Nos corps ont des morphologies différentes – en forme de O, V, A, H, X ou 8 – qui sont mises en valeur, ou non, en fonction de la coupe d’un vêtement. Or, aujourd’hui, la majorité des marques de mode crée des collections en se basant sur une morphologie en forme de 8. « Ce qui explique que les pièces proposées dans des petites et grandes tailles – en dessous du 36 et au-dessus du 44″ , qui possèdent souvent des morphologies différentes, « ne sont pas achetées ou souvent retournées par les consommatrices pour cause de mauvais taillant » , souligne Andréa Gilet. C’est à partir de ces constats qu’Audrey-Laure Bergenthal, fondatrice et CEO d’Euveka, a décidé de créer un logiciel de traitement de la morphologie couplé à un robot évolutif.
Fruit de 10 ans de développement, le mannequin de couture imaginé par Euveka peut être piloté à distance pour faire varier sa morphologie et ainsi l’adapter aux corps des consommatrices mais aussi à leurs attentes. » Nous constatons qu’en fonction de différentes zones géographiques les consommateurs ont des préférences de conforts et styles qui peuvent être différents« , constate Andréa Gilet. Autant d’informations intéressantes à prendre en compte, au moment de créer des collections personnalisées pour chaque pays ou région. D’où l’importance donnée à la récolte et l’analyse de ce type de données au sein de la startup industrielle.
Contrairement à la 3D, qui ne permet pas de visionner au réel le tombé d’un vêtement ou de modifier rapidement les mensurations, la solution d’Euveka a été pensée comme un outil « capable de faire varier les formes, tout en reliant le monde physique et numérique, puisque le mannequin apporte un support physique sur lequel travailler » , met en avant Andréa Gilet. « Chez Euveka nous pensons qu’une solution 100% digitale n’est pas la réponse, nous avons besoin d’un vrai mannequin, robotisé pour représenter le plus grand nombre de personnes, pour contrôler réellement et facilement le bien aller d’un vêtement, tout en pouvant faire circuler ces données de mesures et de corps à travers les logiciels ».
De la difficulté d’être une startup industrielle
Lancée en 2011, Euveka a essuyé quelques plâtres. « A l’époque, on ne parlait pas beaucoup de startup industrielle, aujourd’hui avec l’avènement du numérique qui commence à arriver dans le secteur textile (Cabine 3D, Avatars, etc…) et qui bouleverse enfin cette industrie, les professionnels de l’industrie textile sont de plus en plus enclins à adopter de nouvelles solutions pour digitaliser leur supply chain et répondre aux nouveaux enjeux d’inclusion et d’écologie », argumente Andréa Gilet.
Et si la startup a réussi à lever des fonds, le chemin n’a pas été un sinécure. Contrairement à une société qui fait du SaaS, une entreprise industrielle doit investir dans « de nombreux ingénieurs, ce qui coûte cher, et prendre le temps de mener sa R&D, ce qui est souvent long ».
Malgré ces difficultés, Audrey-Laure Bergenthal ne regrette pas de s’être lancée aussi tôt. « C’était essentiel de débuter à ce moment-là. Ces années nous ont permis d’avancer sur le marché de la donnée. Il nous a fallu des années de R&D pour obtenir notre produit actuel. La technologie à l’intérieur du mannequin est aussi complexe que celle d’une automobile » , appuie Andréa Gilet. Euveka a, depuis, déposé 3 brevets pour son innovation et est un des leaders de son marché.
La startup a été confrontée à une autre difficulté, des montants levées inférieurs aux attentes de sa fondatrice et le désistement d’un actionnaire en raison de la pandémie. Mais la situation a beaucoup évolué, confie Andréa Gilet. « Le regard sur l’industrie a changé, on parle désormais d’industrie 4.0 et le numérique s’est intégré à ce secteur. Il existe de plus en plus de programmes pour accompagner financièrement les startups industrielles. A l’époque, nous étions très isolés. »
2020, une année charnière
En 2017, Euveka réussit à toucher ses premiers clients – qui le sont toujours – , des entreprises de renommée internationale comme Chanel ou Adidas, avec lesquelles elle met sa solution à l’épreuve. Malgré leur intérêt, des discussions en cours avec plusieurs centaines de marques et de nombreux prix reçus – dont le CES Award de Las Vegas en 2018 – , Euveka se retrouve en mauvaise posture fin 2019. La startup lance même un appel à l’aide. La période est éprouvante pour la fondatrice qui soutient, dans Les Echos, avoir reçu « de nombreux appels de vautours qui attendaient qu’on meure pour récupérer la techno à la barre du tribunal et l’emmener à l’étranger ».