1 avril 2022
1 avril 2022
Temps de lecture : 6 minutes
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L'entreprise doit-elle prendre part au débat public ?

Le 5 avril prochain, The Boson Project organise Tchatche, un concours de joutes oratoires où entrepreneurs, avocats, experts… devront démontrer quels acteurs ont la responsabilité de changer le monde. L’occasion pour Maddyness, de s’interroger, sur le rôle des entreprises dans les enjeux sociétaux.
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Création de fondations, mise en place d’actions de mentorat, labellisation en société à mission… Le rôle des entreprises -et les attentes des citoyens et des salariés envers elles - ont beaucoup évolué au cours des dernières années. 

Longtemps perçue comme “un agent économique particulier” , le statut de l'entreprise a évolué dans l’esprit des citoyens pour devenir, depuis la fin du XXème siècle, “une structure qui ne se limite pas à la recherche du profit” , explique Emmanuelle Barbara, Senior Partner au sein du cabinet August Debouzy. Ce qui se traduit par le développement accru d’une marque employeur et d’une communication active autour de ses engagements. Un phénomène amplifié par “les réseaux sociaux et la création de communautés de consommateurs” qui donnent de l’ampleur et de la force à la communication et aux actions des marques. La crise ukrainienne -et les positions contraires de Décathlon et d’Auchan- illustrent parfaitement ce rôle politique des entreprises. 

La récente arrivée des “sociétés à mission” et des “raisons d’être” renforce cette vision en poussant les entreprises à s’interroger sur leur impact sur la société. 

Les attentes des salariés et des citoyens 

Le citoyen est un consommateur et un salarié qui possède, quel que soit le costume qu’il enfile, les mêmes exigences. On observe d’ailleurs des changements de comportement et une plus grande exigence chez les candidats comme les clients. Ces derniers sont plus regardants sur les produits qu’ils achètent, sont en quête de transparence et tendent à privilégier des produits fabriqués en France et plus sains. 

Les candidats et les salariés ne cherchent plus forcément la sécurité d’un CDI mais des entreprises et des métiers qui ont du sens. En témoignent la multiplication des reconversions, l’augmentation des entreprises de l’ESS (économie sociale et solidaire) ou encore le boycott de certains grands groupes par des étudiants.

Entrepreneuse et autrice de Ma génération va changer le monde, Flora Ghebali souligne ce changement. “Si les entreprises veulent continuer à embaucher dans ce contexte de guerre des talents, elles doivent changer en profondeur, pas le faire à moitié” . On observe “un enjeu générationnel avec des salariés qui n’acceptent plus un emploi qui n’a pas de sens. Il y a des démissions climatiques” , assure t-elle. Et ce ne sont pas les apéros et les babyfoots qui suffiront à créer l’environnement propice pour garder ces talents. “Il faut créer une vraie culture de l’engagement” à travers la réalisation d’actions de sensibilisation et d’engagements clairs. 

Un animal politique 

“Le chef d’entreprise est un homme politique comme un autre” , souligne Flora Ghebali car il “dirige un collectif” . Il doit donc y porter une grande attention.

“Des entreprises adoptent des pétitions de principe sur le partage de la valeur avec les salariés” , rappelle de son côté Emmanuelle Barbara. "L'entreprise est force de proposition aussi bien dans la démocratie politique que dans le domaine économique avec les négociations salariales etc. Les ordonnances travail permettent aux entreprises de légiférer directement avec les partenaires sociaux”

Les entreprises ont également un rôle social et sociétal à jouer sur les enjeux de parité, d’inclusion et de diversité. Beaucoup d’entre elles l’ont compris et, même parmi les jeunes structures, on voit apparaître des chief impact officer ou des chief diversity officer, dont les actions seront également à analyser avec un peu plus de recul. “Or, plus on demande à l'entreprise d’être active dans la vie de la cité, plus ses contours et ses barrières deviennent flous. Son rôle politique prend vie sous l’angle d’une politique RSE de plus en plus appuyée qui arrive en soutien de l’action de l’Etat” , conclut Emmanuelle Barbara. 

Clé d’avenir pour la société 

“L’idée que l’objet d’une entreprise c’est de faire du profit a fait beaucoup gloser et si cela reste un enjeu prioritaire pour toute entreprise, y compris simplement pour exister, cette idée ne permet pas pour autant de définir leur place dans la société" , souligne Vincent Lamkin, fondateur de Comfluence. Avant de poursuivre : "Les entreprises contribuent au progrès de la société, elles sont la clé de l’innovation. Elles ont donc un rôle social de premier plan”

Même si la croissance et le profit restent les bases sous-jacentes de la création des BioTech, GreenTech, AgriTech etc., leurs objectifs tendent tout de même à résoudre des problèmes de santé, répondre aux enjeux liés au réchauffement climatique ou encore assurer notre souveraineté alimentaire. Pascal Canfin, eurodéputé (Renew) reconnaît leur rôle et appelle les entreprises innovantes à faire entendre leur voix à Bruxelles. Innovation et législation sont, en réalité, liées. Plus la technologie développe des solutions, plus le législateur peut réguler les process des entreprises et imposer des standards plus vertueux. 

"Aujourd’hui l'entreprise a acquis une dimension politique car elle est un acteur de la transformation de la société et les grands groupes sont des puissances à part entière, qui concurrencent à certains égards le pouvoir de régulation des États, à l’instar des Gafam. Ce qui pose la question de leur responsabilité. Les entreprises doivent avoir conscience de leurs externalités négatives. C’est leur première responsabilité” , poursuit Vincent Lamkin. 

Sans oublier qu’en contribuant fortement aux émissions de CO2, les entreprises possèdent une responsabilité environnementale, pas seulement envers leurs salariés, mais envers la société dans son ensemble. L’intégration de critères extra-financiers dans le bilan des entreprises ou dans les critères observés par les investisseurs, tend à le démontrer. 

La perfection n’existe pas 

Attention à ne pas trop en demander aux entreprises non plus. “On attend des sociétés qu’elles soient parfaites, ce qui est impossible, alors même qu’elles n’ont jamais été aussi impliquées” , estime Vincent Lamkin.

“Les entreprises s’engagent de plus en plus sur des sujets de société mais elles ne doivent pas instrumentaliser cela pour servir leur image au risque de se faire elles-mêmes instrumentaliser sur des thèmes sociétaux qui relèvent du débat démocratique, ni tomber dans la caricature. Critiquées à juste titre par leur manque de représentation de la diversité dans leur publicité, elles sur-jouent dans certains cas avec une démagogie évidente” , alerte t-il. Le fondateur de Comfluence les appelle à mettre en avant leurs démarches et les progrès qu’elles réalisent plutôt que de tenter de paraître plus vertueuses qu’elles ne le sont. 

Le développement de startups comme Vendredi, qui accompagne les entreprises sur des sujets d'inclusion, de diversité, et d'engagements climatiques, montre aussi que les grands groupes comme des PME prennent conscience de leur responsabilité sur ces sujets. Même si la route reste encore longue.

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Crédit : Tom Parkes