C'est une rentrée pas comme les autres pour l'écosystème. Après avoir débuté l'année sous les meilleures auspices - le mois de janvier s'était soldé par près de 600 millions d'euros levés - les startups ont été stoppées dans leur élan par le confinement et la crise qui a découlé de la situation sanitaire. Durant plusieurs mois, l'écosystème a paré au plus pressé, soutenu par un plan d'aide sans précédent mis en place par le gouvernement. Désormais, "l'hémorragie a été stoppée" , constate Kat Borlongan, patronne de la French Tech, et les startups ont eu l'été pour se mettre en ordre de bataille pour la rentrée. Mais que peut-on attendre de cette fin d'année si particulière ?

Le principal défi réside dans la gestion humaine des collaborateur·rice·s. "Le télétravail a été très bénéfique pour les salariés mais de nombreuses entreprises favorisent aujourd'hui le retour en présentiel, au moins en partie, note Clara Audry, partner chez Cap Horn. C'est un vrai défi d'arriver à recréer du lien avec son équipe, tout en mettant en place un mode de fonctionnement hybride pour continuer à bénéficier des effets du télétravail." Un point de vue partagé par Agathe Wautier, cofondatrice du Galion, qui se veut rassurante : "Les startups de la Tech s'en sortent plutôt bien, comme le montre l'accélération des embauches dans le numérique et l'attractivité des scaleups auprès des jeunes diplômés" . Elle prévient néanmoins que "les entreprises qui tireront le mieux leur épingle du jeu seront celles qui arriveront à gérer le retour au travail de leurs employés, les rassurer et maintenir la culture d'entreprise" .

Des fondations solides

Si c'est un défi RH qui attend les startups, c'est surtout parce que les autres problématiques liées à la crise ont été sécurisées ces derniers mois, notamment la question du (re)financement. Entrepreneur·e·s comme investisseurs et investisseuses vantent aujourd'hui "la résilience" d'un écosystème que beaucoup n'imaginaient pas aussi solide. "Oui, la French Tech est en capacité de résister à une crise de longue durée, se réjouit Kat Borlongan. Cela ne veut pas dire que certaines boîtes ne déposeront pas le bilan. Mais d'autres vont pivoter et d'autres encore vont saisir les opportunités business qui se sont présentées avec la crise. C'est aussi cette force schumpeterienne qui explique la résilience de notre écosystème." Comment a-t-on réussi en quelques années à passer d'un darwinisme cruel pour de nombreuses entreprises innovantes à un cycle schumpeterien qui voit naître des phénix ? "Ce qui change la donne, c'est qu'on a aujourd'hui des entrepreneurs comme des investisseurs qui ont une expérience de gestion de crise" , note la directrice de la French Tech.

Reste que s'il y a beaucoup d'argent disponible sur le marché actuellement, toutes les entreprises n'en bénéficieront pas forcément. "Si la crise s'installe un peu trop, cela peut se révéler difficile pour des sociétés qui n'ont ni charges ni chiffre d'affaires, en amorçage, anticipe Clara Audry. Le risque est que le financement se concentre sur des sociétés qui ont déjà émergé." Mais, là encore, l'écosystème a fait sa mue et tiré les leçons de l'éclatement de la bulle des années 2000. "Les startups en phase d'amorçage peuvent compter sur les entrepreneurs de la nouvelle génération qui ont fait des sorties ces cinq dernières années et soutiennent la prochaine génération de chefs d'entreprise ; il y a une vraie solidarité entre les aînés et les plus jeunes" , s'enthousiasme Agathe Wautier. De quoi compenser la frilosité des fonds, concentrés sur le soutien à leurs participations.

"Est-ce qu’on a envie de répliquer ce qu’on avait avant le Covid ?"
Kat Borlongan, directrice de la French Tech

Bref, la crise est finie, vive la crise ? Pas encore, prévient Kat Borlongan qui rappelle qu'il est plus difficile aujourd'hui de parler de "la French Tech comme un ensemble homogène tant les réalités sont diverses" . Cette période doit aussi être celle des remises en question : "est-ce qu’on a envie de répliquer ce qu’on avait avant le Covid ? Est-ce que le but ce n’est pas de repenser la French Tech ?" , s'interroge-t-elle. Et égrène les pistes d'amélioration pour la French Tech "nouvelle génération" à dessiner : soutenir les startups "qui ne sont pas basées à Paris, avec plus de femmes et plus de personnes structurellement éloignées de la Tech" .

Serait-ce (enfin) l'heure de la Tech for Good ? Eva Sadoun, co-présidente du mouvement éponyme, reste prudente. "Les startups de la Tech for Good sentent qu’elles ont du succès auprès des particuliers, de l’écosystème, des médias et que le politique intègre petit à petit ces enjeux. Mais elles attendent de voir s'il est possible de passer de la parole aux actes." Premier test : les annonces que doit faire le gouvernement ce jeudi concernant le plan de relance, dont le montant annoncé de 100 milliards d'euros laisse l'entrepreneure pantoise. "Ce n'est pas à la hauteur des enjeux de la transition."

Faut-il renoncer aux licornes ?

Pour cette dernière, le problème réside au coeur de l'écosystème, dans les objectifs qu'il s'est lui-même fixé, notamment celui de produire 25 licornes d'ici 2025. "Quand on voit Uber qui a licencié plusieurs milliers de personnes en une journée et a fermé des filiales de mobilité douce... C'est ça, la réussite d'une licorne ?" Eva Sadoun préfère esquisser un autre modèle. "L'enjeu, c'est de créer des boîtes qui emploient en local, des technologies souveraines qu'on maîtrise et qui soient durables parce que résilientes aux crises. C'est ça qui nous permettra d'attirer des travailleurs et travailleuses en Europe et, dans la guerre numérique en cours, ce serait un atout structurant pour notre nation."

Un discours entendu et même partagé par Kat Borlongan, qui appuie que "l'enjeu, ce sont les futurs emplois et pas seulement leur nombre mais leur type : l'Europe doit être capable de façonner la technologie pour ne pas la subir, c'est un enjeu de souveraineté très important" . Sans toutefois vouloir jeter les licornes avec l'eau du bain. "25 licornes, c'est très peu par rapport à ce que font la Chine ou les États-Unis, relativise-t-elle. Mais le véritable objectif, c'est de devenir un écosystème capable de produire 25 licornes et pas n’importe comment. Pas au prix de nos valeurs, de la diversité ou de l’écologie."