Les contours du marché des thérapies numériques continuent de se dessiner. Ce dernier regroupe, dans son acceptation la plus large, les solutions qui permettent d’accompagner le patient dans la prise de son traitement ou qui peuvent se substituer complètement à ce dernier. Les études cliniques, menées depuis une grosse décennie par des startups et des établissements de santé, témoignent de l’efficacité de ces innovations dans le cadre d’une poignée de pathologies. "Historiquement, le diabète et la cardiologie sont les domaines qui ont vu émerger le plus de thérapies numériques" , explique à Maddyness Édouard Gasser, co-fondateur et directeur général de Tilak Healthcare, une startup dont la solution ludique permet de suivre l'évolution de l'acuité visuelle de ses utilisateurs. Le marché des thérapies numériques pourrait passer de 2 à 10 milliards de dollars d’ici à 2026, d’après les chiffres de la startup.
Induire un changement comportemental
En France, ces solutions innovantes commencent tout juste à émerger. Le pays s’est peu à peu spécialisé dans la télésuivi médical, avec des sociétés telles que Nouvéal e-santé et Implicity. Mais son écosystème doit encore se structurer pour faire apparaître des acteurs ayant l’ambition de remplacer les médicaments par des outils numériques. "Dans certains domaines, les améliorations cliniques permises par un changement comportemental sont bien réelles" , détaille Pierre Moustial, associé-fondateur de la société de gestion Lauxera Capital Partners, qui investit dans les thérapies numériques. L’Allemande Kaia Health, par exemple, obtient de bons résultats en matière de réhabilitation en cas de maux de dos. "Des exercices utilisant la caméra du smartphone permettent de gérer sa douleur, expose Édouard Gasser. Cela pourrait constituer une alternative aux opiacés, un enjeu de santé publique aux États-Unis." Ce qui fonctionne aussi pour traiter des maladies mentales et remplacer les antidépresseurs – la France fait partie des gros consommateurs.
Mais ce type d’innovations reste rare en France. Le pays a, jusqu’ici, donné naissance à des solutions de télésuivi médical. C’est le cas de Diabeloop. "Nos algorithmes permettent d'automatiser le traitement du diabète par insuline et de le personnaliser pour l’adapter à la physiologie et au style de vie" du patient, indique Marc Julien, directeur des opérations de la MedTech. Cette intelligence artificielle permet d’administrer le traitement au moment opportun. Ce qui signifie réduire ou augmenter la posologie, au cas par cas. Même son de cloche, du côté de Tilak Healthcare : "Nos jeux vidéo médicaux permettent d’optimiser le suivi à domicile de l’acuité visuelle et de freiner l’apparition de la cécité. Les médecins sont alertés de tout changement significatif et peuvent adapter le rythme des injections." Les outils de Diabeloop et Tilak Healthcare ont été validés cliniquement et se sont vus octroyer le statut de dispositif médical. De quoi permettre aux médecins de les prescrire à leurs patients, qui peuvent de ce fait demander un remboursement par la Sécurité sociale.
L’enjeu du remboursement
C’est là que le bât blesse. Les thérapies numériques ne disposent pas encore de code de remboursement spécifique auprès de la Sécurité sociale. "En Allemagne, un code Diga (Digital Health Applications) a été créé à cette fin. Aux États-Unis, ce sont les employeurs qui prennent le plus souvent en charge ces dépenses. En France, la problématique reste de savoir qui paie" , pointe Pierre Moustial, qui souligne que le président de la République, Emmanuel Macron, a "précédemment fait part de son intention de résoudre la situation". Et d’ajouter : "S’il n’y a pas de remboursement, il n’y a pas d’industrie." L’investisseur juge que les fonds soutiendront financièrement le développement des seules entreprises dont le produit est remboursé, puisqu’une grande part de leur modèle économique en dépend. Il s’agit d’un des éléments qui expliquent, à en croire Pierre Moustial, "le léger retard de la France" en matière de thérapies numériques à même de se substituer aux médicaments.
Cette frilosité persistante des investisseurs a pour effet de pousser les startups dans les bras des laboratoires pharmaceutiques, dont l’intérêt est d’élargir le catalogue de services qu’ils vendent. Tilak Healthcare a, par exemple, noué des partenariats de co-promotion avec le Suisse Novartis pour l'international et le Français Théa pour la France. Ce qui lui permet de "générer de la donnée en vie réelle" pour améliorer sa solution, qui "optimise de 20 % le parcours de soins" des patients utilisateurs grâce à une individualisation du protocole. Selon son co-fondateur, Édouard Gasser, "les visiteurs médicaux jouent un rôle clé" dans le cadre de la commercialisation d’OdySight. Le dirigeant, qui dit observer "un bond des prescriptions" de son outil par les médecins, avance que "le remboursement est la voie royale pour se tailler un accès vers le marché". Tilak Healthcare compte, à date, 300 médecins prescripteurs et 4 140 patients utilisateurs. Si elle a pu lever 13 millions d’euros depuis sa création, elle fait figure de bonne élève. "Le financement est un enjeu : on a du mal à aller au-delà de la série A" , note Pierre Moustial.
Reste que pour que les thérapies numériques explosent dans le pays, les médecins et les établissements de santé devront s’impliquer. "C’est la nouvelle frontière en santé : après avoir facilité le quotidien des médecins, les startups s’intéressent à celui des patients" , relève Édouard Gasser, qui souligne que "l’enjeu est de devenir un acte associé pour que les médecins prescrivent davantage". Pour ce faire, l’entrepreneur estime que de "la pédagogie devra être faite puisque cela reste nouveau". Et Pierre Moustial de renchérir : "Entretenir un lien fort avec la communauté médicale servira la recherche, comme c’est le cas dans le cadre de projets entre l’Hôtel-Dieu (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) et Implicity. Il est, cependant, aussi question de technique." L’associé-fondateur de Lauxera insiste sur le fait qu’il faudra faciliter l’intégration des outils numériques dans les systèmes informatiques internes des établissements de santé concernés. Tout un programme, alors que le nombre de cyberattaques à leur encontre augmente fortement.