Ce livre-témoignage consolide le quotidien de sa vie de patron de PME où il met à disposition une boîte à outils pleine de sagesse pour faire de l’entrepreneuriat une matière permettant de penser et agir.

Maddyness : Comment la philosophie est-elle entrée dans votre vie de dirigeant de PME ?

Arthur Brac de la Perrière : Je n’ai pas toujours été dirigeant ! Suite à des études à HEC Paris et un parcours corporate dans les fonctions stratégiques en marketing au sein d’une multinationale, j’ai fait le choix de l’artisanat. Après six années “professionnellement confortables”, j’ai eu besoin de m’investir dans une activité avec des impacts écologiques et une portée sociale… réels. Pendant 7 mois, j’ai été apprenti plaquiste et peintre en bâtiment sur les chantiers, je me suis ensuite formé aux matériaux naturels et aux enjeux de la thermique du bâtiment. J’ai repris une entreprise que j’ai développée en prenant en compte les enjeux liés à la transition écologique. La philo dans tout ça ? Depuis la classe de terminale, j’ai cultivé l’intérêt pour cette matière au travers de lectures, de podcasts, de conférences ou de rencontres. Cette ressource m’accompagne sur le chemin de l’entrepreneuriat et me permet de prendre du recul.

M : Quel lien faites-vous entre la vie en entreprise et la philosophie ?

A.B.P : À 40 ans, après avoir passé mon Capes de philo pour la 3e fois - sans réussir à le décrocher- j’ai voulu donner du sens entre mes différentes passions et mon activité : l’écriture (j’ai déjà écrit 5 livres avant celui-ci), la philosophie et mon expérience entrepreneuriale. J’ai rédigé ce livre qui collectionne les moments marquants de l’entreprise, et ma façon de les traverser grâce au prisme philosophique. Écrire cet ouvrage a été une aide précieuse dans mon cheminement de patron de PME dans le bâtiment.

M : Quels sont les principes philosophiques qui vous aident le plus en tant qu’entrepreneur ?

A.B.P : Je sors un peu du spectre philosophique mais je me réfère souvent à une citation de William Shakespeare : “Il est plus de merveilles en ce monde que n’en peuvent contenir tous nos rêves” (Hamlet). Cela vous permet de bien démarrer la journée ! Ensuite, la pensée stoïcienne invite chacun à créer sa citadelle intérieure, un espace qui nous permet de distinguer les choses qui dépendent de nous de celles qui ne dépendent pas de nous. C’est un véritable kit de survie pour garder son calme. Le " Traité sur la tolérance " de Voltaire agit comme une boussole car il me rappelle le rôle de l’entrepreneur : un acteur clé du changement sociétal, prêt à faire bouger quotidiennement les lignes.

M : Dans votre livre, vous racontez les difficultés de la vie de patron : qu’est-ce qui est le plus compliqué selon vous et comment faites-vous pour garder le cap ?

A.B.P : Certains événements sont difficiles à gérer, surtout au début, comme le licenciement d’un salarié, par exemple. Il n’est pas évident de trouver l’équilibre entre la volonté de justice et le principe de réalité. Néanmoins, avec l’expérience, on apprend à se frotter au réel et à manier différentes ressources philosophiques à bon escient. Par exemple, user de ruse ou de manipulation, comme le suggère Machiavel, face à un client de mauvaise foi par exemple, est indispensable pour servir la durabilité du collectif. Il est également important d’accepter son destin de dirigeant, notamment celui du bouc émissaire et le “mécanisme sacrificiel”, dont parle René Girard. Nous sommes désignés pour porter les frustrations et catalyser la violence sociale : il faut parfois accepter d’endosser ce rôle ou changer de métier.

M : Lorsque vous avez quitté le salariat, vous dites avoir suivi la voie de Diogène de Sinope pour vivre une vie plus frugale. Pas mal de salariés font de même : est-ce un phénomène de société selon vous ?

A.B.P : J’ai fait le choix personnel du sens en m’engageant dans une société à mission écologique et sociale, je côtoie donc beaucoup de personnes qui sont dans cette dynamique et sont animées par ces sujets. C’est très encourageant… mais est-ce vraiment représentatif d’un mouvement de fond ? Je ne sais pas. Il faut se méfier de l’angélisme qui est véhiculé autour de la transition professionnelle. Ce changement de vie est semé d’obstacles : personnellement, les premières années, j’ai eu énormément de mal à équilibrer les comptes de l’entreprise. Il est indispensable d’avoir un solide écosystème pour persévérer dans ses choix.

M : La crise déstabilise beaucoup d’entrepreneurs actuellement : des conseils philosophiques à communiquer?

A.B.P : À l’un des pires moments de ma vie d’entrepreneur, un philosophe m’a particulièrement aidé : Arthur Schopenhauer et son ouvrage " Le Monde comme volonté et comme représentation ". Son message : au lieu de mettre son intelligence au service de désirs souvent irrationnels, il faut apprendre à les maîtriser. Alors que mes résultats étaient mauvais, que les salariés étaient mécontents et que je faisais face à un potentiel litige de 100.000 euros, j’étais en grande souffrance. Pourquoi ? Mon désir était que les chantiers se passent bien, sans aucun problème et qu’ils soient rentables. Or, cette lutte personnelle est vaine, difficile d’être heureux avec de tels désirs, un chantier se passe rarement comme on le souhaite. Je me suis dit que si j’arrivais à ne plus entretenir ce désir et à accepter ce qui m’arrivait, je vivrais mieux la situation, ce qui n’empêche pas d’agir, au contraire.

M : Un " take away " philosophique pour tous les entrepreneurs ?

A.B.P : Une locution romaine me semble primordiale quand on gère une entreprise quelle qu’elle soit : “la roche Tarpéienne est proche du Capitole”. Cela signifie que les honneurs et la célébrité ne sont pas très loin de la déchéance ou de la chute, et celles-ci peuvent survenir rapidement. En tant qu’entrepreneur, il y a donc toujours une place importante pour l’humilité.