelques années vont pouvoir connaître une trajectoire beaucoup plus ambitieuse et revendiquer dans quelques années un leadership européen voire mondial alors qu’être simplement sur le podium européen aurait été leur meilleur destin sans les moyens additionnels qui leur sont donnés. La prime stratégique attachée à une position de leader sera révélatrice d’une création de valeur supérieure (pas forcément en multiple mais certainement en valeur absolue). Cette création de valeur sera synonyme de création d’emplois, de croissance du PIB et de capacité de l’écosystème à réinvestir dans des projets de plus en plus ambitieux…
  • Un certain nombre de fails viendront écorner cette logique pourtant vertueuse. Certains entrepreneurs et investisseurs devront prendre leurs pertes. Les media se feront l’écho des mises en liquidation ou "ventes à la casse" de startups désignées pourtant comme des pépites quelques temps auparavant. Les secteurs ou modèles économiques concernés seront (totalement ou partiellement) mis en jachère par mes confrères le temps de digérer ces mauvaises pilules…

La résultante de ces deux phénomènes sera positive pour les entrepreneurs à succès et pour les investisseurs qui auront su construire leur portefeuille avec un mix succès/échec favorable. Le rendement marginal d’un euro de capital connaitra sans doute un plafond voire un recul mais l’écosystème aura connu un changement d’orbite quantique et la ParisTech sera sans nul doute installée au cœur du top 10 mondial (avec quelques clusters Américains comme LA, NYC, Boston… et des villes-capitales comme Londres, Tel Aviv…).

Si l’on prend maintenant le point de vue de l’entrepreneur (et de ses investisseurs early stage qui sont dans le même bateau), faire partie des succès est une aspiration plus que légitime mais monter à bord de la voiture-balai des échecs pourrait in fine être le verdict de nombreuses années d’espoir et de sacrifice…

On peut bien évidemment éviter cela en ne recourant pas au capital-risque, en adoptant un modèle autofinancé (faible injection de capital au départ puis éventuel financement complémentaire via de la dette) et en adaptant en conséquence son taux de croissance. Hors exception (et il y en aura toujours), la trajectoire suivie ne sera pas alors celle de l’hyper-croissance, l’horizon de temps pour émerger en tant que leader ne sera pas volontariste, l’ambition (que d’aucuns jugeront comme très saine) sera avant tout de prospérer sans faillir…

Si l’on décide malgré tout de rentrer dans la catégorie des "VC backed companies", il faut en accepter les règles du jeu mais également en connaître les pièges.

Chez ISAI, en tant que plus gros fonds d’entrepreneurs français et en tant qu’investisseur en capital-risque intervenant en amorçage et post-amorçage, nous avons avec les entrepreneurs que nous finançons un dialogue nourri sur ces différents pièges. Nous considérons de notre devoir (et de notre intérêt) d’alerter et d’anticiper sur la bonne façon d’écrire une equity story dont les entrepreneurs ne seront pas les dindons de la farce… Si l’entrepreneur était un pilote de rallye automobile, nous serions un co-pilote lui annonçant les virages en épingle à cheveux et les risques de plaques de verglas… Nous voulons éviter (et pourtant, cela nous arrive) que nos entrepreneurs finissent la course dans une dépanneuse !

Je résume souvent la ligne de conduite que nous donnons à nos entrepreneurs à l'oxymore latin festina lente ! ("hâte-toi lentement"). Oui, il faut aller vite, délivrer de l’hyper-croissance (plus de 100% pendant plusieurs années de suite) et se mettre en position de revendiquer successivement un leadership local, continental, international… Non, il ne faut pas se laisser griser par une levée de fonds record, un billet laudatif sur Techcrunch ou surtout par un modèle économique pérenne qu’on finira bien par trouver… La lucidité dont saura faire preuve à tout moment l’entrepreneur sera décisive en cas d’adversité et je ne connais aucune histoire entrepreneuriale à l’abri de toute adversité !

Comme le dit justement Xavier Niel, les premières années des startups en France sont dorénavant assez faciles : subventions, financements et assistances diverses (ex : incubation/accélération) sont disponibles pour "donner sa chance au produit". Après, il faut savoir nager dans le grand bain puis survivre et réussir en haute mer au milieu des paquebots et des requins.

Si j’essayais de recenser toutes les erreurs à ne pas faire et tous les phénomènes adverses à anticiper, ce post deviendrait un livre (que j’écrirais peut-être un jour)… mais puisqu’il s’agit ici de répondre rapidement à la question d’une éventuelle malignité du capital-risque, concentrons-nous pour finir sur ce que peut être un tour de table "toxique". On peut, en fait, le repérer en répondant aux questions suivantes :

  1. Les entrepreneurs et les investisseurs existants et nouveaux sont-ils tous conscients des éléments qui restent à "craquer" pour construire un business pérenne ?
  2. La valorisation "post-money" et le "cash burn rate" projeté sont-ils compatibles d'un refinancement externe voire d'un refinancement interne ?
  3. Existe-t-il un plan B activable par anticipation qui permettra d’allonger le "runway" ou de s’approcher du "break even" en cas de sous-performance ou de difficulté non résolue ?

Si la réponse à ces trois questions est "non" ou "I don't care", l'entrepreneur devrait voir apparaître, dans son rétroviseur, une voiture-balai ou une dépanneuse dès lors que la trésorerie de sa startup descendra en dessous de 6 mois de "runway" !

Mieux vaut, à mon humble avis, s’être posé lucidement et en profondeur toutes ces questions en amont dudit tour de table !

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