13 janvier 2022
13 janvier 2022
Temps de lecture : 9 minutes
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1 an après son association avec Bolloré Logistics, Ovrsea dresse le bilan

Lever des fonds, c’est bien. Avoir des clients, c’est mieux. Un an après, où en sont les startups qui ont bouclé un tour de table ? Arthur Barillas, CEO et co-fondateur d’Ovrsea avec Brieuc André, Mathieu Mattei, Georges Semaan et Antoine Sauvage, fait le bilan de son association avec le groupe Bolloré Logistics.
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Imaginée, développée et portée par cinq amis, Ovrsea s’attaque à un enjeu de taille : la logistique liée au transport de marchandises entre les différents pays du monde. Si le sujet ne semble pas des plus sexy au premier abord, leur solution - basée sur des algorithmes - avait suscité l’intérêt des investisseurs mais aussi de plusieurs industriels il y a tout juste un an. Les cinq associés avaient alors fait le choix de faire confiance à Bolloré Logistics - qui devenait ainsi actionnaire majoritaire - pour poursuivre son développement. Indépendance, synergies mais aussi contexte géopolitique, Maddyness fait le bilan de cette année écoulée et de ce choix stratégique avec Arthur Barillas, CEO et co-fondateur d’Ovrsea.

Dans un premier temps, est-ce que vous pouvez nous expliquer quel est votre rôle et quel est l'apport de votre solution au sein de la chaîne logistique ? 

ll existe trois grands types d’acteurs au niveau international sur ce marché : les administrations étatiques, la douane ; les chargeurs qui sont les entreprises qui importent ou exportent les marchandises : les marques de vêtements, de produits électroniques, de biens industriels ; et de l’autre côté de la chaîne, on trouve les transporteurs - routiers, aériens, maritimes. On ne le sait pas mais 95% des entreprises ne travaillent pas en direct avec les transporteurs pour des raisons de prix et de multiplication des transporteurs. Les commissionnaires de transport - comme nous, qui ont besoin d’un diplôme pour pouvoir opérer - vont jouer le rôle de centrale d’achat et agréger des volumes de commandes auprès de plusieurs entreprises pour ensuite pouvoir négocier les prix avec des transporteurs. On a donc un effet de masse qui permet à nos clients de réaliser des économies d’échelle. On permet également d’avoir un interlocuteur unique qui coordonne les besoins d’un client avec plusieurs acteurs. Nous utilisons le numérique pour faciliter certains aspects du parcours client.

Il faut comprendre que dans le monde du transport, il y a des reconfigurations en permanence. Une entreprise va demander à ce que son produit arrive dans tel port plutôt que le premier choisi ou demander à utiliser l’avion plutôt qu'un transport routier au dernier moment. Grâce à notre solution, on peut re-calculer un itinéraire et réaliser un devis immédiat ou sous 24 heures. Le client décide alors de changer de moyen de transport ou non. Auparavant, tout le monde utilisait des tableurs Excel pour le faire. Au début nous opérions sur une petite zone et au fur et à mesure, nous avons élargi notre zone d’expertise pour aller vers les marchés américains ou canadiens. 

En quoi Ovrsea apporte une plus-value dans le contexte actuel : tensions géopolitiques, fermeture de ports, engorgement ?

Aujourd’hui, nos clients ont besoin de beaucoup de flexibilité. Pendant des années, les entreprises ont surfé sur la philosophie du zéro stock en partant du principe que les stocks étaient une perte de trésorerie. C’est un système qui marche dans un environnement calme où il n’y a pas de risque. En ce moment, les ports ferment en une journée pour cause de pandémie, celui de Los Angeles est surchargé, on observe des engorgements. Globalement, nous sommes dans un contexte avec beaucoup de demandes et peu d’offres. La seconde chose dont ont besoin nos clients est la visibilité. Et pour ces mêmes raisons. Habituellement, le temps de transport entre Shanghaï et le Havre est de 30 jours contre 50 aujourd’hui. Avec notre solution, nous leur permettons de mieux appréhender ces risques, de visualiser l’acheminement de leurs marchandises. Nous pouvons aussi leur proposer la solution la moins négative au niveau environnemental.

Il y a un an, vous avez préféré faire entrer le groupe Bolloré à votre capital plutôt qu’un ou plusieurs fonds d’investissement. Qu’est-ce qui vous a motivé ? 

Depuis notre lancement fin 2017, nous avons une ambition énorme. Nous voulons avoir un impact sur la transformation numérique et l’impact environnemental du secteur avec notre solution. On essaie de construire une société qui fera plusieurs centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires dans quelques années. On annonce déjà de premières ouvertures à l’étranger et on réalise déjà 30% de notre chiffre d’affaires à l’étranger, notamment aux Etats-Unis.

Nous avons été approchés par plusieurs industriels et à aucun moment, nous ne nous sommes dit qu’il fallait refuser d’envisager cette possibilité. Trois éléments nous ont poussé à ce rapprochement avec le groupe Bolloré Logistics: une convergence de point de vue - ils comprenaient où on voulait aller, notre ambition et la manière de le faire ; le partage d’un ADN commun et complémentaire et un bon contact humain. L'indépendance a été respectée scrupuleusement. Depuis un an, nous sommes très heureux, nous regardons l’avenir avec encore plus d’ambition et on s’autorise à être moins prudent. On parle souvent en mal des partenariats grands groupes et startups, c’est sans doute le cas dans la majorité des cas. Mais cela fonctionne pour nous et c’est sans doute une voie à explorer autre que la levée de fonds. 

