Après quasiment quatre jours de suspens et de tensions, le nom du 46e président des États-Unis a finalement été annoncé samedi dernier dans un consensus général des sondeurs et médias. Joe Biden prendra ainsi la succession de Donald Trump et, par la même occasion, la responsabilité de remettre sur pied un pays divisé. Installé depuis trois ans à New York pour développer l’activité américaine de la startup française 360Learning, plateforme de formation entre pairs, Jean-Christophe Bourgade reconnaît que "c’était assez fascinant de vivre cette élection de l’intérieur avec des employés américains" , qui représentent la quasi-totalité de l'équipe de 14 personnes basée à New York.

"Toute la semaine, il y a eu du stress, on sentait les gens tendus sans pour autant qu’ils donnent d’indication sur leur vote. C’était assez intrigant et amusant de voir la façon dont les Américains, à New York, ont célébré le résultat. Il y a eu de réelles manifestations de joie dans les rues de Brooklyn." Le sujet était au centre des discussions, les paris sur la victoire de l'un des deux candidats dans les États-clés fleurissant au fil des jours. "Plusieurs salariés m’ont avoué que leur esprit était ailleurs, pas complètement concentré sur leur travail. Cette élection a passionné les gens."

Un soulagement pour les travailleurs immigrés de la Tech

Mais que peuvent désormais attendre les entrepreneur·se·s français·es de l'arrivée de Joe Biden ? Peut-être un peu de calme et de certitude. Les quatre ans de présidence républicaine qui s’achèveront bientôt ont parfois compliqué la tâche des startups françaises qui souhaitaient s’installer sur le sol américain, confirme Henri Deshays, partner au sein de Newfund, installé dans la Silicon Valley.

"Beaucoup d’entreprises françaises vont venir aux États-Unis juste parce qu’elles le pourront, désormais. De nombreuses participations avaient un projet d’installation dans les tuyaux mais ne pouvaient pas le faire, du fait des restrictions administratives. Cette situation, couplée à la crise sanitaire, a changé une hypothèse que beaucoup avaient : pour vendre aux États-Unis, il faut y être installé."

Pour Jérémy Goillot, head of growth chez Spendesk et chargé du développement de la société aux États-Unis, le départ de Trump est de bon augure car il signifie "que le gel des visas ne sera pas relancé pour six mois supplémentaires" et que d’ici janvier, les Français devraient théoriquement à nouveau pouvoir entrer sur le sol américain, tout en se montrant mesuré compte tenu de l'épidémie de Covid-19.

Pour Henri Deshays, il y a trois points majeurs sur lesquels l’élection de Biden devrait avoir un impact : l'immigration de travailleurs de la tech, l'encadrement des Gafa et l'entrée au gouvernement de personnalités de la tech.

"L’écosystème startup ne fonctionne que grâce à l’immigration. Et, depuis 18 mois, il était quasiment impossible de pouvoir obtenir une Green Card ou un visa H1B, ce qui était très problématique pour les entreprises tech. On a même constaté des départs d’expatriés, inquiets pour leur situation. (...) L’élection de Biden va donc faire une différence majeure : les États-Unis vont retrouver leur capacité à absorber des talents étrangers, comme ils l’ont toujours fait avant Trump – la plupart des grandes entreprises technologiques ont été fondées par des immigrés". 

Si, dans le camp démocrate, Elisabeth Warren est l'une des voix qui comptent pour réglementer l'activité des géants du net, personne ne sait vraiment quelle sera la position de Joe Biden sur cette question et celle de la fiscalité du numérique. Pour l'investisseur français, il y a tout de même une possibilité pour que l'ancien vice-président de Barack Obama revienne à une position plus souple. "L’élection de Biden devrait rendre la main au pouvoir judiciaire, plutôt qu’au politique sur ces questions-là. L’administration Trump avait initié des régulations des Gafa mais uniquement dans l’optique de contenir des acteurs vus comme anti-Trump. La régulation devrait désormais se faire dans le cadre du marché, jusqu’à déboucher sur un environnement concurrentiel sain – et pas jusqu’à faire plier politiquement les Gafa."

