Des startups, qui avaient levé des montants records, déplorent aujourd’hui des pertes abyssales, se voient contraintes de couper dans leurs effectifs, ou ont du mal à lever des fonds sans faire un indésirable down round. Sans compter que, à chaque nouvelle levée, les fondateurs se diluent davantage dans le capital de leur entreprise…

En fonction de leur stade de maturité et de leur situation économique et financière, certaines entreprises ont pourtant accès à des options alternatives qui peuvent se révéler bien plus pertinentes et avantageuses. Le LBO (Leverage Buy Out), c’est-à-dire un rachat avec effet de levier, en est une. Ce montage financier associant l’acquisition de capital dans l’entreprise et un mécanisme d’endettement est parfois regardé avec méfiance. Loin de la spéculation sur les valorisations qui peut exister dans les simples levées de fonds, c’est une option qui peut se révéler très intéressante, tant pour les startups que leurs fondateurs.

Maturité et rentabilité : deux paramètres clés

L’introduction en bourse ou le rachat industriel de l’entreprise marquent la fin d’un chapitre après que l’entreprise ait connu dans sa vie une série de financements, pour le développement de son activité, et d’événements de liquidité.

Dans le monde du venture, les différentes séries de levée de fonds traduisent le stade de maturité d’une entreprise. Il y a un autre paramètre à prendre en compte : la situation économique et financière de l’entreprise et son niveau de dépendance à l’apport de capitaux”, ajoute Adrien Badelon, associé chez Scotto Partners, un cabinet d’avocats indépendant, spécialisé dans l’accompagnement des fondateurs et dirigeants d’entreprise.

Pour une jeune startup, peu mature et loin de la rentabilité, la levée de fonds s’impose. Mais, passée la phase early-stage, elle peut tout à fait sortir des sentiers battus et se tourner vers d’autres schémas pour accélérer sa croissance”, précise Jérôme Commerçon, également associé chez Scotto Partners.

Le stade de maturité et la situation financière vont donc déterminer les options possibles. Il faut également prendre en compte la nature de l’activité. Certains produits ou activités ont besoin d’investissements conséquents avant de pouvoir être commercialisés. “Une Biotech par exemple, a besoin de beaucoup d’apports en capitaux, pour se donner le temps nécessaire au développement de son médicament ou de son procédé médical, elle se tournera donc naturellement vers des levées de fonds successives”, explique Adrien Badelon. “La levée de fonds est pertinente dans certains cas de figures : les startups qui ont un cycle de développement ou de vente long et qui ont donc besoin d'investir significativement avant de pouvoir vendre les produits ou services; les startups qui sont dans une course au leadership et qui scaler très rapidement (se lancer sur plusieurs marchés simultanément par exemple)”, complète Timothée Rambaud, CEO et co-fondateur de Legalstart.

Mais, quand une société est suffisamment mature, rentable et que la nature de son activité le permet, pourquoi accepter d’être dilué par l’entrée de nouveaux investisseurs au capital et se priver de la possibilité de s’endetter ?

Changer le regard des fondateurs sur la valorisation

On appelle valorisation des choses très différentes. D’un côté, il y a la valorisation “cash-in”, celle qui concerne les levées de fonds (= augmentation de capital). On valorise ici surtout le potentiel d'une société. Il s'agit en général de société en forte croissance mais qui ne font pas encore de bénéfice. Les investisseurs parient sur l'atteinte de la rentabilité dans le futur. Ils structurent les opérations en se protégeant en cas de sous-performance par rapport au business plan affiché à l'entrée. De l’autre, la valorisation “cash-out” qui permet de monétiser ses parts et qui correspond à la valeur "réelle" de la société à un moment donné," explique Timothée Rambaud.

Prenons un exemple de valorisation cash-in. Si une société est valorisée 300 millions d’euros et qu’un fonds apporte 100 millions, alors “post money”, elle vaut 400 millions et les investisseurs détiennent 25% du capital. Ils ont, en général, des actions de préférence, qui leur permettent en cas de revente ou de liquidation d’être servis en premier. Donc, si quelques années plus tard, la société ne vaut plus que 200 millions, ils récupéreront 100 millions qui représenteront 50% du capital. Parfois même, les actions de préférence permettent de toucher, en plus, un gain s’apparentant économiquement à des intérêts. La valeur des actions ordinaires, détenues par les fondateurs et parfois les salariés, ne représente alors plus que peau de chagrin.

Dans ce contexte, “au moment d’une levée de fonds, bien souvent, toutes les actions sont évaluées au même prix, sans tenir compte des droits préférentiels accordés, et la structuration du capital soulève souvent de nombreux risques fiscaux qui sont encore trop négligés.”, alerte Jérôme Commerçon.

Par ailleurs, seules les startups connaissant un succès fulgurant et qui atteignent une valorisation élevée permettent à tout le monde de s’y retrouver. Force est de constater qu’il y a malheureusement beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. “Pour un Doctolib qui a réussi à s'installer comme un vrai leader du marché, combien se sont cassé la figure ?”, rappelle Timothée Rambaud. Cet ancien directeur des investissements d’un fonds, revendique n’avoir ainsi, en connaissance de cause, jamais voulu recourir à des levées de fonds pour sa startup.