Le mot "indépendance" a été martelé lors de l’annonce de cette prise de participation. Est-ce qu’elle a été actée dans le pacte d’actionnaires ?

Quand on discute d’indépendance, il faut toujours mêler une part de confiance au juridique. Le pacte d’actionnaires a été écrit pour respecter cette indépendance. Il y a tout un paragraphe sur l’esprit du partenariat. Cet esprit a été intégré dans les différentes clauses du pacte. La culture d’entreprise est la nôtre, il n’y a pas de volonté d’intégration. Je reprends toujours les personnes qui disent qu’on a vendu la boite : on s’est associé. Le groupe Bolloré est un investisseur (majoritaire, NDLR). Cela est sous-tendu par une confiance et une vision commune de développer l’entreprise dans un certain sens. Il y a eu un vrai respect des engagements.

Jusqu’ici, que vous a apporté le groupe Bolloré dans votre développement ? 

Notre ADN est d’avoir peu d’actifs - on ne possède aucun entrepôt. On a un mode de fonctionnement basé sur le numérique. En revanche, les transports qu’on organise dans 40 à 60 pays s'appuient sur leurs réseaux physiques. La première chose que nous a apporté Bolloré est son réseau. Nous qui sommes très numériques, nous nous appuyons sur leurs entrepôts, leurs connaissances du marché local. Cela crée beaucoup de valeur pour nous. En même temps, on achète des prestations à ce réseau donc on le valorise et on l’enrichit aussi. Il y a une réciprocité de création de valeur.

Le second point concerne la relation aux transporteurs. Le groupe Bolloré est un est plus gros acteurs du secteur et a des relations privilégiées avec les transporteurs maritimes et aériens, il nous aide à renégocier nos contrats, facilite les mises en relation, nous aide à grandir sur cette partie là qui est cruciale dans l'exécution de notre travail. Le troisième point concerne leur savoir-faire et leurs connaissances sur les sujets juridiques et financiers internationaux. Sur des points précis, les fonds n’auraient pas pu nous apporter une aide directe mais ils auraient été en appui sur d’autres points. On apprécie d’avoir un actionnaire qui sait ce dont on a besoin et qui a des connaissances à nous transmettre. 

Quels sont vos axes de développement pour 2022 ? 

On est au balbutiement de notre développement tout court et à l'international. On sert aujourd’hui 700 clients dont de très belles marques qu’on accompagne même à l’export, on a réussi à démontrer nos compétences en France. La suite de l’histoire est d’aller s’imposer ailleurs, de vendre un savoir-faire français. Nous venons d’ouvrir le marché espagnol et d’effectuer nos premiers recrutements. On s’apprête à faire la même chose dans deux pays européens et sur un autre continent également. Il est vraisemblable qu’on ouvre 4 à 5 marchés en 2022. Il y a toute une partie de l’actif technologique qu’on a déjà développé, notre expérience client et nos logiciels sont opérationnels. Nous recevons des demandes de clients aux Etats-Unis, au Japon qui nous demandent des volumes plus élevés.

Notre deuxième gros challenge sera de recruter 120 personnes - nous sommes 90 aujourd’hui - et donc de doubler notre équipe tech. Nous allons aussi recruter des profils commerciaux et d’autres plus opérationnels. C’est un vrai défi en raison de la pénurie de talents mais nous arrivons à embaucher de vrais talents, beaucoup viennent de l’école 42. Le facteur humain est essentiel dans notre succès, une personne peut vous permettre de multiplier votre rapidité de croissance par 4 ou 5.

Le groupe Bolloré envisage de céder sa branche de transport Afrique à l'armateur italo-suisse MSC. L’opération n’est pas encore validée mais si tel est le cas, cela pourrait-il vous toucher ? 

Nous sommes très peu présents en Afrique actuellement. Nous nous concentrons sur les principaux flux d’échanges Est-Ouest avec la diagonale Europe-Etats-Unis. La décision n’est pas encore prise, c’est bien de le préciser. Cela pourrait nous impacter indirectement car la volonté du groupe Bolloré Logistics reste d’investir dans le transport. Si une telle décision est prise, il pourrait y avoir un recentrage sur les activités restantes et donc sur notre périmètre.

La situation est complexe actuellement. On observe une hausse du prix des transports, des tensions géopolitiques et des fermetures liées à la pandémie. La situation peut-elle changer en 2022 ? 

Aujourd’hui, l’arbitre est Omicron et les futurs variants. La semaine dernière, le port de Ningbo en Chine a été fermé à cause de la pandémie. Je ne prévois pas de changement majeur en 2022. Il y aura toujours un excédent de demandes, le marché entre offres et demandes ne sera toujours pas à l’équilibre. Cela est lié au fait que les compagnies maritimes ont engagé la création de nouveaux navires pour faire face à la demande mais la construction d’un navire demande deux ans. Et lorsqu’ils arriveront sur le marché, d’autres seront supprimés en raison des nouvelles normes environnementales. En revanche, on aura un apaisement de la situation à partir de la deuxième moitié de 2023. D’ici-là, il faut que les entreprises prennent en considération l’allongement du temps pour obtenir un container, la hausse des prix et le contexte global.

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Crédit : Barrett Ward