15 avril 2021
15 avril 2021
Temps de lecture : 5 minutes
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Surveillance en entreprise : la vie privée des salariés est-elle menacée ?

La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation évolue, et ce n’est pas une bonne nouvelle pour les salariés. Depuis cinq ans, plusieurs arrêts tendent à accepter des preuves illicites fournies par les employeurs au détriment de la vie privée de leurs employés. Explications.
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"Entre le droit de preuve de l’employeur et la vie privée du salarié, on ne sait plus où mettre la ligne de partage, avertit Guillaume Roland, avocat, expert en droit social, chez Herald Avocats. On pense souvent que le salarié gagne en justice, mais quelque chose est en train de changer" . Ce dernier tire la sonnette d’alarme : depuis quelques années, la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, consacrée au droit du travail et aux affaires sociales, évolue, et cela ne va pas dans le sens des salarié·e·s.

En matière de protection des données personnelles, trois principes sont fondateurs dans le cadre professionnel. L’employeur doit impérativement respecter :

  • La transparence : la loi impose la nécessité d’informer les salariés dont on collecte des données, sur le traitement qui en est fait;
  • La pertinence : le procédé de contrôle ou de surveillance choisi par l’employeur doit être justifié par la nature de la tâche à accomplir;
  • La proportionnalité dans l’action mise en place : ce principe impose à l’employeur de proportionner les moyens qu’il déploie à l’intérêt légitime du but recherché.

"Il n’y a plus de limite"

"Sur le principe donc, une information recueillie illégalement par un employeur ne peut pas être utilisée pour un licenciement par exemple. Jusqu’en 2015, tout cela était très clair, poursuit Guillaume Roland. Mais, depuis cinq ans, une série de décisions de justice montrent que, dans les faits, un employeur peut utiliser un moyen de preuve illégal pour appliquer une sanction disciplinaire, au nom du dernier principe de proportionnalité. Il n’y a plus de limite, c’est très dangereux et c’est la porte ouverte à toute possibilité de filature ! ".

Concrètement, depuis 2016, plusieurs arrêts donnent la faveur au droit de preuve de l’employeur au détriment du respect de la vie privée des salarié·e·s. La première affaire marquante concernait le syndicat CFTC des salariés du groupe Vivarte. Ce dernier avait pris des photos, à l’insu des employés, pour prouver que ceux-ci travaillaient plus qu’ils n’étaient payés. La Cour de Cassation a admis que le moyen - la prise de photos sans accord préalable - était illégal mais qu’il était proportionnel au but. L’arrêt concluait ainsi le 9 novembre 2016 : "Le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi".

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a, elle aussi, statué en ce sens. "Dans une affaire de détournement d’argent dans un supermarché, l’employeur a surveillé ses caissières à l’aide de vidéosurveillance, recontextualise l’avocat. Même si le moyen est totalement illégal, la CEDH a conclut que le moyen de la preuve - la vidéosurveillance - était, une fois de plus, justifié, en vue de la finalité recherchée" .

Le dernier arrêt en date remonte au 25 novembre dernier. En 2015, un employé de l’AFP, licencié pour faute grave pour usurpation de données informatiques, est accusé d’avoir adressé à une entreprise concurrente des demandes de renseignements par mail en usurpant l’identité de sociétés clientes. L’Agence France Presse avait réussi à remonter jusqu’au journaliste en traçant son adresse IP. Le licencié a contesté, insistant sur le moyen de cette adresse IP, considérée comme donnée à caractère personnel. "La Cour de cassation a considéré que les moyens mis en oeuvre étaient proportionnés aux intérêts légitimes de l’employeur et a donc jugé le licenciement justifié, ajoute Elise Fabing, avocate spécialiste en droit du travail et cofondatrice du cabinet Alkemist. Cette jurisprudence entérine le fait qu’un employeur peut user de preuves de façon illégale si le but est proportionné et le motif légitime" . Une affirmation qu’appuie Guillaume Roland : "Si la chambre sociale de la Cour de cassation a longtemps été réticente à utiliser des procédés illégaux pour sanctionner les salariés, elle les accepte maintenant comme dans les juridictions pénales, devant lesquelles tous les moyens sont bons".

Une "opportunité" pour les victimes d'harcèlement au travail

Si, a priori, ce n’est pas une bonne nouvelle pour les salarié·e·s, ces décisions pourraient tout de même bien leur servir. "Si on est en train d’ancrer le fait que le droit de preuve peut porter atteinte à la vie privée et que tous les coups sont permis, je ne vais pas hésiter à m’en servir pour les droits des salariés qui utilisent des moyens de preuves illicites" , contrebalance Elise Fabing, habituée de recevoir des dossiers de salariés victimes de harcèlement au travail.

"Pour ce genre de dossiers, où les faits résident beaucoup dans l’oral, je pourrais me servir d’enregistrements comme moyens de preuves, illicites mais proportionnés et légitimes" . Cette évolution pourrait donc aussi servir aux salariés, qui se retrouvent souvent en mal de preuves aux Prud’Hommes : "ce tournant de la jurisprudence représente finalement autant d’opportunités pour les salariés" , conclut Elise Fabing.

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