Les licornes sont des entreprises privées valorisées à plus d’un milliard d’euros par des investisseurs eux aussi privés. Ces derniers déterminent cette valorisation selon des critères connus et admis. Cependant, en fonction d’effets simples d’offre et de demande, cet exercice n’en reste pas moins qu’une négociation. Quand 10 investisseurs se battent pour gagner un investissement dans une startup, et bien que tous sachent que le juste prix est de X, la négociation devient une enchère. Et comme dans toute enchère, les prix deviennent parfois déraisonnables.
Les causes peuvent être multiples : des facteurs macroéconomiques, comme des taux d’intérêts faibles et donc une forte capacité à obtenir des liquidités, ou des changements disruptifs de comportements des populations, qui augmentent considérablement les usages des produits de ces sociétés et donc leur traction. Concernant ce second point, la crise sanitaire du Covid a permis à certaines grandes entreprises technologiques de connaître des croissances fulgurantes, dépassant toutes leurs attentes, leur faisant gagner, selon les CEO de ces mêmes sociétés (Zoom, Shopify), « entre 5 et 10 ans » sur leurs plans de développement produits et commerciaux.
Les multiples introductions en bourses qui ont eu lieu, ont, en partie, bénéficié aux investisseurs privés qui avaient investi dans ces sociétés : leur investissement est alors devenu liquide. Une fois que cet argent devient liquide (et donc encaissé) les investisseurs et leurs actionnaires (LPs, Limited Partners, les investisseurs des investisseurs) peuvent réinvestir cet argent. Mais où ? Car il y a alors tant d’argent à réinvestir qu’il est difficile de trouver preneur. C’est alors que les négociations se biaisent nettement en faveur des startups. Beaucoup d’argent à placer, mais pas plus de création d’entreprises qu’hier. Les entreprises reçoivent donc plus d’argent, plus facilement, à des valorisations plus élevées, parfois, beaucoup plus élevées.
Prenons la norme de ce qu’est une valorisation d’une société technologique au Nasdaq. Pré-Covid, le multiple entre le chiffre d’affaires réalisé et la valorisation était compris entre 10 et 20, plus généralement 10. C’est-à-dire que les marchés pensent que si une entreprise réalise 100 millions de dollars de chiffre d’affaires, sa valorisation est de 1 milliard de dollars. Cela peut sembler élevé mais, historiquement, une grande partie des entreprises technologiques cotées en Bourse ont effectivement réussi à faire suffisamment grandir leur chiffre d’affaires pour atteindre ce palier d’un milliard de dollars de revenus. Et les success stories, comme Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, aident à renforcer cette image de croissance sans limite.
Peu de licornes deviendront des centaures
Malheureusement, les multiples lors du bullrun [une période pendant laquelle la demande en bourse est supérieure à l’offre, N.D.L.R.] de 2021 étaient plus généralement compris entre 30 et 70. C’est à dire qu’une entreprise qui génère 25 millions d’euros de chiffre d’affaires était valorisée à 1 milliard d’euros, si le multiple était de 50 – ce qui est arrivé à plusieurs reprises.
Problème ? Pas de problème ? Problème. Car, s’il n’est pas impossible de penser que certaines de ces entreprises réussiront à se hisser à 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en quelques années, une grande majorité n’y arriveront pas. Que se passe-t-il dans ce cas ? L’entreprise prend un « down round » , c’est-à-dire que l’entreprise verra sa valeur baisser lors du prochain investissement. Problème ? Pas de problème ? Problème. Car l’entreprise est alors étiquetée comme sous-performante. Certes, le plus important est qu’elle reste en vie et donc, par conséquent, il est communément admis qu’un down round vaut mieux qu’une liquidation judiciaire.