Les derniers chiffres sur la fonction RH sont éloquents : le baromètre 2022 « Les RH au quotidien » révèle que pendant toute la période Covid, les RH – tous types d’entreprises confondus – ont fait preuve d’une grande adaptation face aux turbulences socio-économiques. Néanmoins, 82 % se déclarent épuisés et 70 % isolés. Les raisons invoquées ? 65 % déclarent manquer de temps ou de ressources. 37 % alertent sur les difficultés à suivre les évolutions réglementaires. Michel Barabel, professeur affilié à Sciences Po Executive Education en master RH et membre du conseil d’administration du Lab RH (l’écosystème de l’innovation RH), distingue deux phases depuis 2020, avec des impacts RH distincts : « Entre mars 2020 et début 2022, les DRH de startup ont su faire face avec une adaptabilité exemplaire. Cette séquence a été portée par la croissance grâce au maintien des levées de fonds et une forte demande pour digitaliser rapidement les organisations ». Depuis la guerre en Ukraine, un basculement a eu lieu : « Le marché est plus tendu. Les investisseurs mettent davantage de pression, ce qui oblige certaines startups à passer du recrutement au licenciement. Or, elles ne sont pas forcément armées pour gérer les aspects plus régaliens de la fonction ».
Solitude, changement de rôle, pression : vécus croisés de RH depuis 2020
Les acteurs RH sont unanimes : depuis 2020, la pression en startup est montée d’un cran, rendant leur « expérience collaborateur » personnelle plus rude. « L’activité a diminué entre avril et juillet 2020. Nous avons été contraints de mettre des personnes au chômage partiel », explique Limvirak Chea, CEO, également chargé des sujets RH pour Fixter. « Ça a été une période difficile personnellement : j’ai dû jongler entre la gestion de ma propre famille, mes employés et assurer le suivi du business ». Un autre sujet a été exacerbé avec la contrainte des confinements, selon Héloïse Lutton, DRH chez Tarides : « La santé mentale est devenue un volet central de mon périmètre, notamment à cause du full remote ». Une lourde responsabilité qui repose parfois trop sur les RH : « Je me sens parfois trop responsable du bien-être des salariés, alors que c’est un sujet collectif sur lequel je ne peux agir seule ». D’autres ont vécu une réduction d’effectifs face à un marché en berne comme Anne-Sophie Laignel, COO et DRH chez iPaidThat : « Il a fallu se séparer de personnes, continuer à faire décoller le business et fédérer les équipes à distance, tout en rassurant des investisseurs plus exigeants ». Résultat, la COO a appris à devenir plus « imperméable aux demandes ». « Je me suis mise plus en retrait pour me protéger »,confie-t-elle. Le DRH d’Agriconomie, Jim Ramos a vécu le départ de collaborateurs au sein de son équipe : « Les embauches étant gelées, les personnes chargées du recrutement n’avaient plus de mission, elles sont donc parties. Je me suis retrouvé seul à gérer, majoritairement, des sujets administratifs ».
Quelques apprentissages RH pour une traversée plus résiliente des crises
En startup, plus rapidement qu’ailleurs, les premiers enseignements post-crise émergent. « C’est leur force », d’après Michel Barabel : « Le chaos fait partie de l’ADN des startups. Ce sont donc des systèmes qui traversent mieux les crises. RH compris ». Leurs recommandations pour gérer les prochaines secousses ? Limvirak Chea souligne l’importance de s’appuyer sur sa “core team” : « Il faut bien s’entourer dès le départ : cofondateur, managers et équipes ». Pour traverser ce cap difficile, Anne-Sophie Laignel a pu échanger avec des pairs : « Nous avons fait du mentoring avec des entrepreneurs ou des RH de startup » La CEO souligne un point fondamental qu’enseignent ces périodes d’instabilité : « Elles nous forcent à revenir à des valeurs plus sûres avec un assainissement de notre fonctionnement et de nos pratiques ».
Et après la tempête ?
Malgré un contexte toujours incertain (inflation, guerre..), les acteurs RH démontrent un état d’esprit optimiste via des indicateurs positifs : recrutement à la hausse, croissance et extension du marché européen. Des signaux forts qui illustrent, par l’exemple, la réflexion de Frédéric Fréry dans Prospérer dans un l’imprévu : « Par définition, une entreprise agile est capable de maintenir durablement sa compétitivité, alors même que la turbulence de son environnement dépasse sa propre capacité d’adaptation ».