Ils sont moins d’une dizaine ce lundi 22 novembre matin, répartis entre le rez-de-chaussée et le sous-sol du bâtiment rectangulaire de 400m², situé rue Kelvin, en plein milieu du géant site EDF Lab Les Renardières, à Écuelles (Seine-et-Marne). Autour d’eux, quantité d’ingénieurs et techniciens, dans des laboratoires autrement plus imposants, mènent régulièrement des essais de réseaux électriques, reproduisent des climats tropicaux ou éprouvent la résistance de pylônes électriques sur lesquels s’abat une foudre programmée par leurs soins. L’équipe d’EDF Pulse Design, elle, est moins bruyante que ses voisins : elle s’active sur de plus petites machines, de l’ordinateur portable à l’imprimante 3D de pointe.
" Le principe du Design Lab, qui a vu le jour en 2013, était de créer un espace simple, ouvert, où on travaille tous ensemble sur des projets avec des regards différents et, autour de nous, de multiples ressources pour se mettre très vite en action afin de tester immédiatement chaque hypothèse ", décrit Guillaume Foissac, responsable du lieu, en balayant du regard une pièce lumineuse, centrée autour d’un îlot de bureau, lui-même entouré de différentes petites machines de moulage du plastique, d’un écran numérique et d’étagères jonchées d’ouvrages de design et de maquettes en tout genre.
Arrivé chez EDF en 2006, il a fallu plusieurs années à ce quadragénaire pour imposer, projet après projet, sa vision pluridisciplinaire de designer face à une culture d’entreprise qu’il qualifie de " très technique " et dans un environnement qui lui était alors " étranger ", admet-il aujourd’hui. Son bras droit, Étienne Vallet, le rejoint en 2008 et c’est ensemble qu’ils montent cinq ans plus tard le Design Lab, au sein de la R&D du groupe. " Notre mission est de développer des innovations qui ne reposent pas uniquement sur l'appréciation technologique des dispositifs, mais qui cherchent aussi à s'adapter aux usages, à préserver l'environnement et à permettre le vivre-ensemble, résume Guillaume Foissac. Et ce, dans des thématiques aussi diverses que la précarité énergétique, la mobilité électrique, la relation de la production d’énergies avec les territoires, la domotique ou encore l’avenir de la production agricole. "
Une vingtaine de brevets déposés
Après huit ans d’activité, le Design Lab s’est fait une place au sein du groupe : le service a dépassé les vingt personnes en 2019, dont une grande majorité de designers accompagnés par quelques ingénieurs et développeurs. , " Avec un budget plutôt modeste à l’échelle d’EDF " consent le responsable du lieu, son équipe initie et participe à 60 à 70 projets par an. Elle a déposé une vingtaine de brevets jusqu’à maintenant. De surcroît, elle jouit " d’une bonne visibilité, en interne comme en externe ", se félicite Guillaume Foissac, invité le lendemain au Shiftlab, un événement annuel dédié au design, organisé au Liberté Living-Lab, un tiers-lieu d’innovation situé dans le 2e arrondissement de Paris.
Avec cette reconnaissance, le Design Lab a triplé de volume et se divise désormais en plusieurs espaces sur deux étages, au rez-de-chaussée et au sous-sol. Et c’est tant mieux : d’autant que l’équipe a rejoint la direction de l’innovation du groupe EDF qui souhaite placer le design au cœur de sa stratégie. " Notre ambition est de montrer par l’exemple que la rupture dans l'innovation peut être facteur de succès commercial ", lance Guillaume Foissac.
Mais le " M. Design " d’EDF n’a pas de temps à perdre. Il fonce au sous-sol, où l’un de ses collaborateurs vient de recevoir un écran tactile souple à haute-définition, " directement du constructeur chinois ". Cette technologie émergente, " qui commence tout juste à équiper quelques smartphones Samsung haut de gamme ", l’équipe d’EDF Pulse Design pourrait en avoir besoin pour un projet stratégique pour le groupe – et donc confidentiel. " Tu as de la chance, il ne marchait pas il y a cinq minutes ", s’amuse son collaborateur tout en manipulant l’objet.
