30 juin 2021
30 juin 2021
Temps de lecture : 6 minutes
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Shadow : des interrogations persistent après la reprise par Octave Klaba

Le service de cloud computing Shadow a été racheté fin avril 2021 par Octave Klaba. Le fondateur d’OVHcloud veut en faire une brique de son projet visant à établir un concurrent européen des Gafam dans le cloud. Les synergies avec OVHcloud sont au cœur des préoccupations : elles devraient permettre de remettre Shadow à flot, mais pourraient parallèlement précipiter le départ d’une partie des effectifs.
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Harry Murphy / Web Summit via Sportsfile

Shadow est à un carrefour de son histoire. Lancé par Blade en 2016, le service de cloud computing a été racheté fin avril 2021 par Octave Klaba, le fondateur de HubiC – le service de stockage et de partage de fichiers d’OVHcloud. L’offre de ce dernier a été privilégiée à celle portée par Xavier Niel avec 6 salariés, dont l’ancien directeur de la technologie Jean-Baptiste Kempf. "Les juges ne comprennent pas bien les sujets aussi techniques, et ils ont de ce fait donné raison au mieux disant" , a estimé auprès de Maddyness Jean-Baptiste Kempf, rappelant que HubiC mettait 5 millions d’euros sur la table contre 4 millions d’euros pour le fondateur de Free. Il devrait également injecter 30 millions d’euros sur cinq ans pour remettre sur les rails et relancer la pépite française de jeu dans le cloud.

Deux mois ont passé depuis l’intégration de Shadow à la filiale d’OVHcloud. La période précédente, qui avait été "compliquée" selon l’ex-directeur de la technologie, a laissé place à une ère d’espoir… mais aussi d’incertitudes. Octave Klaba a tardé à préciser son plan pour l’avenir du service. Contacté par nos soins, il n’a pas donné suite.

Un relai de croissance pour OVHcloud

Dans les colonnes des Échos, fin mai 2021, le patron d’OVHcloud a fait part de sa volonté d’agir en plusieurs temps pour redresser Shadow. "Le défi numéro 1 pour Shadow est de retrouver l'équilibre dans les 12 à 18 mois" , a-t-il indiqué, jugeant que la grille tarifaire des services était "le talon d’Achille du business plan" de l’entreprise.

"Le défi numéro 1 pour Shadow est de retrouver l'équilibre dans les 12 à 18 mois" , a indiqué Octave Klaba, jugeant que la grille tarifaire des services était "le talon d’Achille du business plan" de l’entreprise.

Des différends quant à la politique tarifaire avaient déjà été à l’origine du départ d’Emmanuel Freund, co-fondateur de la pépite, en avril 2020. Ce dernier soutenait une augmentation des prix afin de dégager davantage d’argent pour soutenir le développement de l’entreprise. Et c'est l’option qu'a justement retenue le nouveau propriétaire : Shadow nous a confirmé vouloir désormais se cantonner à une seule offre – contre trois auparavant –, commercialisée à 29,99 euros par mois. Soit le double de ce qui était proposé jusqu’ici en entrée de gamme, à 14,99 euros.

Sur le moyen terme, Octave Klaba souhaite donner un modèle économique hybride à son service. Shadow, uniquement proposé aux particuliers, pourrait ainsi jouir d’une nouvelle audience en étendant son offre de cloud computing aux entreprises. "On travaille sur une offre moins chère de bureautique pour proposer du ‘software as a service’ , du licensing et du streaming d'application" , a aussi confié le fondateur d’OVHcloud aux Échos, qui se dit certain de "bousculer la concurrence" avec ce positionnement. Pour autant, cette décision interroge en raison du poids des adversaires : il s’agit des Gafam. Dans un tweet du 5 mars 2021, Octave Klaba faisait part de son intention de "développer une alternative européenne à Office365/G-Suite". Un projet présentant un double inconvénient : il demandera de très lourds investissements et nécessitera une intégration maximale de Shadow au sein de HubiC. Ce qui ne serait pas dénué de conséquences pour les équipes.

Une équipe technique dépossédée

Selon Jean-Baptiste Kempf, qui a quitté Shadow il y a quelques semaines, une partie des salariés chargés des infrastructures sous Blade subissent déjà les synergies avec le groupe OVHcloud. "Une quinzaine de personnes n’ont plus de quoi travailler" , avance-t-il, rappelant que l’équipe technique se compose jusqu’ici de 20 personnes – Shadow compte 137 employés au total, indique l’entreprise. Toutes ont été reconduites suite au rachat, à l'exception de l’ex-directeur de la technologie qui portait une offre concurrente devant le tribunal relevait Next Inpact début avril 2021. Elles ont migré de Blade à la nouvelle entité, HubiC Shadow, il y a près de deux mois. Il est complexe de suivre les mouvements dans l’entreprise mais, sachant que les missions des techniciens de Shadow recoupent le cœur de métier d’OVHcloud, il est aisé d’imaginer que le repreneur puisse s'en séparer... bien que des garanties aient été données aux juges en matière de maintien de l’emploi.

Jean-Baptiste Kempf assure avoir reçu des demandes de lettres de recommandation de la part de salariés souhaitant tourner la page de Blade. Selon une autre de nos sources, qui souhaite rester anonyme mais est proche du dossier, "si les salariés s’en vont, il n’y a plus de Shadow". On nous explique ainsi que pousser ces derniers vers la sortie "serait une erreur fondamentale : Octave Klaba n’a pas racheté une base d’utilisateurs ou des brevets, mais bien des compétences. Il en a conscience."

"Si les salariés s’en vont, il n’y a plus de Shadow. Cela serait une erreur fondamentale : Octave Klaba n’a pas racheté une base d’utilisateurs ou des brevets, mais des compétences. Il en a conscience" , juge une source, qui souhaite rester anonyme mais est proche du dossier.

Et là, deux faits s’opposent. L’expertise de ces effectifs pourrait s’avérer cruciale pour traduire la vision du dirigeant d’OVHcloud consistant à bâtir un champion européen – dont le détail n’a pas été dévoilé publiquement, mais repose sur la souveraineté des données : "Développer deux mastodontes pour supporter la croissance européenne du cloud : l'un avec Shadow pour le côté software et l'autre avec OVH côté infrastructure." Octave Klaba aura besoin des techniciens de Shadow pour alimenter la culture du logiciel qu'il appelle de ses vœux, dont il ne dispose pas à travers son entreprise historique.

Mais la mutualisation des ressources en matière d’infrastructures avec OVHcloud, dont on peut imaginer qu'elle provoque le départ d'une poignée de techniciens de Shadow, pourrait redonner du souffle au service de cloud compting. Il s’agit, depuis le départ, d’un poste de dépenses majeur pour ce dernier. Florian Giraud, l’ancien vice-président de Blade chargé de la relation aux consommateurs, a quitté l’entreprise peu après son rachat pour rejoindre le néo-assureur Luko. Il nous expliquait en mars 2021 que "gérer des infrastructures sous-entend d’importants besoins en capitaux".

Pour rappel, c’est ce point précis qui a conduit l’entreprise à être placée en redressement judiciaire… puis rachetée par Octave Klaba. Une levée de fonds de 50 à 60 millions de dollars était prévue en septembre 2020 pour renflouer les caisses. Selon Jean-Baptiste Kempf, "une erreur stratégique, un investisseur principal n’ayant pas voulu remettre au pot et le Covid-19" ont contribué à la déroute. Reste à voir si HubiC remettra le service, un temps érigé en exemple au sein de la French Tech, sur de bons rails. En matière économique, comme de vision à long terme.