C’est l’histoire d’une entreprise qui semblait tout avoir pour réussir, avant de s’effondrer, et son cours de Bourse avec. Navya, PME spécialisée dans les navettes autonomes, a été placée en redressement judiciaire par la tribunal de commerce de Lyon début février, après s’être déclarée en cessation de paiement fin janvier. 

Accompagnée à sa création, en 2014, par le fonds Robolution, soutenu par le ministre de l'Economie de l'époque Arnaud Montebourg, Navya a certainement voulu avancer trop vite pour commercialiser coûte que coûte ses véhicules. Résultats, des dysfonctionnements et des navettes - autour de 250 000 euros l’unité - qui calent.

La société lyonnaise revendique plus de 200 exemplaires de ses minibus “Autonom Shuttle” commercialisés dans 25 pays. “Mais beaucoup ont servi à des expérimentations, il y a eu pas mal de marketing”, confie Dominique Rencurel, partner du fonds 360 Capital, qui a repris Robolution. Et à chaque fois ou presque, un opérateur reste à bord du véhicule, prêt à reprendre le contrôle à tout moment. 

Parcours chaotique en Bourse

Navya a également perdu les pédales en Bourse. Introduite en juillet 2018 sur le marché d’Euronext, l’entreprise a vu sa cotation suspendue le 25 janvier. En quatre ans et demi, la valeur de son action est passée de 7 euros à seulement 3 centimes. Après un pic à 19 millions d’euros en 2018, le chiffre d’affaires a reculé pour tomber à 10 millions d’euros en 2021 et 2022. 

Les explications aux difficultés rencontrées par la startup sont multiples. “Mais l’introduction en Bourse a clairement été un point de bascule”, estime une source proche du dossier. Ce type d’opération, si elle permet de lever des fonds et d’accroître la notoriété de l’entreprise, la contraint aussi à faire preuve de transparence financière. “Dès qu’une annonce est faite et qu’elle n’est par la suite pas respectée, la société est sanctionnée par le marché”, observe cette même source.

Or, fin 2018, moins de six mois après son entrée sur Euronext Paris, Navya émet un avertissement sur ses résultats : son chiffre d’affaires annuel sera plus faible que prévu. S’ensuit une réorganisation de la gouvernance : le président et fondateur de la société, Christophe Sapet, est tout simplement démis de ses fonctions par l’actionnaire principal, le fonds 360 Capital. 

Mis devant le fait accompli, Valeo et Keolis, actionnaires historiques de Navya, quittent le conseil de surveillance, présidé par l’investisseur Charles Beigbeder depuis 2017. Dans ce tumulte, le cours de Bourse de l’entreprise s’enfonce, pour tomber sous les deux euros.

Début 2021, 360 Capital profite d’une remontée de l’action pour se délester en trois mois de ses 40% du capital. Et le titre Navya, privée d’actionnaire de référence, plonge de nouveau.

Énième mésaventure en Bourse : en décembre 2022, la société, plus que jamais à court de fonds, croit à un sauvetage providentiel et annonce un accord de financement de 30 millions d’euros avec un fonds du Bahreïn. L’action flambe de 140% avant de brusquement retomber, quand Navya précise avoir été en fait victime d’une tentative d’escroquerie. Le directeur financier et la présidente du directoire Sophie Desormière, arrivée il y a moins d’un an, démissionnent.

Problème de positionnement stratégique

Mais les couacs liés à la communication financière de Navya ne peuvent suffire à expliquer ses difficultés. “Il y a un problème de business model. Au début, cela faisait sens de concevoir une navette autonome de bout en bout, du software au hardware. Mais réussir ensuite à produire des véhicules à grande échelle, c’est une autre histoire”, souligne une source proche du dossier. 

Il y avait du flottement dans la gouvernance. Certains étaient favorables au développement d’une navette en tant que telle, d’autres souhaitaient privilégier le développement logiciel”, ajoute Dominique Rencurel. Navya n’est jamais parvenue à rentabiliser son activité. “Dégager une marge dans la construction de véhicules, c’est très compliqué”, estime l’ancien actionnaire. 

Pour mieux se recentrer sur la dimension purement logicielle, et accumuler des données via ses capteurs sur les véhicules autonomes, la solution pour l'entreprise aurait pu être de s’adosser à un industriel, un constructeur automobile comme Renault ou PSA.

À présent, Navya attend de voir quel va être son repreneur, que le tribunal de commerce de Lyon devait désigner le 12 avril. 2 offres restent en lice, et la décision finale aura lieu le 18 avril.

Manque de maturité du marché

Environ 280 emplois sont en jeu, répartis notamment entre Vénissieux, Villeurbanne et la Défense. La société s’est aussi implantée dans la petite ville de Saline, dans le Michigan aux Etats-Unis, et à Singapour. Au plus fort de son activité, elle revendiquait jusqu’à 140 ingénieurs dans la recherche et développement. 

Navya a voulu vite s’exporter à l’international, quitte à brûler les étapes, dans un contexte où les véhicules autonomes représentaient l’avenir. Son ambition était de devenir “l’acteur de référence des systèmes de mobilité autonome de niveau 4”, sans conducteur. 

Depuis septembre dernier, des voitures autonomes de niveau 3 sont autorisées en France. Les conducteurs peuvent lâcher le volant dans certaines situations, pour laisser les ordinateurs de bord prendre le contrôle. Mais l’évolution de la législation dans les différents Etats reste incertaine. Comme le niveau d'autonomie que le grand public est prêt à accepter. C’est pourquoi Navya s’est principalement cantonné aux sites privés pour mettre en circulation ses navettes. 

De nombreux constructeurs automobiles, comme Mercedes, Tesla ou Stellantis, se sont aussi lancés dans la course aux voitures autonomes ces dernières années. Et des concurrents plus directs, spécialisés dans les navettes, commencent à faire leurs preuves, à l’image des startups tricolores EasyMile et Milla. La route s’annonce escarpée pour Navya.


Mise à jour 18 avril 2023 : (Communiqué) GAUSSIN et MACNICA annonce s’associer pour reprendre les actifs de NAVYA au travers la création d’une société commune dédiée à la mobilité autonome et propre, à l’issue d’une procédure qui permet la sauvegarde de plus de 70% des emplois. 

GAUSSIN et MACNICA créent pour cela une coentreprise, détenue à 51 % par GAUSSIN et à 49 % par MACNICA, et basée en France.