Frontières fermées, habitant·e·s confiné·e·s et entreprises à l’arrêt : peut-on imaginer pire situation pour le développement international de nos pépites tricolores ? C’était pourtant, jusqu’en début d’année, un axe fort de la tech française. La réorganisation en 2018 des capitales et surtout des communautés labellisées French Tech, notamment à l’étranger, puis le lancement en grande pompe du Next 40 et du French Tech 120 et enfin le rassemblement sous la bannière France Export de tous les acteurs publics de l’internationalisation des entreprises (les Régions, les services de l’État, Business France, les Chambres de Commerce et d’Industrie et Bpifrance) devaient faire de l’année 2020 celle de la projection à l’international de tout l’écosystème startup et scaleup.

Las, le coronavirus est passé par là. Dès le mois de février, les échanges internationaux, notamment vers et depuis l’Asie, ont été fortement ralentis. Et mi-mars, confinement oblige, de nombreuses jeunes pousses ont vu leur activité réduite à néant ou presque et leurs rêves de développement à l’étranger s’envoler. Selon le baromètre de l’activité internationale des entreprises, publié mi-avril par Business France et réalisé auprès de 2200 sociétés exportatrices, 45% d’entre elles avaient alors totalement arrêté leurs activités internationales. Et pour cause : 37% manquaient de visibilité pour opérer sereinement, 21% disaient subir des problèmes logistiques et 19% une baisse des commandes. En quelques semaines, tous les voyants étaient passés au rouge. Et pourtant...

Un coup dur… mais moins que prévu

Je m’attendais à ce que la catastrophe soit immédiate parce que les startups ont une vue à court terme”, se rappelle Guillaume Rostand, président de la French Tech Barcelona. Il a bien constaté “un fléchissement des nouvelles arrivées” d’entreprises françaises en Catalogne sur la période mais évoque “un décalage de trois à six mois des projets d’implantation” plutôt que leur abandon pur et simple. Un glissement de feuille de route qu’a par exemple opéré Iziwork pour son développement initialement prévu cet été en Italie, un des pays les plus touchés d’Europe par le coronavirus. “Recruter l’équipe locale en plein confinement était impossible, témoigne Mehdi Tahri, cofondateur de la startup, spécialisée dans l’intérim. Nous avons finalement prévu de lancer le pays avant la fin de l’année.

Même stratégie du côté de Spendesk, qui avait ouvert un bureau à San Francisco juste avant la crise. “La crise a changé notre timeline pour des raisons pratiques, notamment parce qu’en raison des restrictions sanitaires, il nous était impossible d’envoyer des collaborateurs sur place, précise ainsi Rodolphe Ardant, fondateur et CEO de l’entreprise. Mais elle n’a pas modifié notre feuille de route initiale. Elle a ralenti notre expansion mais elle n’a rien changé à l’analyse marché qui nous a poussés à nous développer aux États-Unis.

Le ralentissement des projets d’internationalisation est conjoncturel, pas structurel
Guillaume Rostand, directeur de la French Tech Barcelona

Bien au contraire, même. “Les startups se sont réorganisées assez naturellement, constate le directeur de la French Tech à Barcelone. Elles ont analysé leurs postes de dépenses pour faire baisser leurs coûts et se sont adaptées. Elles ont réussi à se structurer pour pouvoir avoir six mois de trésorerie devant elles afin de passer la crise.” Une structuration parfois réalisée dans la douleur mais qui se révèle bien utile dans la perspective d’un développement à l’étranger. “Nous avons décidé de nous concentrer sur la démonstration de la résilience en France de notre modèle en nous disant que si c’est possible dans l’Hexagone, ça le sera aussi en Italie”, confirme ainsi Mehdi Tahri.

Pour Iziwork, la période s’est ainsi transformée en véritable stress test… pleinement réussi. Avec un besoin de flexibilité accru par les incertitudes liées à la pandémie, l’automatisation qui a connu un essor sans précédent afin que les entreprises puissent plus facilement maîtriser leurs coûts et certaines réticences au changement, notamment en matière d’usages numériques, qui se sont évaporées au fur et à mesure des semaines de confinement, “l’épreuve du feu” a validé le modèle de la startup. “Lors de l’annonce du confinement, le secteur de l’intérim a perdu 80% de son activité. En moins de trois semaines, Iziwork avait retrouvé son niveau d’activité pré-Covid. Et deux mois plus tard, on enregistre une croissance mensuelle de 50%”, affiche fièrement le chef d’entreprise.

