24 mai 2022
24 mai 2022
Temps de lecture : 6 minutes
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Comment le numérique renforce la formation continue des médecins

Les technologies numériques commencent à bouleverser, bien après d’autres secteurs, la formation continue des professionnels de santé. Un enjeu notamment crucial pour les médecins, tenus par le serment d’Hippocrate de rafraîchir leurs connaissances et ayant à cœur de marquer leur indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique.
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La formation tout au long de la vie professionnelle est expressément mentionnée dans le serment d’Hippocrate. Les médecins – et par extension les autres professions médicales – se doivent de maintenir leurs savoirs à jour pour prodiguer les meilleurs soins possibles aux patients. Une étude, parue en juin 2021 dans la revue scientifique Nature, a estimé que la connaissance médicale double tous les 73 jours. La formation continue constitue donc un défi, que des startups de plus en plus nombreuses ont décidé de relever. "Moins d'un médecin généraliste sur huit valide ses obligations en la matière" , relève auprès de Maddyness Stanislas De Zutter, co-fondateur de Santé Académie, dont la plateforme en ligne propose aux professionnels des formations vidéo. Les entreprises misent donc sur le numérique afin de créer des formats à même de retenir l’attention des professionnels.

La vidéo à distance remplace le colloque

À l’image des appétences des jeunes, la vidéo occupe une place prépondérante dans les offres des acteurs de la formation numérique. Santé Académie affirme ainsi proposer "des épisodes de qualité cinématographique, faciles à grignoter entre deux consultations". La startup met aussi en avant le fait que "les formats asynchrones ont envahi le monde de la formation en général, avec des services tels qu’OpenClassrooms ou LiveMentor, et il n’y a pas de raison que la santé soit le parent pauvre de ces évolutions". Selon une étude de l’Agence nationale du développement professionnel continu, l’e-learning séduit de plus en plus puisqu’il représentait 64 % des actions de formation, contre seulement 25 % en 2018.

Santé Académie

La startup Invivox propose une plateforme de réservation et de consultation de formations médicales, aussi bien en ligne qu’en présentiel. Son co-fondateur, Julien Delpech, estime que la crise du Covid-19 a catalysé l’adoption des outils numériques : "En mars 2020, les professionnels de santé français connaissaient peu la maladie. Les experts avaient relevé que l’épidémie se développait avec environ deux semaines d’avance en Italie, par rapport à la France. La plateforme nous a permis de faire intervenir des médecins transalpins, qui ont partagé leur expérience." Le dirigeant, qui parle d’un "changement de paradigme" , indique que peu de solutions étaient si robustes avant la pandémie. Lui aussi voit l’intérêt de proposer des contenus de préférence courts et nécessairement à la demande : "Les médecins et infirmiers sont des professionnels pressés. Il faut leur laisser choisir quand ils veulent consommer le contenu, qu’il est préférable de saucissonner en capsules."

Invivox

La formation en ligne tend donc à réduire le rôle central que jouent les congrès médicaux depuis des décennies. Agé de 31 ans, Martial Jardel est un jeune médecin. Il s’est fait remarquer en 2021, en réalisant un "tour de France des remplacements" afin de lutter contre les déserts médicaux. Santé Académie, Doctrio, KitMedical… Le généraliste se dit adepte de la formation en ligne, tout comme son entourage : "Les plateformes ont su s’adapter aux attentes de la nouvelle génération. Elles permettent aussi à des praticiens exerçant dans des zones rurales et éloignées des colloques de se remettre à jour." Des outils qui lui permettent, dans sa pratique, de s’informer quant aux nouvelles indications relatives aux antibiotiques, mais également d’apprendre sur des cas plus rares. "Les gens se plaignent parfois du fait que leur ville n’est pas propre. Mais si on met des poubelles à disposition, ils jettent bien leurs déchets. En matière de formation, c’est pareil : si on n’a pas un véhicule adapté et accessible, on ne se donne pas la peine. C’est pourtant crucial."

Se prémunir de l'influence de l’industrie

Martial Jardel, qui consacre la moitié de son temps à des remplacements et l’autre moitié à une association de lutte contre les déserts médicaux, estime que "les outils numériques permettent de mieux intégrer l’information que dans un colloque" , souvent jugé indigeste. Le médecin souligne également l’intérêt de ces solutions en début de carrière, lorsque peu de droits à la formation ont été accumulés. "Je n’ai, dans mon cas, que quelques années d’exercice au compteur. Mon forfait DPC est donc assez maigre" , illustre-t-il. Or la science ne cesse pas de progresser, si bien qu’un professionnel, même récemment sorti d’études, passe à côté de certaines informations. Stanislas De Zutter relève ainsi que "le savoir se démultiplie quand la formation continue reste une pratique minoritaire". Et le dirigeant de Santé Académie de mentionner une étude de la Direction générale de l’offre de soins, qui souligne que plus d’un million de journées d’hospitalisation pourraient être évitées chaque année, dans le cas où la prise en charge serait meilleure en médecine de ville.

Plus qu’offrir un gain d’efficacité au moment de se former, les outils numériques auraient jusqu’ici permis d’améliorer la qualité des informations dispensées aux professionnels de santé. Martial Jardel assure ainsi qu’ils répondent, au moins en partie, à "un désir de la nouvelle génération de purifier la médecine de tout charlatanisme". Et d’expliquer : "Les médecins étaient, encore récemment, formés par les visiteurs médicaux. Or l’information ainsi fournie est biaisée, car ceux-ci servent les intérêts de laboratoires pharmaceutiques. On met désormais le focus sur la seule preuve scientifique." Santé Académie a identifié cette prise de conscience… et en a fait un argument commercial. "0 % de nos revenus proviennent de laboratoires pharmaceutiques ou fabricants de dispositifs médicaux. Nous avons une politique d’indépendance totale vis-à-vis de l’industrie" , insiste Stanislas De Zutter, soulignant que ses vidéos ont été conçues par "les plus grands experts français". Invivox indique, elle aussi, décortiquer les contenus poussés à ses 250 000 utilisateurs.

Les startups sondées rappellent toutes deux que si les professionnels de la médecine de ville ne sont pas ceux qui utilisent les technologies d’examen les plus poussées, ils sont ceux qui voient passer le plus de pathologies différentes. Et donc ceux qui doivent se tenir informés de la plus grande diversité de sujets. "C’est notre public prioritaire, réaffirme ainsi Stanislas De Zutter. Ces professionnels sont les mieux placés pour prendre en charge les patients au plus tôt, anticiper une aggravation de la maladie et éviter l’hospitalisation. Mais ils sont aussi surchargés et difficiles à atteindre : un généraliste fait de 30 à 60 consultations par jour et rencontre des difficultés pour se faire remplacer, lorsqu’il doit s’absenter." Une situation à laquelle nombre de médecins sont confrontés, selon Martial Jardel : "Lors de mon tour de France, j’ai rencontré une jeune médecin dans le Jura. Elle exerçait avec un médecin plus âgé, parti à la retraite depuis. La formation en ligne et la télémédecine ont soulagé son planning, en lui évitant certains déplacements." Un temps précieux, qui est ainsi réorienté vers les patients.