La seule chose qui compte, pour l’entrepreneur et les salariés, qui seront les derniers servis, c’est la valorisation de sortie ou “cash-out”, ajoute-t-il. C’est ce dont on parle dans le cas d’un LBO, où la valeur des actions est fixée sur des critères plus rationnels. “Les fonds de LBO sont très normatifs, et vont regarder l’EBITDA plutôt que l’ARR ou le chiffre d’affaires”, précise Romain Dehaussy, associé chez Cambon Partners.

Le LBO : Pour qui ? Pour quoi ?

Lorsqu’une société devient “break even” en passant son seuil de rentabilité (ou “point mort”; en français), elle peut commencer à envisager le LBO. Cette opération nécessite la création d’une nouvelle société qui va s’endetter pour financer le rachat. Il faut donc que l’entreprise soit capable de générer la trésorerie nécessaire pour rembourser la dette. “Il ne suffit pas d’être à l’équilibre, car le montant de la dette va correspondre le plus souvent à un multiple de l’EBITDA”, précise tout de même Romain Dehaussy.

Une opération de LBO permet aux fondateurs de ne pas entrer dans la spirale de dilution des levées de fonds en comptant plutôt sur la dette et sur les résultats de l’entreprise pour financer la croissance. L’entrepreneur peut au contraire se reluer (l’inverse de se diluer), donner de la liquidité à des actionnaires existants, et permettre à certains collaborateurs de devenir actionnaires. “Si les conditions s'y pretent (c'est à dire que l'on peut combiner croissance et rentabilité), le LBO est le moyen le plus sûr pour un entrepreneur de monétiser ses parts," commente Timothée Rambaud.

Avec le LBO, le prix des actions repose sur l’évaluation des cash flows futurs retenue par les banques qui prêtent et le fonds d’investissement qui rachète. Non seulement il n’y a pas de spéculation sur la valeur des parts pouvant entraîner des désillusions pour les fondateurs sur la valeur réelle de la société mais, à la revente, si la valeur de la société a augmenté, le vendeur qui a conservé des actions bénéficie aussi de l’effet de levier de l’emprunt”, ajoute Jérôme Commerçon.

LBO Minoritaire ou majoritaire ?

Le LBO peut être minoritaire ou majoritaire, soit le fonds acquière une participation minoritaire capital, soit il prend la majorité. Cela concerne en toute hypothèse des sociétés ayant démontré la robustesse de leur business model et qui se sont développées sur un modèle sain et rentable.

Le LBO minoritaire peut être privilégié par des fondateurs "bootstrap",des entrepreneurs qui n’ont jamais levé de fonds, ont utilisé leurs ressources personnelles ou le crédit pour lancer leur entreprise et sont encore très attachés à en garder la majorité du capital en fonction du stade de développement de leur projet. Ils envisagent le LBO minoritaire, pour commencer à monétiser leurs parts ou devenir une plateforme de consolidation de leur marché, via des acquisitions.

Dans le cas des LBO majoritaires, bien souvent, les équipes de fondateurs ne sont déjà plus majoritaires avant l’opération. Ce mécanisme peut leur permettre de monétiser leurs parts et sécuriser une partie de la valeur déjà créée dans leur patrimoine. “Dans les LBO majoritaires, il n’y a pas de limites théoriques au cash out des fondateurs. En pratique, il y a une limite psychologique attendue par les acteurs de l’opération de 50% pour être au moins autant acheteur que vendeur”, précise Adrien Badelon. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’opération ne se traduit pas forcément pour le fondateur par une perte totale du contrôle de son entreprise, lequel tient autant aux règles de gouvernance qui sont mises en place qu’à la détention du capital. En outre, en tant que dirigeant, il conserve l’initiative sur la gestion de son entreprise et gagne des marges de manœuvre en se libérant de l’étau des levées de fonds. “La levée de fonds implique une course à la croissance folle, une vraie prise de risque, quitte à consommer énormément de cash”, commente Timothée Rambaud. “Dans le cas d'un LBO, les managers gardent le contrôle des opérations de la société et peuvent bénéficier d'un incentive supplémentaire si on leur accorde un management package. Les managers se voient alors rétrocéder une partie de la plus-value en cas de bonne performance de la société. Les intérêts sont parfaitement alignés avec l'investisseur”, poursuit-il “Le LBO n’est pas donné à tout le monde. Mais pour ceux qui le peuvent, c’est une bonne solution pour rester à bord, participer à la croissance future de l’entreprise et augmenter la valeur de son patrimoine”, ajoute Romain Dehaussy.

Contrairement à l’introduction en bourse ou au rachat de l’entreprise par un acquéreur stratégique, le LBO majoritaire n’est donc pas la fin de l’histoire pour les fondateurs. En tant que " gros minoritaire ", le groupe des fondateurs, avec leurs équipes, peut prétendre à un certain nombre de pouvoirs et protections via le pacte d’actionnaires, à l’image des accords de joint venture, et n’est dès lors pas soumis à l’arbitraire de l’actionnaire majoritaire. Par ailleurs, un management package bien négocié peut également permettre de se reluer substantiellement au moment du débouclage de l’investissement du fonds, et une reprise à terme de la majorité du capital de l’entreprise, éventuellement avec l’aide de salariés, peut même être envisagée.