Republication d’un article du 28 mai 2021
En cette journée mondiale de l’hygiène menstruelle, une étude OpinionWay pour l’association Règles Élémentaires révèle qu’une femme sur cinq a déjà été confrontée à la précarité menstruelle, cette difficulté, voire impossibilité, d’accéder à des protections hygiéniques pour des raisons financières. Longtemps resté tabou, comme beaucoup d’autres problématiques liées à la santé des femmes, le sujet prend aujourd’hui de plus en plus de place dans l’espace public et les langues se délient. Si le gouvernement se saisit de ces thèmes à travers des actions comme la stratégie nationale contre l’endométriose ou encore la mise à disposition de protections hygiéniques gratuitement pour les lycéeennes, la tech et les startups foisonnent aussi pour améliorer la santé et le quotidien des femmes. “La FemTech accompagne ce mouvement sociétal de libération de la parole des femmes, qui reprennent le contrôle de leur corps”, indique, à Maddyness, Marine Wetzel, startup program manager à Station F et cheffe du pôle FemTech de Sista.
Selon le rapport de Frost & Sullivan, publié en 2018, le marché mondial de la FemTech devrait représenter 50 milliards de dollars d’ici 2025. Si certains acteurs de l’écosystème tech le qualifie encore de marché de niche, les clientes ciblées représentent pourtant 50% de la population mondiale…. Le potentiel est énorme donc, mais il souffre encore des tabous qui tournent autour des sujets que le secteur couvre, comme la menstruation, le bien-être sexuel, la fertilité, la ménopause… ”Les règles sont encore affichées en bleu dans les pubs, on s’interdit de parler de ménopause et les réseaux sociaux bloquent tout ce qui a trait au bien-être sexuel”, déplore Marine Wetzel. Aujourd’hui, la R&D spécifiquement orientée vers la santé des femmes ne représente que 4% du financement global de la recherche en santé. Comparativement, 2% de cet argent va à la recherche ciblée sur le cancer de la prostate, rappelle Diane Roujou de Boubée, VC chez Citizen Capital, dans son post Medium.
Fertilité, grossesse, règles, vie sexuelle et ménopause
Mais, concrètement, que veut dire “FemTech” ? Abrégé de “female technology”, ce mot a été créé en 2016 à l’initiative de l’entrepreneuse danoise Ida Tin, créatrice d’une application, Clue, pour tracer sa menstruation. “Ce terme comprend toutes les initiatives qui se réfèrent à la santé des femmes en général, et plus particulièrement aux règles, à la fertilité, à la grossesse et la maternité, au bien-être, à la vie sexuelle et à la ménopause, précise Shiraz Mahfoudhi, VC chez SpeedInvest et coordinatrice du programme Inclusion & Diversité chez Sista. Ces technologies, produits et services contrebalancent avec un passé dans lequel on n’acceptait pas de femmes dans les essais cliniques, ce qui rendait souvent les médicaments et solutions inadaptés à cette cible”.
“L’Europe est un peu en retard par rapport aux Etats-Unis sur ce marché, estime Marine Wetzel. Mais cela n’est pas propre aux FemTech. L’Amérique a une longueur d’avance dans la plupart des industries tech. En santé, leur système plus libéral permet aussi plus d’innovations dans leurs cliniques privées que dans nos établissements publics”. Si l’Hexagone n’est pas au niveau des champions européens anglais et allemands sur le secteur, les observateur·rice·s restent optimistes, et notent que la France décolle sur le sujet, et atteint la troisième place du podium sur le continent du point de vue des financements. “De plus en plus de startups se positionnent sur la FemTech, en s’inspirant des Etats-Unis”, détaille Shiraz Mahfoudhi. Au sein du collectif d’entrepreneur·euse·s #FranceFemTech, on compte plus de 70 jeunes pousses françaises sur ce marché.
Des segments plus ou moins populaires
Si ce n’est pas encore le cas pour les entreprises françaises, il y a eu des ventes importantes dans le secteur, comme le rachat de la solution KaNDy Therapeutics à destination des femmes ménopausées par le géant allemand Bayer en août 2020, et des entrées en Bourse, comme la startup américaine Progyny, au Nasdaq, en octobre 2019. “Tous ces signaux prouvent que le secteur est porteur et cela crée un cercle vertueux, un effet boule de neige du côté des financements”, se réjouit Marine Wetzel. En effet, en cinq ans, les montants levés par les startups FemTech ont augmenté de 27% (entre 2015 et 2020) pour atteindre 1,2 milliard dans le monde. En Europe, 60,2 millions d’euros ont été levés en 2020, soit seulement 0,6% des transactions dans le domaine de la santé – cela représentait 2,3% en 2019.
Derrière ces signaux positifs, on constate qu’il existe des disparités de financements et de représentation au sein de la FemTech. En effet, si des secteurs comme la Menstrutech ou le bien-être sexuel n’ont respectivement réussi à lever que 21 millions de dollars et 40 millions de dollars, d’autres, déjà plus porteurs, explosent ces chiffres, tirés du rapport Frost & Sullivan. Par exemple, le domaine de la fertilité a totalisé 423 millions de dollars levés, et 228 millions pour celui de la maternité. “Les différents segments FemTech n’ont pas du tout la même visibilité et ne sont pas adressés de la même manière”, confirme Shiraz Mahfoudhi.
Un manque d’accès au financement
En France, des pépites font déjà beaucoup parler d’elles. Pour la détection et le suivi de pathologies ou problèmes de santé par exemple, Endodiag facilite le diagnostic de l’endométriose, Fizimed développe une sonde de rééducation du périnée, Ablacare a levé 10 millions d’euros en 2019 pour lutter contre le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK, qui touche 10% des femmes) et Lattice Medical crée un implant mammaire en impression 3D pour les femmes suite à une ablation après un cancer du sein. Côté bien-être et sexualité, Marie Comacle a été surprise par le succès de son sextoy avec sa marque Puissante, qui a réalisé 2500% de ses objectifs sur la plateforme Ulule. La FemTech, c’est aussi l’éducation, et la France n’est pas en reste puisqu’elle abrite des solutions comme Climax, une série éducative portant sur le plaisir féminin. Enfin, les solutions d’accompagnement à la grossesse, comme Efelya, ou dans le parcours des femmes en PMA, à l’image de Wistim, se multiplient sur le territoire.
Prudence toutefois, si le secteur est porteur, il n’en reste pas moins semé d’embûches, et pas des moindres… “La FemTech se confronte à deux principaux obstacles : le premier concerne l’accès au financement. Les sujets traités par les entreprises sur ce marché sont souvent tabous en société”, explique Shiraz Mahfoudhi, qui ajoute : “en plus, les investisseurs étant principalement des hommes, ils ont du mal à comprendre le besoin adressé et l’opportunité commerciale qui se cache derrière”.