Mieux se structurer pour davantage s’internationaliser

Encore mieux, la jeune pousse a profité des semaines de creux pour travailler la scalabilité de sa technologie. “Nous avons sur-investi dans la tech, ce qui est très important pour l’internationalisation. Aujourd’hui, nous avons un socle technologique qu’il est possible de répliquer de pays en pays, de l’ordre de 80 à 90%. La crise nous a donné l’opportunité d’affiner notre plateforme technologique pour que l’on puisse aller encore plus vite lorsqu’on lancera un nouveau pays.” Iziwork a donc modifié sa feuille de route pour 2021 en conséquence, prévoyant désormais… davantage d’ouvertures de nouveaux marchés qu’initialement anticipé !

Elle ne sera visiblement pas la seule à revoir à la hausse ses projets internationaux. La French Tech Barcelona se prépare, sauf changement en matière de situation sanitaire, à un afflux prochain d’entrepreneur·e·s. “Beaucoup d’entreprises qui voulaient lever des fonds au printemps se tiennent prêtes pour la rentrée. Les levées vont reprendre, les projets d’internationalisation aussi”, projette Guillaume Rostand. Et ces projets seront facilités par la conjoncture : avec les restructurations à l’œuvre sur le marché du travail, les entreprises pourront bénéficier d’un double “effet d’aubaine”, avec un important vivier de talents disponibles et donc un coût du travail en baisse mais aussi de nombreux bureaux libérés par le télétravail et donc des espaces toujours moins chers. L’attractivité des hubs technologiques devrait donc se renforcer dans les mois à venir.

Un cercle vertueux sur lequel compte aussi Business France, fer de lance de la French Tech à l’étranger. La structure ne ménage pas ses efforts pour accompagner startups et scaleups au-delà de nos frontières et les aider à surmonter cette crise inédite pour concrétiser leurs projets d’internationalisation. Dans un premier temps, des newsletters d’information et plusieurs centaines de webinars ont permis de rassurer les entrepreneur·e·s. Désormais, Business France se concentre sur la prospection internationale… à distance ! “Nous organisons des opérations numériques avec des rendez-vous en ligne pour permettre aux startups de présenter leurs solutions à des grands comptes dans les pays qu’elles ciblent, comme on l’a fait pour le Virtual Retail tech Tour aux États-Unis, illustre Eric Morand, directeur des services tech, industrie et startup de Business France. Ça a été un succès parce qu’on a démontré que, sans bouger de chez elles, les startups avaient la possibilité de dialoguer avec des retailers américains majeurs et ont pu bénéficié d’opportunités.

L’Europe, grande gagnante de la crise ?

Autre outil développé par Business France pour soutenir les startups dans leurs envies d’ailleurs, la mappemonde de l’impact économique de la crise s’est révélée être un allié précieux dans cette période pleine d’incertitudes. Elle classe les pays selon leur exposition à la crise, sur la base de plus d’une dizaine de critères (ouverture des frontières avec la France, plan de soutien à l’économie ou encore état des transports et des chaînes logistiques). Bien utile pour revoir ses projets si un marché se montre finalement durablement verrouillé en raison de la crise, qu’elle soit sanitaire ou économique. “On observe aujourd’hui un glissement des projets d’internationalisation de certains pays (États-Unis ou pays d’Asie) vers des pays plus simples à prospecter à distance, avec notamment un resserrement sur l’Europe où l’on peut se déplacer désormais”, note ainsi Eric Morand.

Pas question pour autant que les startups françaises “ratent des opportunités” sur des marchés aussi stratégiques que l’Amérique ou l’Asie. Cela tombe bien, ces zones géographiques traditionnellement difficiles à pénétrer pour les entreprises françaises se sont ouvertes sous l’effet de la crise. “Le changement s’accélère avec l’avènement des outils numériques, y compris dans des marchés lointains, se réjouit le représentant de Business France. Certains pays culturellement plus complexes à aborder, notamment pour les grands comptes, changent par la force des choses. En Chine, par exemple, beaucoup d’échanges se font aujourd’hui via le numérique.” Autant de signaux positifs qui, couplés à l’attractivité de la marque French Tech à travers le monde, devraient faire les affaires des entreprises tech tricolores. Vive la crise ?

Maddyness, partenaire média de Salesforce