À tel point que Joe Biden pourrait bien convoquer des personnalités de la tech dans son administration. Jessica Hertz, ex-responsable des affaires juridiques de Facebook, et Cynthia Hogan, ancienne vice-présidente aux affaires publiques d'Apple, ont déjà rejointe l'équipe de transition du candidat désormais élu. "Les acteurs Tech en général devraient avoir l’oreille du prochain gouvernement, c’est rassurant pour le secteur."

Business is business

La fin de l'élection c'est aussi la fin d'une campagne qui a gelé les intentions économiques américaines et le retour aux projections. "Sans une vraie vision sur l’avenir, les entrepreneurs ne voulaient pas prendre de décision trop importante" , analyse le responsable de Spendesk. La fintech française qui venait de monter sa première équipe à San Francisco a elle-même dû ralentir le pas. "Nous avons stoppé tous nos investissements en attendant l’issue de l’élection et nous avons élaboré plusieurs scénarios" , avoue t-il, imaginant même un retrait potentiel du pays.

Si le mandat de Trump a été marqué par un fort protectionnisme et une fermeture des frontières, rien ne prouve aujourd’hui que l'administration Biden ouvrira grand les bras aux Français·es. Jérémy Goillot reste d'ailleurs prudent : "Je pense que les entreprises déjà présentes comme AirCall profiteront de la situation, les entreprises comme les nôtres qui avaient déjà mis un pied dans le pays pourront enfin mettre le second. Par contre, les sociétés qui ne sont pas encore lancées et ne possèdent pas de visa devraient attendre quelques mois pour voir comment la situation se développe". Spendesk reste donc plutôt confiante pour son avenir sur le territoire américain. "Nos recrutements sont gelés aux États-Unis, nous embauchons en France sur la partie technique pour préparer au mieux le déploiement de la solution sur le sol américain. Notre objectif d’agrandir l’équipe de 20 à 30 personnes est toujours d’actualité."

Même avis pour Jean-Christophe Bourgade. 360Learning, qui compte 180 salarié·e·s, va recruter 70 personnes sur ses trois bureaux de Paris, New York et Londres. Aux États-Unis, la société a signé un contrat avec un réseau d’écoles privées et publiques qui a permis à 15 000 enseignant·e·s de poursuivre leur activité à distance au début de la pandémie sur le sol américain. Elle a ainsi multiplié par trois ses revenus en un an sous l’administration Trump. Le maintien du président actuel n'aurait sans doute rien changé à sa croissance, mais le fait que Joe Biden ait évoqué l’éducation, l’apprentissage et la formation comme faisant partie de ses priorités a de quoi le réjouir. "Indépendamment des croyances des uns et des autres, pour une société spécialisée dans l’apprentissage et l’éducation, les priorités déclarées par le président nouvellement élu sont en phase avec l’activité de 360. C’est forcément très positif.”

Finalement, le changement de locataire à la Maison Blanche aurait assez peu de conséquences sur les affaires… si ce n’est dans le domaine de l’environnement et du changement climatique. "Les entrepreneurs ayant des idées dans ce domaine vont pouvoir bénéficier de beaucoup d’aides publiques du côté américain, indique Alexandre Laporte, head of hedging chez iBanFirst, se référant au programme du candidat Biden qui prévoit de consacrer 2000 milliards de dollars au secteur sur quatre ans. Nous sommes dans une situation assez inédite puisque les trois puissances mondiales [USA, Chine et Union européenne, NDLR] sont alignées désormais dans ce combat. Cela va créer de nouvelles filières industrielles, des opportunités pour les entrepreneurs, ainsi qu’une certaine émulation d’idées et d’innovations."

Au niveau macroéconomique, la tendance est plutôt bonne. Après quatre ans d’incertitude constante sous la présidence Trump, les conflits commerciaux devraient notamment se solder par un retour au calme et l’administration Biden devrait faire un pas vers les alliés européens. "Elle a parfaitement compris que le meilleur levier pour défendre les intérêts des États-Unis est de ne pas opter pour une attitude belligérante" , estime Alexandre Laporte, selon qui "rien ne changera dans l’immédiat" pour les sociétés françaises qui souhaiteraient se coter au Nasdaq. "On peut estimer qu’une administration Biden permettra de restaurer l’image du pays et donc de renforcer à la marge l’attractivité de la place financière américaine" . Une attractivité qui, note-t-il, a "toujours été présente, y compris sous l’administration Trump" .