26 janvier 2022
26 janvier 2022
Temps de lecture : 1 minute
1 min
8673

L’UE s’attaque au Far West d’Internet avec le DMA et le DSA

[INNOVER EN EUROPE 2/4] La France a pris, au début du mois de janvier, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Une position qui lui permet de soutenir et mettre en avant des sujets et dossiers qu’elle souhaite voir avancer rapidement. Deux textes sont dans son viseur, le Digital Market Act et le Digital Services Act. Explications.
ÉCOUTER L’ARTICLE
Temps de lecture : 1 minute
Partager
Ne passez pas à côté de l'économie de demain, recevez tous les jours à 7H30 la newsletter de Maddyness.
Légende photo :
Crédit : Alix Bocquier, Maddyness

Digital Market Act et Digital Services Act . Deux textes avec lesquels l’Union européenne va tenter de protéger davantage les consommateurs, permettre le développement de l’innovation et éviter la domination de quelques grands acteurs en harmonisant les règles qui s'appliquent en ligne, au sein des 27 États-membres. Une volonté qui se traduit par un jeu d’équilibriste : limiter le pouvoir des uns, sans étrangler le développement des autres en créant des "règles proportionnées, propices à l’innovation, à la croissance et à la compétitivité" , souligne la Commission européenne.

Les deux premières moutures de ces textes ont passé le cap du Parlement européen. Ils doivent désormais faire l’objet de dialogues tripartites — entre le Parlement, le Conseil et la Commission — afin qu'y soient apportés les ajustements et détails nécessaires à leur mise en application. En attendant leur adoption définitive et une possible entrée en vigueur le 1er janvier 2023, Maddyness fait le point avec le député européen allemand et rapporteur du Digital Market Act, Andreas Schwab, et la députée de Loire-Atlantique, chargée d’un rapport sur les plateformes numériques en 2020, Valéria Faure-Muntian.

Le Digital Market Act

Contexte et risques :

La pandémie l'a démontré : la numérisation de l'activité des entreprises, de toutes tailles, a explosé. Une situation qui fait le jeu des grandes plateformes, devenues un passage quasi-obligé pour des sociétés en quête de notoriété, d’espace de vente et de communication. Résultat : elles se retrouvent souvent dépendantes des classements effectués par les moteurs de recherche, mais aussi de la visibilité donnée à leur publicité ou à leurs contenus.

"Parfois, les contrôleurs d’accès ne jouent pas franc jeu et favorisent leurs propres services, ce qui entraîne l’exclusion des entreprises utilisatrices qui dépendent de ces plateformes pour toucher les consommateurs. Cette attitude réduit le choix des entreprises, ce qui risque de nuire à la qualité du service et d’augmenter les prix pour les consommateurs" , développe la Commission européenne, en préambule de la présentation du texte. En 2017, l'institution a d’ailleurs infligé une amende de 2,4 milliards d’euros à Google Shopping pour avoir favorisé son propre service de comparaison de prix. 

Le DMA a également dans son viseur les acquisitions prédatrices opérées par les grandes plateformes. Et l’année 2021 a été particulièrement prolifique en la matière. Les données de Dealabs, révélées par CNBC, montrent que Google a acheté 120 entreprises en 2021, Microsoft en a acquis 56, et Amazon 29, rapporte le Figaro. De quoi renforcer, petit à petit, leur monopole.

Ambition :

"Au cours des 20 dernières années, les "contrôleur d’accès" ont eu une incidence négative sur les règles de l'économie des plateformes numériques en raison de leur taille et des comportements anticoncurrentiels qu'ils pouvaient imposer. Le DMA interdit certaines pratiques anticoncurrentielles pour les grandes plateformes" , résume Andreas Schwab, rapporteur du texte.

L’idée générale en filigrane de ce texte est d’offrir aux startups, PME et ETI, un environnement favorable à leur développement, qui leur permette d’innover et de concurrencer les services proposées par les fameux gatekeepers ou contrôleurs d'accès.

