Éditrice d’une plateforme SaaS permettant aux entreprises d’améliorer l’expérience de recherche des utilisateurs sur leurs sites internet ou applications mobiles, Algolia avance au rythme d’une fusée dans l’univers du logiciel. Son interface de programmation (API), qui permet à n’importe quel développeur souhaitant créer une expérience de recherche de l’implémenter facilement et rapidement, est déjà utilisée par plus de 7000 entreprises dans le monde — dont Twitch, Lacoste, Medium ou Stripe.
Créée par deux Français, Julien Lemoine, chief technology officer, et Nicolas Dessaigne, qui a quitté son poste de CEO tout en restant au board il y a un an, Algolia vaut désormais 2,5 milliards de dollars. L’entreprise, qui aura créé 500 emplois en moins de dix ans, vient d’annoncer un nouveau tour de table de 150 millions de dollars mené par Lone Pine Capital, Fidelity Management & Research Company LLC, Steadfast Capital Ventures, Glynn Capital, Twilio, et des investisseurs actuels dont Accel et Salesforce Ventures.
Au total, depuis sa création, la scaleup a collecté 315 millions de dollars. Notons que le fonds français Alven, qui a investi en 2013 lors de l’amorçage, aux cotés de Thibault Elzière ou du fonds anglo-saxon Index, est toujours présent au capital. C’est ce qu’on appelle avoir le nez creux.
Ce que va faire Algolia de tout cet argent ? Recruter. Peut-être réaliser de l’acquisition externe comme en début d’année avec un rachat en Roumanie. Investir dans la technologie. Et éventuellement préparer une introduction en Bourse. « On essaie de garder toutes les options ouvertes, levées de fonds ou IPO. Ça va dépendre de notre degré de maturité. Il y a désormais un marché pour des IPO plus tardives car il y a beaucoup d’argent disponible chez les investisseurs » , explique s Julien Lemoine à Maddyness, citant les exemples de Stripe, Dropbox ou Airnbnb.
Si avec ce tour de table Algolia est confortée dans ses ambitions mondiales, l’entreprise n’est plus la même qu’avant la pandémie. Covid-19, management, gestion de ressources humaines et même politique, le dirigeant quadragénaire a accepté de sortir de la communication habituelle autour des levées de fonds.
Qu’est-ce qui pourrait vous empêcher dans un horizon assez proche de vous lancer dans une procédure d’introduction au Nasdaq ?
Il peut y avoir plusieurs raisons comme un retournement des marchés qui ne seraient plus aussi positifs qu’en ce moment ou un investissement sur un sujet qui change la vision de l’entreprise et qui mériterait qu’on se donne du temps. Sur le marché privé du capital-risque, on parle à des experts. Sur le marché public, de la Bourse, on parle au monde entier. Il faut un discours accessible, une vision léchée. Il faut être capable d’avoir cette position.
Vous avez créé Algolia en France en 2012 avec Nicolas Dessaigne avant de rapidement installer le siège de l’entreprise aux États-Unis après votre passage chez Y Combinator. Aviez-vous finalement le choix ?
Dans notre industrie, pour avoir du succès, il faut être Américain. Tous les éditeurs de logiciels sont cotés aux États-Unis. C’est là-bas que les activités sont comparables. Il n’y pas 50 Bourses tech qui sont suivies. Les analystes, les banques d’affaires scrutent les cotations du Nasdaq.
La réalité c’est que les entreprises cotées à Paris sont belles. Je ne remets pas en cause leur statut mais elles sont plus sur une exécution pour un grand marché national. Dans ce cas, on peut se permettre d’être coté en France.
Le siège social d’une entreprise innovante est-il finalement symbolique ?
Quand on est une entreprise avec une activité mondiale, quelque part on peut dire ça, oui. Et ce sera encore plus symbolique demain, avec des gens qui travaillent de partout. Le siège social, c’est un sujet politique. C’est une bataille d’il y a trois générations. Si on est franc, les sociétés ne sont plus engagées dans une course aux bénéfices. Ils sont tous réinvestis pour la croissance future. Les investisseurs sont rémunérés par l’augmentation du capital, pas sur les dividendes.
Le siège social, c’est un sujet politique. C’est une bataille d’il y a trois générations.
