Article initialement publié sur la page Medium de Pierre Entremont

Le même scénario se déroule à chaque annonce de rachat de startup française : les uns admirent les millions sur fond de “si c’était moi”, tandis que les autres les opposent plus ou moins adroitement avec l’ambition collective de créer des géants valorisés des milliards. La récente acquisition de la néobanque Shine par Société Générale, pour un montant évoqué par Techcrunch de 100 millions d'euros, en est un exemple.

Beaucoup d’appelés, peu d’élus

Toutes les startups ne changeront pas le monde et ne vaudront pas un jour des milliards. L’immense majorité arrêtera l’hypercroissance bien avant en raison d’un mélange de raisons structurelles (taille de marché, vélocité du business model, différenciation produit), managériales (exécution sous-optimale) et financière (difficulté à lever des fonds) qui se répondent souvent les unes aux autres dans un contexte de concurrence forte pour les clients, les talents et les fonds. Lorsque ce scénario se précise, trois options sont possibles : fermer, se transformer en PME profitable, et vendre.

Ça n’est pas la faute de la girouette si le vent tourne

Il ne faut donc bien sûr pas critiquer a priori toute sortie qui ne serait pas une IPO de 3 milliards. Le plus souvent, ça n’était pas l’alternative et il serait absurde de reprocher à des entrepreneurs de ne pas avoir réussi malgré leurs efforts à construire une entreprise plus robuste. Les sorties de quelques dizaines de millions sont au contraire d’excellentes choses car elles permettent à l’équipe de partir la tête haute et de réinjecter des talents et de l’argent dans l’écosystème. On n'a pas fini de voir des conséquences positives de la sortie de Shine.

A l’échelle de l’entrepreneur, c’est un succès formidable. Peu d’humains créent autant de valeur économique à l’échelle d’une vie et encore moins en quelques années : bravo à eux !

Et les licornes dans tout ça ?

Là ou il y aurait un problème, c’est si des entreprises bien placées pour valoir un jour des milliards se voyaient contraintes de jeter l’éponge en cours de route, faute de solutions de financement adaptées.

C’est en fait plutôt un problème du passé. L’écosystème actuel est scruté par des dizaines de fonds late stage internationaux qui ne savent plus comment déployer leurs milliards d’asset under management (merci les banques centrales !) et il y a beaucoup plus d’argent sur le marché que de futurs géants. À tel point que lorsqu’ils en identifient un, c’est souvent les fonds eux-mêmes qui poussent pour agrémenter les levées en cash-in de cash-out des fondateurs sur une petite partie de leurs parts. Cela sécurise les entrepreneurs en résolvant leur money problem, rend pour eux la perspective d’une vente rapide moins séduisante et permet aux fonds d’augmenter leur niveau de détention.

Penser à long terme, agir à court terme

Au contraire d’un mauvais signe, la multiplication des sorties moyennes indique que l’écosystème mûrit : le nombre d’entreprises de qualité augmente et les corporates français deviennent capables de les payer des dizaines de millions.

Plusieurs startups créées lors de la "nouvelle vague" d’il y a 3–5 ans sont appelées à devenir des billion dollar companies à horizon quelques années : Doctolib, Payfit, Alan, Qonto, ManoMano, Owkin, Dataiku, Voodoo, Backmarket, Swile… Toutes n’y arriveront pas mais beaucoup oui, faisant la preuve que le retard des startups françaises n’était pas une malédiction et remettant sur le marché des centaines de talents aguerris et de millions de smart money. Encore un peu de patience !

Pierre Entremont est cofondateur et partner du fonds Frst