Autre point essentiel porté par ce texte, la volonté de créer des procédures ex-ante favorisant une régulation en amont plutôt qu’une sanction après coup. "Une fois la loi entrée en vigueur, les entreprises doivent automatiquement démontrer qu'elles respectent les nouvelles obligations. La charge de la preuve est ainsi renversée : la Commission européenne ne doit plus recourir à des enquêtes qui prennent des années pour mettre fin à une seule pratique déloyale, développe Andreas Schwab. Désormais, les entreprises doivent mener toutes leurs activités de manière équitable, faute de quoi la Commission pourrait leur infliger des amendes. Les règles de concurrence loyale seront appliquées de manière uniforme en Europe et nous veillerons à ce que tous les consommateurs et toutes les entreprises bénéficient du marché unique de manière uniforme."

Contenu :

Le Digital Market Act s’adresse aux contrôleurs d’accès, c’est-à-dire les plateformes jouant un rôle essentiel dans le lien entre les entreprises et les consommateurs. Se définissent comme tel les sociétés réalisant un chiffre d’affaires de plus de 8 milliards d’euros réalisé dans l’espace économique européen ou une capitalisation boursière de plus de 80 milliards d’euros, un seuil revu à la hausse par le Parlement.

Ce qui tend à réduire le nombre de sociétés concernées. Un choix qu'Andreas Schwab justifie : "La Commission européenne doit faire appliquer les règles de manière immédiate et concise. Le relèvement des seuils quantitatifs modifiera surtout le nombre des premières entreprises concernées et donnera à la Commission tout le temps nécessaire pour s'attaquer d'abord aux problèmes les plus importants. Cette loi ne concerne pas des entreprises spécifiques. À long terme, davantage d'entreprises entreront dans le champ d'application et la Commission sera prête à appliquer rapidement le règlement."

Sera également pris en compte, dans la définition, le fait que la société en question contrôle un service de plateforme essentiel, comme une place de marché, un réseau social ou encore un moteur de recherche, à condition qu'il soit utilisé par plus de 10 % de la population européenne.

Parmi les principales mesures, on trouve : 

  • La possibilité pour les entreprises d’avoir accès aux données relatives à leurs clients, à leurs activités et aux campagnes de publicité effectuées sur les plateformes ;
  • La possibilité pour les utilisateurs de désinstaller des applications et services par défaut ;
  • La mise en place de dispositifs pour alerter les autorités compétentes sur d’éventuelles infractions commises ;
  • Un accès aux meilleures options disponibles et non uniquement à celles déterminées par les contrôleurs d’accès ;
  • Des restrictions concernant les acquisitions dites prédatrices et l’obligation d’informer la Commission européenne de tout projet de concentration de marché.

Sanctions envisagées:

Suite à la présentation et au vote du texte au Parlement européen, celui-ci a choisi d’augmenter "les amendes minimales et maximales que la Commission européenne peut imposer en cas de non-conformité" , souligne Andreas Schwab. Les contrôleurs d’accès s’exposeront alors à une amende comprise entre 4 et 20 % de leur chiffre d’affaires.

Ces deux textes doivent encore faire l’objet de discussions pour mettre en place et adopter un premier panel de mesures qui ne sont pas vouées à être gravées dans le marbre. "Il est essentiel de suivre le rythme rapide des marchés numériques pour garantir l'équité dans l'économie de plateforme du futur. Par conséquent, la Commission pourra mettre à jour les obligations et ajouter de nouveaux marchés dans lesquels les obligations du DMA s'appliquent" , projette Andreas Schwab. Et Valérie Faure-Muntian d'ajouter : "Une révision des textes et critères choisis devra être effectuée tous les deux ans, c’est une bonne solution pour rester aligné aux évolutions" du monde du numérique.

Le Digital Services Act

Contexte économique et risques :

Selon une infographie publiée par le Conseil de l’Union européenne, 73 % de la population européenne (447 millions d’individus) a réalisé des achats sur l'Internet en 2020 pour un montant de 757 milliards d’euros. Rien qu’en France, 80 % des citoyens de plus de 16 ans ont effectué un achat de ce type, cette même année. En croissance depuis plusieurs années, le commerce en ligne a connu une belle accélération ces deux dernières années en raison de la pandémie.

