Tribunes par Camille Smadja
3 avril 2020
3 avril 2020
Temps de lecture : 8 minutes
8 min
6119

Covid-19 : 5 conseils pour éviter un contentieux prud’homal

En ces temps d'incertitude, il peut être tentant de prendre des décisions hâtives pour sauver son entreprise. Attention toutefois à ne pas bafouer des règles élémentaires en termes de droit du travail.
Temps de lecture : 8 minutes

Un peu plus tôt dans la semaine, le ministère du Travail recensait 3,6 millions de salariés mis au chômage partiel. Si ls dispositif est utilisé par plus de 400 000 entreprises ou établissements aujourd'hui, la sauvegarde de son entreprise peut mener à prendre d'autres décisions qui pourraient se retourner, au final, contre l'employeur. Voici quelques conseils à appliquer.

Assurez la sécurité de vos salariés et protégez leur santé physique et mentale

Le Code du travail impose à l’employeur de prendre toutes les mesures possibles pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. En cette période de crise liée à l’épidémie du Covid-19, il convient de distinguer selon que l’entreprise reste ouverte, ou non, au public.

Lorsque l’entreprise reste ouverte et que les salariés travaillent, le Gouvernement a indiqué, sur sa page internet dédiée - https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus - que la mise en œuvre de l’obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés consistait, pour l’employeur, notamment, à permettre à chacun de ses salariés d’effectuer les " gestes barrières " (affichage des " gestes barrières " au sein de l’entreprise et mise à disposition de solutions hydroalcooliques), à mettre en place des mesures de distanciation (matérialisation pour les postes de travail fixes et/ou bande de marquage au sol), à équiper les personnes en charge du nettoyage des sols et surfaces de blouses à usage unique et de gants de ménage, et à entretenir les sols en utilisant une stratégie de lavage-désinfection humide.

L’employeur est tenu à une obligation de moyen, c’est-à-dire qu’il n’a pas l’obligation de parvenir à l’absence de contamination de ses salariés ; il doit en revanche tout mettre en œuvre pour éviter qu’un salarié ne soit contaminé. Les obligations de l’employeur tiennent donc à évaluer régulièrement les risques, à se tenir informé des recommandations du gouvernement, et à prendre toutes les mesures utiles pour protéger les salariés exposés. A ce titre, l’employeur devra actualiser le document unique d’évaluation des risques, et s’assurer de l’information des salariés sur les mesures de prévention afin qu’ils puissent prévenir le risque sanitaire.

Ce n’est que si les mesures prises n’ont pas été suffisantes pour assurer la sécurité de ses salariés que la responsabilité de l’employeur pourra être recherchée, et ce, en amont même de toute atteinte à l’intégrité physique ou mentale d’un de ses salariés. La responsabilité de l’employeur devra toutefois être démontrée et sera évaluée au cas par cas, au regard, notamment, de la nature des activités du salarié et de son niveau d’exposition aux risques, de la compétence de l’intéressé, de son expérience, de l’étendue des mesures prises par l’employeur en termes de formation et d’information, de l’organisation du travail, et des instructions délivrées à la chaine hiérarchique.

Lorsque l’entreprise est fermée et que les salariés télétravaillent, l’employeur est tenu à la même obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale de ses salariés. Il doit donc rappeler à ses salariés, notamment, les principes de sécurité de base de branchement électrique des équipements informatiques, la posture à adopter devant leur écran pour éviter l’apparition de troubles musculosquelettiques, les pratiques en termes de déconnexion afin de respecter les horaires de travail, les modalités de prise de contact non habituelles mises en place pour l’entreprise en faveur du travail en équipe pour éviter l’isolement et la démotivation, et les possibilités techniques pour solliciter les interlocuteurs pouvant leur apporter de l’aide en cas de difficultés liées à l’utilisation des outils informatiques.

Préférez le chômage partiel au licenciement économique

Pour éviter tout licenciement économique, sans toutefois les interdire, le Gouvernement a largement incité les entreprises, dès lors qu’elles justifient d’une baisse d’activité, à recourir au dispositif du chômage partiel, en élargissant la catégorie des salariés éligibles à ce dispositif, en augmentant l’indemnisation des heures chômées à destination des entreprises, et en exonérant les entreprises de leurs charges sociales dans l’hypothèse où elles souhaiteraient maintenir la rémunération de leurs salariés à 100%.

En ce qui concerne les salariés pouvant avoir recours au chômage partiel, l’ordonnance du 27 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière d’activité partielle élargit la catégorie des salariés éligibles au chômage partiel, d’une part, aux salariés cadres au forfait dès lors qu’ils subissent une réduction de l’horaire de travail ou que l’entreprise dans laquelle ils travaillent est fermée, et d’autre part, aux salariés qui sont employés par une entreprise ne comportant pas d’établissement en France, lorsque l’employeur est soumis, pour ces salariés, aux contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle et aux obligations d’assurance contre le risque de privation d’emploi au titre de la législation française.

