" La confusion et la frustration règnent ", chez Twitter, titrait le New York Times, peu après que le réseau social a vu la moitié de ses employés (3.700 personnes sur 7.500) être brutalement licenciés vendredi 4 novembre. La plupart n’ont " reçu aucune notification préalable ", et ont simplement découvert que leurs messageries étaient désactivées. Dans les annales de la gestion de crise, ce nouvel opus du management à la Elon Musk fait office de contre-exemple. Si les décisions difficiles font partie de la vie d’une entreprise, il y a l’art et la manière de communiquer auprès de ses équipes, surtout celles qui restent.

Louis Ducret, conseiller en stratégie orale chez Whistcom, invite les dirigeants à oser prendre la parole lors de ces périodes charnières, souvent propices au délitement du corps social : " 73% des salariés pensent que la parole du dirigeant est source de bien-être, de fidélité à l’entreprise et d’implication, et 75 % pensent qu’un message oral a plus de poids qu’à l’écrit. "

Non à la langue de bois : dire les choses sans ambages

La PropTech Bellman, créée en 2019, a dû faire un choix cornélien en 2022 pour survivre, et ce, malgré trois belles levées de fonds de 17 millions d’euros : " Malgré une croissance annuelle (fois deux chaque année), nous avions besoin de beaucoup de cash pour continuer sur cette lancée. Couplé à cela, nos investisseurs nous ont alertés sur la baisse drastique des levées de fonds. En prévision, nous avons choisi de pivoter vers un nouveau business model qui nous a permis de sauver 60 emplois… mais nous obligeant à en supprimer 55. Le PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi) a été un choix douloureux mais stratégique pour assurer la pérennité de Bellman ", explique Antonio Pinto, cofondateur de la startup. Une période très compliquée à gérer en interne car le PSE exige une première phase de confidentialité : " Les personnes se posent des questions, mais on ne peut légalement rien dire. Suite à cette omerta imposée, nous avons organisé l’annonce auprès de toute l’entreprise, suivie d’une session de questions-réponses. Mon conseil ? Dès les premiers mots, dire les choses telles qu’elles sont : combien de postes seront supprimés, lesquels et les prochaines étapes. ". Louis Ducret corrobore sur la nécessité d’une prise de parole transparente : " Dans une situation de défiance ou d’incertitude, les rumeurs sont décuplées. Il faut éviter une parole qui s’adresse à différents segments de l’entreprise de manière imperméable, au risque d’installer une méfiance entre les collaborateurs. ".

La vision et les valeurs : se raccrocher à sa “boussole”

Dans les moments de vulnérabilité collective, il faut revenir à la vision de l’entreprise selon Antonio Pinto : " Pour garder les personnes motivées, malgré un contexte incertain, nous nous sommes appuyés sur notre raison d’être car nos salariés y ont toujours été très sensibles : nous avons travaillé collectivement sur la vision, la stratégie et les nouveaux objectifs. " C’est un moyen de faciliter la projection commune vers un nouveau chapitre. " Nous avons récemment organisé des ateliers participatifs pour redéfinir notre culture et nos valeurs. Après une telle période, c’est important. "

En 2015, Ergotech, startup qui fabrique du matériel ergonomique, a dû licencier une partie de ses effectifs après un placement en redressement judiciaire suite à des différends familiaux. Kevin Le Texier, son fondateur, a remonté la barre avec les salariés restants, grâce une ambition forte pour l’entreprise qu’il a su partager : " Il faut savoir expliquer pourquoi on fait les choses en donnant une vision claire : pour restaurer la confiance, les équipes doivent sentir que l’on prend un cap et que des actions concrètes vont en découler. "

Des paroles et des actes : accompagnement, pédagogie et soutien psychologique

Des mesures d’accompagnement doivent aussi être pensées pour gérer la transition. " Nous avons relevé un défi humain vraiment pas simple : la période assez étrange pendant laquelle, ceux qui partent et ceux qui restent, cohabitent. Ceci exige une grande pédagogie auprès de ceux qui partent : expliquer les étapes du PSE, le droit au chômage… ", explique Antonio Pinto. Tout un dispositif a été mis en place pour aider à la reconversion ou à la création d'entreprise.

La startup a aussi fait appel à Moka.care, une plateforme dédiée à la santé mentale des salariés, pour organiser des cellules de soutien psychologique : " Nous l’avons proposé à tous les salariés car 120 personnes, c’est comme une petite famille, nous avons tous été affectés. ". Le plus difficile, selon Kevin Le Texier, est la gestion du sentiment d’insécurité : " Il faut témoigner de la reconnaissance pour rassurer et remercier : au moment où c’était le plus dur, j’ai décidé d’augmenter les salaires pour envoyer un signal fort. "

L’effet Pygmalion du dirigeant : la clé du ressort collectif ?

" Alors que l’on me disait de tout arrêter, je me suis rappelé de plusieurs enseignements : face à une crise, il faut se mettre en action. Puis, une entreprise qui n’innove pas meurt, c’est pourquoi, je me suis démené sur le terrain pour sortir de nouveaux produits. Voir le chef d’entreprise s’activer a certainement un effet galvanisant sur les salariés ", insiste Kevin Le Texier.

Résultat ? En 2021, l’entreprise a fait un CA de plus de 800.000 euros et a retrouvé ses capitaux propres positifs. Le plus important : tous les salariés sont restés engagés et l’entreprise est en train de lever des fonds pour 1.5 million d’euros ce qui permettra d’embaucher une vingtaine de personnes. Idem pour Bellman qui a levé 3 millions d’euros en novembre 2022.