Malheureusement, cette croissance s'accompagne d'une augmentation des ventes de produits illicites (contrefaçons) ou dangereux et ne répondant pas aux normes imposées par l’Union européenne. Ce qui a conduit la France à interdire la mise en avant de la plateforme Wish en novembre 2021 dans les résultats de recherches. À ces enjeux s'ajoutent ceux relatifs à la diffusion de contenus terroristes ou incitant à la haine ainsi qu'aux fausses informations diffusées quotidiennement sur le Web.

C'est pour lutter contre ces dérives et rendre illégal en ligne ce qui l'est hors ligne, que le DSA a été pensé et développé.

Ambition :

"L'influence croissante de l'environnement en ligne sur nos vies n'est pas uniquement positive :  les algorithmes remettent en cause nos démocraties en diffusant la haine et la division, les géants de la technologie remettent en cause l'égalité des chances, les marchés en ligne remettent en cause les normes de protection des consommateurs et la sécurité des produits. Il faut que cela cesse" , assène la rapporteure du DSA, Christel Schaldemose.

Le Digital Services Act porte trois ambitions majeures : 

  • Protéger les consommateurs et leurs droits fondamentaux ;
  • Renforcer la responsabilité des plateformes et harmoniser les règles qui s’y appliquent ;
  • Favoriser l’innovation et une compétition équilibrée entre les entreprises.

D’après les chiffres avancés par la Commission européenne, ce texte pourrait conduire à une augmentation des ventes en ligne transfrontalières de 1,9 milliard à 6,6 milliards d’euros.

Au sujet de l'information diffusée en ligne, le facteur temps est essentiel. Aussi, ce texte vise à apporter "un traitement rapide des contenus dénoncés et engager la responsabilité relative des plateformes" , ajoute la députée française Valéria Faure-Muntian.

Contenu :

Les règles précisées dans le DSA concernent l’ensemble des services intermédiaires existants (fournisseurs d’accès à l'Internet, messagerie, réseaux sociaux), les services d’hébergement comme le cloud, les plateformes en ligne et les très grandes plateformes en ligne - qui comptent 10 % de la population européenne comme utilisateurs, soit 45 millions de personnes.

La législation établit plusieurs mesures, sans revisiter l’absence de responsabilité civile des hébergeurs, visant à structurer la protection du consommateur.

  • Déploiement d’un système de notifications de contenus illicites ;
  • Mise en place de signaleurs de confiance indépendants et labellisés dont les notifications devront être traitées en priorité ;
  • Retrait des contenus illicites sans retard excessif, en tenant compte du type de contenu illégal notifié et de l’urgence d’agir ;
  • Information du retrait du contenu illicite ;
  • Interdiction des interfaces trompeuses susceptibles d’altérer la prise de décision des utilisateurs ;
  • Contestation possible des modérations de contenu ;
  • Mise en place de moyens de modération proportionnés ;
  • Reporting des outils mis en place par les plateformes pour réguler les contenus en interne ;
  • Coopération avec les autorités nationales. 

Les plateformes seront soumises à des obligations de transparence par rapport à l’utilisation de leurs algorithmes et la mise en place d’au moins un système de recommandation qui ne s’appuie pas sur le profil des utilisateurs. Dans la même lignée, la publicité ciblée est encadrée avec notamment, l’interdiction de viser les mineurs et d’utiliser des données dites sensibles (religion, santé, etc.). Les très grandes plateformes devront travailler à la réduction des risques de partage de contenus illicites en réalisant, par exemple, des audits et en partageant leurs données avec des chercheurs et les autorités. 

Malgré ces avancées, la députée française, Valéria Faure-Muntian regrette que le texte ne soit "pas allé plus loin concernant la responsabilité en tant qu’éditeur". Le sujet n’est pas nouveau, mais s’avère être de mieux en mieux étudié. Elle plaide ainsi pour le déploiement d’outils d’auto-régulation à destination des utilisateurs ou un reporting hebdomadaire des types de contenus consultés par une personne qui pointerait le nombre de contenus retirés pour diffusion de fausses informations. 

Sanctions envisagées :

En cas de violation d'une ou de plusieurs de ces dispositions, les entreprises ciblées risquent une amende pouvant dépasser 5 % de leur chiffre d’affaires mensuel.

Retrouvez les autres articles du dossier consacré à l’Europe :