De nombreux États sont encore sur un mode de réflexion du lieu d’implantation du siège social car ils réfléchissent en termes d’impôt sur les bénéfices. Le débat et la bataille devraient porter davantage sur les emplois : les charges sur les salaires rapportent de l’argent aux États. Le vrai sujet c’est l’endroit où une entreprise paie ses salariés.
Et aujourd’hui, justement, 18 mois après le début de la pandémie de Covid-19 qui ont chamboulé la vie des entreprises et installé le télétravail, où se trouvent les salariés d’Algolia ?
En majorité en France (250 sur près de 500, ndlr), mais on a vu un réel impact de la crise sanitaire. Le monde d’avant n’existe plus. Auparavant, quand on décidait de se développer chez Algolia, on créait une entité, des bureaux, avec des tailles critiques. On est arrivé à six bureaux. Avec la pandémie et les confinements, on s’est demandé ce que voulaient nos employés. Nous avons proposé trois choix aux équipes : travailler à distance tout le temps sans être rattachés à un bureau ; en partial remote avec une présence 1 à 2 jours par semaine et un retour au bureau.
Les sondages ne sont sans doute pas la meilleure manière d’avoir des infos claires et transparentes mais cette méthode nous a néanmoins fait remonter de vrais sujets : les gens voulaient de plus en plus de la flexibilité et une minorité voulait pouvoir travailler à distance, sans être attachés à un bureau. Résultat, en grande majorité, on est passé dans un mode hybride remote où les gens viennent de temps en temps.
Concrètement, en France, on a vu des salariés partir en province. On a aussi vu des salariés étrangers ébranlés par ces confinements. Nous comptons 20 nationalités chez Algolia. Pour la plupart, ils habitaient en France dans un monde où ils pouvaient voyager, et tout d’un coup ce n’était plus possible. Ça a changé leur mode de pensée. Ils ont réalisé qu’ils ne pouvaient pas être éloignés de leur famille pendant plus d’un an. Ça a modifié la manière de vouloir revenir dans leur pays d’origine.
On a aussi demandé aux managers comment ils désiraient voir l’évolution des équipes. Leur réponse a été limpide : ils veulent embaucher les talents, peu importe où ils se trouvent.
Concrètement, quelles ont été les changements opérés pour parvenir à ce fonctionnement hybride ?
Nous avons établi avec les services juridiques et ressources humaines une liste des pays dans lesquels nos salariés pouvaient travailler sans problème. Il ne doit y avoir aucun problème avec la législation en place. On a désormais une liste de 20 pays dans lesquels nous pouvons embaucher. Résultat, en plus de nos 7 bureaux existants (trois aux États-Unis, un à Paris, un à Londres, un à Tokyo, un à Bucarest suite à un rachat, ndlr), nous avons des salariés aux Pays Bas, en Australie, en Allemagne, en Espagne, au Canada. Notre CEO Bernadette Nixon, arrivée au printemps 2020, a toujours travaillé depuis Boston où nous n’avons pas de bureau. Que l’on soit sur une terrasse, au bureau, sur un bateau : l’important c’est que le travail soit fait.
Moi-même, mes enfants ne m’auront jamais autant vu que depuis 18 mois. Ils vont avoir du mal à me voir repartir. (sourire)
Certains sociologues pensent que le bureau aura demain une fonction de prestige compte tenu des habitudes prises avec le télétravail. Qu’en pensez-vous ?
Avec cette crise sanitaire, les entreprises font une expérience à l’échelle 1, sur un plan mondial. Nous ne sommes qu’au début et on teste tous les conséquences mais on ne retrouvera pas le même bureau qu’avant. Ou alors, ce sera compliqué en termes de gestion et de recrutement des salariés pour les sociétés qui décident de faire ce choix. Quand dans certaines entreprises, des salariés devaient prendre une demi-journée pour récupérer un colis ou attendre le passage d’un réparateur, ce ne sera plus tolérable.
C’est la réalité : le télétravail a prouvé qu’on pouvait prendre du temps pour soi sans dégrader son travail. Au contraire. Il a apporté énormément de choses positives et mis aussi en avant des travers de la vie de bureau comme le fait de trouver des salles de réunions… (rires)