"Les jeunes sont trop souvent vus comme une variable d’ajustement des entreprises… ce que la crise actuelle semble malheureusement confirmer" , se désole Yves Grandmontagne, président du Lab RH. C’est le sombre constat que dresse cette association, en partenariat avec JobTeaser et PageGroup, dans leur dernier rapport, publié ce 4 février. À travers une enquête menée auprès de 11 000 étudiants et jeunes diplômés européens et des entretiens auprès de 50 experts RH, l’étude dessine sur plus de 300 pages un panorama des tendances actuelles liées au recrutement des jeunes diplômés. 

Bloquant des pans entiers de l’économie, la pandémie a fait exploser les taux de chômage, et les jeunes n’ont pas été épargnés. 36% des jeunes engagés dans une recherche d’emploi ont vu leur processus de recrutement annulé ou suspendu pendant le confinement, selon un sondage de la Fédération des Associations Générales Étudiantes en juin 2020. Une tendance confirmée par une étude de l’Institute for Students Employers menée sur 21 pays qui décrit la situation : "Alors que les diplômés échappent souvent aux pires effets des récessions, les volumes d’offres les visant sont fortement liés à la santé de l’économie. L'ampleur de la crise actuelle, impactant les actifs de tous niveaux, sera particulièrement difficile pour ceux entrant pour la première fois sur le marché du travail. Les employeurs interviewés considèrent que le volume des recrutements des jeunes diplômés est en baisse significative et qu’il continuera certainement à se réduire en 2021" . 

Voici les cinq conséquences principales du contexte de crise sanitaire sur les jeunes diplômés, selon le rapport.

Une concurrence accrue

Parmi les conséquences évoquées, la première est celle d’un effet domino d’une classe d’âge à une autre. "Déjà parmi les BAC+5 diplômés en 2018, 15 % sont toujours à la recherche d’un emploi et 20 % ont des jobs dits 'alimentaires'. Cela veut dire que ceux qui sortent des promotions 2020 vont se retrouver en compétition avec ceux des classes 2018 et 2019 qui n’ont pas trouvé d’emploi ou en ont accepté un pour vivre en attendant de trouver mieux" , craint Pierre Lamblin, directeur des données et études pour l’APEC (Association pour l’Emploi des Cadres). Une compétition à laquelle s’ajoutent les collaborateurs dont les entreprises se sont séparés durant la crise, puisque, selon une enquête du Groupe Adecco, 68% des sociétés qui ont licencié des employés ces derniers mois prévoient de les réembaucher dans les six prochains mois. 

Le déclassement des emplois et la baisse des salaires

"En France, notre économie ne crée pas suffisamment d’emplois très qualifiés au regard de l’augmentation continue du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur" , déplore Hélène Garner, directrice du département Travail Emploi chez France Stratégie. Elle craint donc une déqualification des emplois les plus diplômés qui pourrait se répercuter sur la question des salaires. Suivant la loi de l'offre et de la demande, les périodes de crise - et celle-ci n’y échappe pas - entraînent une pression moindre sur les niveaux de salaires d’entrée. L'étude JobTeaser soulève la crainte de voir le scénario de la crise de 2008 se répéter en 2021, entraînant les jeunes à postuler à des offres bien moins rémunérées, même quand ils sont sur-qualifiés. 

Une préférence pour la mobilité interne

Le contexte sanitaire a aussi montré la tendance des entreprises à favoriser la mobilité interne, ce qui constitue une autre mauvaise nouvelle pour les jeunes débarquant sur le marché du travail. L'étude estime qu’un recrutement en interne couterait jusqu’à 50% moins cher, ce qui laisse planer l’expansion de cette pratique. Et cela n’exclut pas le monde des startups. Une étude comparative des pratiques RH du CAC 40 et du Next40, montrent que 42% des DRH de startups prévoient désormais de favoriser, eux aussi, la mobilité interne. 

Le recours aux indépendants

Encore plus flexible qu’un CDD, le freelance permet à l’entreprise d’ajuster ses besoins au jour le jour, un luxe dans un contexte économique aléatoire. Cela n’a pas échappé aux 800 dirigeants d’entreprises entendus à travers le monde, dans une enquête de McKinsey, publiée en juillet dernier. 72% d’entre eux a affirmé que le recours aux freelances allait augmenter dans leur société. Et, si cette modalité de travail attire certains jeunes diplômés, elle est aussi un potentiel facteur de précarité à ne pas négliger. 

Une mise à mal des politiques de diversité? 

Dernier problème : le danger qui pèse sur les politiques de diversité. "Il existe un réel risque que l’inclusion et la diversité ne soient plus une priorité stratégique pour les organisations" , relève le cabinet McKinsey. Une inquiétude partagée par Tristam Hooley, directeur de la recherche de l’Institute of Students Employer : "Là où la diversité était jusqu’à présent un élément important dans les stratégies de recrutement des entreprises, elle est passée au second plan, non pas parce que ce sujet est abandonné – la diversité va rester parmi les priorités – mais tout simplement parce que les recruteurs ont moins le temps et de ressources pour être à fond sur ces programmes" .