Des objets à la pointe de la technologie, c’est aujourd’hui plutôt dans la Microfactory, juste derrière, qu’on les trouve. Deux imprimantes 3D en résine photosensible (micro-stéréolithographie) dernière génération, une imprimante 3D multi-matériaux couleur à 100 000 euros pièce, un ensemble de trois machines pour graver un circuit imprimé, le faire fondre et y installer les composants… : EDF Pulse Design peut se targuer de posséder un espace de fabrication de haute facture qui dépasse largement les standards de l’univers des Fablab. " Aujourd’hui, notre nouvel objectif n’est plus de seulement fabriquer des prototypes, mais de produire des innovations entièrement intégrées et en petites séries afin de les tester auprès d’un plus grand nombre d’utilisateurs, indique Guillaume Foissac. C’est également une façon de s’engager dans un modèle industriel d’avenir où les questions d’échelle de production et de localisation seront fondamentalement revues. Nous sommes les seuls chez EDF à avoir un tel matériel, qui intéresse beaucoup en interne. C’est pourquoi nous allons créer une offre afin de rendre accessible notre Microfactory à l'ensemble des collaborateurs du groupe qui souhaitent innover. "
High-tech, low-tech : à chaque usage son besoin technologique
Pourtant, Guillaume Foissac insiste : le travail d’EDF Pulse Design n’est pas uniquement technologique. Pour preuve, il brandit un bout de papier plastifié sur lequel on retrouve un thermomètre à l’encre thermochrome – " comme ceux que vous avez peut-être eus quand vous étiez petit pour prendre votre température sur le front ", sourit le designer. Ce dispositif " low-cost et low-tech ", fruit d’une réflexion issue du programme de travail " Précarité " du groupe EDF, a vu le jour il y plus de dix ans, en collaboration avec les services d’aide-sociale de la ville de Melun, non loin du site Les Renardières. " Nos rencontres avec des associations nous avaient amenés à un constat : les personnes en situation de précarité énergétique ne savent bien souvent pas à quelle température elles se chauffent et donc surconsomment, alors qu’elles sont généralement déjà dans un budget très contraint ", se rappelle Guillaume Foissac. Les designers d’EDF ont alors conçu ce petit thermomètre, facile à installer sur une poignée de porte, qui coûte 10 centimes à produire, et l’ont distribué gratuitement à plus d’un million d’exemplaires dans des centres sociaux aux quatre coins de la France. " Et encore la semaine dernière, quelqu’un dans le groupe nous a envoyé un e-mail pour en ré-éditer 5 000 ", ajoute le responsable d’EDF Pulse Design.
Derrière lui, sur le mur du sous-sol du laboratoire, se trouve un intrigant miroir en forme de L très ouvert. Un produit qui émane de l’esprit des designers. " EDF, entreprise à mission, a dû définir sa raison d’être il y a deux ans : “Construire un avenir énergétique neutre en CO₂, conciliant préservation de la planète, bien-être et développement, grâce à l'électricité et à des solutions et services innovants”, rapporte Guillaume Foissac. Nous avons inscrit tous ces mots sur un tableau, les avons associés les uns aux autres pour voir ce qui en découlerait. Une trentaine d’hypothèses ont été générées, qui se sont finalement réduites à l’idée du miroir. Nous avons transformé cet objet du quotidien, qui permet de se voir tel qu'on est mais aussi, dans l’imaginaire collectif, tel qu'on aimerait être, en outil de sensibilisation sur notre consommation d’énergie. "
Si la partie verticale de l’objet n’est qu’un simple miroir réfléchissant, la partie inférieure oblique, elle, cache un écran qui diffuse des informations environnementales (émissions carbone, qualité de l’air…). Mais l’ingéniosité de ce produit vient de son capteur micro-ondes, qui permet de " modéliser l’espace pour savoir à quelle distance et dans quel angle est l’individu afin de lui promulguer une information globale et floue quand il est loin et plus détaillée quand il se rapproche. Tout cela sans jamais utiliser de caméra et donc de maintenir intacte l’intimité du foyer ", détaille le designer.
