19 mars 2020
19 mars 2020
Temps de lecture : 5 minutes
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Le coronavirus met le capital-risque à rude épreuve

Entièrement focalisés sur leurs participations, les investisseurs ont mis un brutal coup de frein au déploiement de leurs fonds. De quoi contrarier les plans des startups qui s'apprêtaient à lever. Et interroger leur modèle de développement.
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Avec une seule levée annoncée cette semaine, le coronavirus semble avoir grippé la machine, pourtant très bien huilée, du capital-risque. Depuis l'automne et l'annonce par le gouvernement du déblocage de 6 milliards d'euros pour financer les startups et scaleups françaises, les méga-tours de table se sont succédé, ainsi que les opérations à plusieurs dizaines de millions d'euros. Certains esprits chagrins évoquaient une bulle qui finirait par éclater, d'autres militaient pour la rentabilité avant l'hypercroissance. Mais ces voix discordantes ne semblaient pas pouvoir couvrir le bruit de la vague de capitaux s'abattant sur l'écosystème.

Et pourtant. L'épidémie Covid-19 a subitement ramené la startup nation à la dure loi de la réalité : l'arrêt de la production chinoise et le confinement des populations paralyse l'ensemble de l'économie. Confinés chez eux, les particuliers limitent leurs achats ; les entreprises sont mises à l'arrêt, ce qui a un impact également sur les activités B2B. L'heure est davantage à la gestion de crise qu'au financement de la prochaine licorne.

Soutenir les sociétés en portefeuille

"Notre priorité, c'est d'aider les associés des entreprises de notre portefeuille, explique Marc Ménasé, à la tête du startup studio Founders Future. Il faut évaluer leur situation, les soutenir dans la mise en place de mesures d'urgence si c'est nécessaire, faire évoluer l'offre en cas de besoin." Avec un seul mot d'ordre, qui paraissait encore anachronique il y a quelques semaines : la frugalité. "Nous entrons dans une période d’incertitude totale quant à la durée de la crise, son impact sur l’économie et ses acteurs, ses conséquence sur les entreprises, les clients de nos startups, résume Julien-David Nitlech, fraîchement nommé managing partner du fonds Iris Capital. Le cash est maintenant l’enjeu premier de la vie de nos sociétés et sa gestion notre priorité dans la façon dont nous les accompagnons en ce moment. Combien en ont-elles ? comment l’optimiser ? comment le faire durer plus longtemps ? comment en trouver ?"

Pour les plus touchées, cela pourrait passer par la mobilisation de lignes d'investissement initialement destinées à leur croissance ; "lorsqu'on investit, on prévoit de déployer de l'argent à long terme, rappelle Marc Ménasé. Aujourd'hui, il s'agit de prendre nos responsabilités d'investisseur : on mobilisera de l'equity s'il y en a besoin" . Il s'agit donc d'aider les participations à survivre avant d'espérer croître. "Nous aidons particulièrement celles et ceux qui ne sont pas habitués aux restrictions budgétaires, souligne Julien-David Nitlech. Nous les aidons à faire les bons choix dans leurs finances, dans leur gestion des équipes, nous les rassurons et nous les accompagnons autant qu'elles et ils en ont besoin dans leur gestion commerciale, produit, leur management."

Pour les entreprises qui, au contraire, voient leur activité se démultiplier avec la crise - comme c'est le cas pour les startups de livraison alimentaire, à l'instar d'Epicery, née chez Founders Future - il s'agit de leur fournir tous les moyens pour encaisser la charge.

Les levées de fonds à l'arrêt... ou presque

Les investisseurs n'auraient-ils d'yeux que pour les startups déjà en portefeuille ? Pas tout à fait, à en croire le baromètre VC-19 publié mardi 24 mars par Chausson Finance. Ainsi, si 25% des 68 fonds interrogés ont bloqué purement et simplement leurs investissements, la grande majorité des VCs continuent d'étudier leur deal-flow... avec quelques ajustements. Ainsi, les opérations en phase de finalisation devraient réussir à se boucler, comme en attestent les 25% de fonds qui ont répondu ne plus traiter de nouveaux dossiers mais continuer les process les plus avancés. "On n'a qu'une parole, assure Marc Ménasé. Tous les engagements que nous avions pris avant la crise seront respectés, avec un closing dans les semaines à venir." Bonne nouvelle pour celles et ceux qui craignaient de devoir reporter leur mariage financier.

En revanche, pour les entrepreneur·e·s qui entamaient tout juste leur parade nuptiale, c'est une autre affaire. 45% des répondants au baromètre ont ainsi reconnu traiter les nouveaux dossiers mais temporiser, alors que seulement 6% ne changent rien à leur organisation habituelle. "Nous disons aux dossiers qui débutent leur roadshow que nous ne pourrons pas prendre de décision dans les trente prochains jours", tranche le fondateur de Founders Future. Un rafraîchissement qu'a subi Patrick Joubert, fondateur de la jeune pousse Ponicode, en plein processus de levée de fonds. "Certains investisseurs nous disent qu'ils ne continueront pas le processus, qu'ils préfèrent se concentrer sur leurs lignes d'investissement existantes ; d'autres qu'ils ne peuvent pas investir à l'heure actuelle mais qu'on reste contact", témoigne l'entrepreneur.

De quoi entamer son optimisme quant à la possibilité de boucler sa levée cette année ? Pas du tout. "Quelques investisseurs restent intéressés : leur fonds est constitué, ils ont de l'argent à dépenser et la crise ne change rien à ça. L'argent n'a pas subitement disparu !"  En revanche, l'entrepreneur pourrait bien changer de cible, en se tournant notamment vers les family offices qui montrent des signes encourageants. "Nous essaierons de trouver des investisseurs qui ont compris que le marché était en train de se restructurer et qui sauront s'adapter à la nouvelle réalité" , veut croire Patrick Joubert, qui espère toujours un closing d'ici juin. Coûte que coûte ?