En ce qui concerne le calcul de l’indemnisation des heures chômées, le décret du 25 mars 2020 relatif à l’activité partielle prévoit que les salariés reçoivent de l’entreprise une indemnité horaire correspondant à 70% de leur rémunération brute horaire (84% de leur salaire net) ou 100% de leur salaire brut s’ils sont au SMIC, et l’entreprise reçoit ensuite une allocation d’activité partielle proportionnelle à la rémunération des salariés placés en activité partielle de 100% du chômage partiel dans la limite de 4,5 fois le SMIC. Ce décret prévoit une allocation bien plus favorable que le dispositif en principe applicable au chômage partiel qui donne en principe droit à une allocation forfaitaire qui correspond à 7,74 euros par heure chômée, pour les entreprises de moins de 250 salariés, ou à 7,23 euros par heure chômée pour les entreprises de plus de 250 salariés.

Enfin, dans un entretien donné sur BFM Business daté du 31 décembre 2020, la Ministre du travail, Muriel Pénicaud, a annoncé que le Gouvernement proposera des exonérations de charges sociales aux employeurs qui complèteront le salaire du chômage partiel de leurs salariés jusqu’à 100%.

Compte-tenu des importants efforts effectués par le Gouvernement pour soutenir les entreprises, le risque qu’un salarié, licencié pour un motif économique, demande la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse devant le Conseil des Prud’hommes et obtienne gain de cause, est important. Il est donc vivement recommandé, si l’entreprise et les salariés y sont éligibles, d’avoir recours au chômage partiel plutôt que de licencier pour des raisons économiques.

Honorez les promesses d’embauches acceptées

Si l’employeur a adressé au candidat une proposition ferme écrite, précisant l’emploi, la rémunération et la date de son entrée en fonctions, il ne peut en principe se rétracter que si le candidat n’a pas encore reçu son offre, ou s’il ne l’a pas acceptée dans le délai qui lui était imparti pour le faire. En revanche, si le candidat a déjà accepté la proposition, les parties seront liées par un contrat de travail et une rupture à l’initiative de l’employeur s’analysera, soit en un licenciement sans cause réelle et sérieuse si le contrat promis était à durée indéterminée, soit en une rupture abusive si le contrat était à durée déterminée.

Dans certaines circonstances particulières, assez rares, la jurisprudence a pu reconnaître que la rupture d’une promesse d’embauche était justifiée. L’employeur pourrait donc faire valoir l’état de crise sanitaire décrété par le Gouvernement et les mesures qui l’accompagnent pour revenir sur la promesse d’embauche qu’il a faite. Il n’en reste pas moins que le candidat évincé pourrait se prévaloir de préjudices spécifiques, en particulier s’il a démissionné de son précédent emploi pour accepter le poste et s’est retrouvé sans emploi ni prise en charge par l’assurance chômage après la rupture.

Il est dès lors plus prudent de négocier avec le salarié un report de la date de début d’exécution du travail, ou de mettre l’intéressé, dès son embauche, en chômage partiel si le télétravail est impossible.

Ne rompez pas les périodes d’essai pour des raisons indépendantes du salarié

Le principe est qu’un employeur a la possibilité de rompre une période d’essai sans avoir à justifier d’un motif réel et sérieux. Toutefois, la jurisprudence considère que la rupture doit être en lien avec les compétences professionnelles du salarié et leur adéquation aux besoins de l’entreprise. Si la rupture de la période d’essai est, en réalité, motivée par des raisons économiques, elle sera, dès lors, considérée comme abusive.

Le risque prud’hommal n’est, là encore, pas à exclure dans la mesure où un salarié qui aura démissionné d’un poste pour rejoindre une entreprise n’aura, en principe, pas le droit à des allocations-chômage et subira donc un préjudice. Il convient dès lors d’être prudent, et, si le télétravail est impossible, de mettre le salarié concerné en chômage partiel tout en prolongeant la durée de la période d’essai du salarié de la durée du chômage partiel.

Respectez les horaires de travail des salariés en télétravail ou au chômage partiel

Enfin, il convient de rappeler que l’employeur doit respecter strictement les horaires de travail de ses salariés, ce qui peut sembler plus difficile lorsque ceux-ci télétravaillent ou sont en chômage partiel. L’employeur doit donc prendre toutes les précautions nécessaires pour encadrer, avec ses salariés, les heures travaillées, prévoir les temps de repos, et convenir avec eux des heures auxquelles ils peuvent être joints.

A défaut, l’employeur s’expose, notamment, à des sanctions administratives (remboursement des aides publiques et refus d’accorder de nouvelles aides pendant une durée maximale de 5 ans dans le cadre d’une mise en chômage partiel) et à des sanctions pénales pour travail dissimulé. Il devra, par ailleurs, mais c’est sans doute là un moindre mal, payer à l’ensemble de ses salariés, la totalité des heures réellement réalisées.

Camille Smadja est avocate pour le cabinet L&P

Partager
Ne passez pas à côté de l'économie de demain, recevez tous les jours à 7H30 la newsletter de Maddyness.