S’auto-saisir des problématiques sociales et sociétales
Cet objet, que l’équipe d’EDF Pulse Design espère transformer en offre du groupe, illustre bien une autre ambition que s’est donné son responsable depuis le passage à la nouvelle direction : se saisir davantage des problématiques qu’ils identifient, et étendre son champ d’exploration à l’ensemble des grands métiers du groupe.
La meilleure illustration de cet objectif demande de regarder à travers les nombreuses vitres du laboratoire. Au loin, on aperçoit une sorte de dalle sombre. Il s’agit de Up Data Solar, un serveur assemblé à partir de panneaux solaires, de batteries de véhicules et de processeurs de smartphones – le tout en fin de vie et bon pour le recyclage. " Ce serveur héberge un site web, vitrine de notre réflexion sur cette installation entièrement alimentée en énergie solaire et fabriquée à partir de matériaux de seconde main, précise Guillaume Foissac. Du fait des aléas climatiques, le site ne fonctionne pas toujours et ce n’est pas forcément grave, mais surtout il se coupe la nuit lorsque personne ne s’y connecte. " L’avenir technologique ne se traduit pas toujours par du tout connecté, tout le temps, argue le designer en substance. L’objet a récemment attiré la curiosité d’un responsable du service datacenters d’EDF, qui a sollicité EDF Pulse Design pour travailler sur un modèle similaire.
" Notre proposition est rarement un produit sur étagère "
En attendant de transformer l’essai de projets comme le miroir ou Up Data Solar, Guillaume Foissac porte les grandes ambitions d’EDF Pulse Design, qu’il souhaite " positionner sur des axes et secteurs clés aujourd'hui vierges ou qu’EDF n’investit pas encore ". C’est dans ce contexte qu’a débuté le projet Autonomie(s) en 2020, après avoir imaginé un avenir où les individus se rêveraient autonomes en énergies. " Quand on s’appelle EDF, on pourrait dire que c'est plutôt un risque qu'une opportunité, concède Guillaume Foissac. Mais on peut aussi se dire que c'est un pas de côté et qu’on peut aider cette transition-là, faire en sorte que demain, les personnes soient de plus en plus autonomes et qu’EDF, en tant que distributeur d'énergie, puisse fournir des services et systèmes autonomes performants et en faire la maintenance. "
Partant de ce postulat, l’équipe d’EDF Pulse Design a ouvert la réflexion à trois autres problématiques : l’alimentation, l’eau et les données. Entourés d’universitaires, d’experts des données ou encore des spécialistes du CNES, " qui en connaissent un rayon sur l’autonomie ", les designers ont esquissé trois scénarios, dont le plus saillant a été baptisé " Village résilient ", " où chaque foyer a sa spécialité et produit une ressource en excédent et où l’on a créé un réseau interne pour répartir équitablement les ressources ", décrit Guillaume Foissac.
Comme celui-ci, beaucoup de projets d’EDF Pulse Design sont présentés en photos et vidéos, montés dans le véritable studio professionnel du sous-sol, jouxtant la Microfactory, et diffusés en interne comme à l’externe. " On ne va pas se mentir : notre proposition est rarement un produit sur étagère, admet Guillaume Foissac. Souvent, les retombées de notre travail sont assez indirectes mais nos hypothèses alimentent une réflexion, la stimule, pour amener une prise de conscience qui dépasse les seules appréciations économiques ou industrielles. Et ça, c’est précieux pour un groupe comme EDF. "
La direction l’a d’ailleurs bien compris, puisqu’EDF Pulse Design a été sollicité pour participer au développement majeur dans l’avenir d’EDF, la construction de petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR), annoncée le 9 novembre dernier par Emmanuel Macron.
Maddyness, partenaire média d’EDF Pulse