Peur du Covid, incertitude économique, isolement lié au télétravail… L’anxiété de certains salariés est décuplée ces derniers mois. Pour répondre à ce problème, le ministère du Travail a lancé, mi-novembre, un numéro vert, 0800 13 00 00, pour mettre en lien les salariés de TPE-PME, qui ne sont pas accompagnés comme dans certaines grandes entreprises, avec des psychologues. Le but de cette plateforme, baptisée Pros-consulte, est de recueillir ces appels en souffrance 24h/24 et 7j/7 pour permettre aux télétravailleurs de parler, à tout moment, avec un interlocuteur, spécialiste du bien-être au travail.

"Les personnes qui appellent sont souvent dans une situation dans laquelle elles ne voient aucune issue. Elles sont en pleurs pendant les premières minutes" , rapporte Nadine Bourgaux, psychologue dans l'Oise, lors d'un point d'étape en visio-conférence au ministère du Travail.

Solitude, pression et surcharge de travail

"On va chercher à faire retomber cette charge émotionnelle, à reconnaître aux salariés la légitimité de ce qu'ils vivent et à réfléchir dessus" , renchérit Sigrid Fernandez, psychologue en Haute-Vienne. Les raisons de la souffrance sont souvent identiques : solitude avec la perte des liens sociaux et du collectif de l'entreprise, surcharge de travail avec une tendance à rester connecté du lever au coucher, pression du manager qui ne sait pas gérer à distance ou envoie des mails intempestifs, mauvaise utilisation des outils de communication et absence de circulation de l'information, perte d'intimité chez soi...

Le télétravail "a souvent exacerbé tous les petits dysfonctionnements qui existaient avant" , souligne Nadine Bourgaux, et qui pouvaient être résolus de manière informelle en présentiel.

En quête de sens

Cité en premier, "le sentiment d'isolement est d'autant plus fort qu'actuellement on est plus dans le travail à domicile que le télétravail, qui suppose une alternance" , insiste Emmanuel Bentata, psychologue du travail à Paris. Cette souffrance se manifeste "par une anxiété très forte, de la consommation d'alcool, des troubles du sommeil, des difficultés de concentration, des interrogations sur le sens de son travail ('à quoi je sers')" , constate Sigrid Fernandez. Au téléphone, "on ne va pas tout résoudre mais on va proposer des orientations vers un entretien avec un psychologue en face à face, un médecin traitant ou les services de santé au travail" , explique-t-elle.

Mais il est difficile d'isoler les souffrances liées au télétravail du contexte général de crise sanitaire et économique. Lors du premier confinement, il y avait à la fois "le chômage partiel qui renvoyait les salariés à une forme d'inutilité de leur métier, les angoisses de contamination et de mort pour ceux qui étaient en présentiel, et un télétravail subi à 100% sans les outils techniques" , résume Chantal Moutet-Krebs, médecin du travail dans le Val d’Oise.

Encore peu d'appels

Aujourd'hui, l'environnement technique s'est amélioré, les enfants sont à l'école mais "la récurrence de l'épidémie est un facteur aggravant, ainsi que l’incertitude sur le devenir de son emploi" , souligne-t-elle. Psychologue du travail dans l'Aisne, Philippe Sevrain constate que "les problèmes relationnels sont aujourd'hui moins prégnants et remplacés par une souffrance liée à la peur du Covid et à l'incertitude sur la pérennité de son entreprise" .

Tous accueillent favorablement en tout cas la proposition d'Élisabeth Borne qui leur confirme qu'elle proposera de revenir "au moins un jour par semaine" sur site en janvier, avant de laisser la main aux partenaires sociaux qui viennent de conclure un accord interprofessionnel sur le télétravail.

Convaincue par les témoignages des psychologues de l'utilité du numéro vert, la ministre va essayer "de mieux le faire connaître pour qu'il monte en charge" . Car quantitativement le succès est pour l'instant très modeste: seulement 200 appels en trois semaines, dont la moitié concerne effectivement le télétravail et un tiers des salariés de PME-TPE. "On est loin d'être surbookés", confirme la dirigeante de Pros-Consulte, France Hétier, car "les salariés ne savent pas qu'ils peuvent appeler à ce numéro là".