Deuxième infrastructure la plus plébiscitée en France après Ethereum, Tezos fête cette année son cinquième anniversaire. Fondé par le couple franco-américain Kathleen et Arthur Breitman, le projet à l’origine de cette blockchain open source, qui repose sur une gouvernance décentralisée, a débarqué sur le marché pour proposer une alternative plus évolutive et moins énergivore que Bitcoin et Ethereum, les deux blockchains les plus populaires du monde.

Mais après des débuts difficiles, Tezos monte désormais en puissance. Sa communauté de développeurs ne cesse de grandir et les entreprises sont de plus en plus nombreuses à s’y intéresser pour créer des applications dans la blockchain. Selon une étude du cabinet Deloitte, 13 % des projets Web3 en France sont ainsi réalisés sur Tezos. Un chiffre encourageant alors cette blockchain a connu 14 mises à niveau depuis sa création. La dernière en date, baptisée Nairobi, a été déployée il y a un mois.

A l’occasion de l’événement TEZ/DEV, conférence annuelle de la blockchain Tezos qui s'est déroulée à Paris fin juillet, Maddyness a pu échanger avec Arthur Breitman, co-fondateur du projet. L’occasion d’évoquer avec lui la trajectoire de Tezos, mais aussi sa perception sur l’écosystème blockchain et crypto, ainsi que la poussée régulatoire dans le secteur.

MADDYNESS – La blockchain Tezos a été lancée en 2018, bien après Bitcoin et Ethereum. Qu'est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette aventure ?

ARTHUR BREITMAN – C'était un challenge intéressant. Il y avait plein d'idées stimulantes autour de la blockchain, notamment sur la preuve d'enjeu, sur les contrats intelligents... Et surtout, il y avait aussi cette envie de gouvernance, que les gens ne voyaient pas vraiment en 2014 mais qui était quand même présente. C'était latent.

En 2016, les questions de sécurité sur les smart contracts et les questions de gouvernance sont venues, et c'est là que les gens ont découvert Tezos, qui était positionné sur ce créneau-là. Par ailleurs, le projet se situait à l'intersection de beaucoup de centres d'intérêts, notamment autour de la théorie de la monnaie et du système bancaire, la cryptographie, les systèmes distribués...

Bitcoin reste coincé dans le passé malheureusement

Tezos est confronté à la concurrence de Bitcoin et Ethereum. Quelle est sa valeur ajoutée par rapport aux autres blockchains ?

Tezos, c'est un système de gouvernance qui est mûr. Le bitcoin a fait le choix de pas avoir de système de gouvernance et d'essayer d'avoir des normes culturelles très fortes contre l'évolution. Par conséquent, sur le plan technologique, je trouve que Bitcoin reste coincé dans le passé malheureusement.

On a vu beaucoup de cas d'utilisation des blockchains qui ne sont pas possibles aujourd'hui sur Bitcoin, parce qu'il y a eu ce choix un peu communautaire autour de ça. De son côté, Ethereum a fait le choix de dire que ça n'a pas d'importance et qu'il suffisait de forker (créer un nouveau logiciel à partir du code source d'un logiciel existant). Mais dans les faits, les forks d'Ethereum sont très centralisés. On écoute ce que dit Vitalik (Buterin, co-fondateur d'Ethereum, ndlr), on forke et on n'a pas le choix. Le choix d'un fork est illusoire. Sur le papier, il n'y a pas d'obligation de forker. Mais si on ne forke pas, on se retrouve sur une branche vide. Autrement dit, cela fonctionne avec des mécanismes de l'influence sociale.

Pour ne pas dépendre de ces mécanismes sur Tezos, il y a un système de gouvernance. Les gens qui détiennent la cryptomonnaie sur Tezos peuvent choisir d'accepter ou de rejeter les propositions qui sont faites sur la blockchain.

L'an passé, Ethereum a marché dans vos pas en basculant de la preuve de travail à la preuve d'enjeu. Comment avez-vous perçu ce changement ?

Ce qui m'amuse, c'est que Tezos a été développé de manière un peu concurrente avec Ethereum. Je ne souhaitais pas que Tezos se lance sans avoir la preuve d'enjeu. Ethereum a été lancé plus rapidement avec la preuve de travail. En 2016, je travaillais sur Tezos, et les gens me disaient que ça ne servait à rien d'avoir recours à la preuve d'enjeu car Ethereum allait y passer dans trois mois. Ils disaient aussi que c'était impossible ou que si c'était possible, Ethereum l'aurait déjà fait.

Finalement, nous avons été des pionniers et tout le monde a suivi le mouvement. A l'arrivée, Ethereum a été parmi les derniers à passer à la preuve d'enjeu. Pourtant, c'est une meilleure solution.

Au départ, le bitcoin s'est positionné sur la preuve de travail, et il n'y avait pas vraiment d'autres solutions qui étaient disponibles à l'époque. Par conséquent, beaucoup de personnes, qui possédaient des bitcoins, ont pris l'habitude de défendre de manière un peu inflexible la preuve de travail. Quand la preuve d'enjeu est devenue possible, ils ont gardé ce réflexe de défendre coûte que coûte la preuve de travail. Mais je pense que la preuve d'enjeu sert beaucoup mieux les intérêts d'une blockchain.

En 2016, les gens me disaient que ça ne servait à rien d'avoir recours à la preuve d'enjeu car Ethereum allait y passer dans trois mois

Il y a eu beaucoup d'initiatives autour de la blockhain et des cryptomonnaies ces dernières années, notamment en France. Aujourd'hui, quel est votre regard sur l'écosystème français ?

C'est un écosystème assez vivant. On a vu de belles entreprises, comme Ledger, voir le jour en France. C'est aussi un pays qui est un vivier de talents d'ingénierie, avec une grande culture sur ce sujet. En ce moment, on voit aussi que l'une des plus grandes semaines de conférences blockchain se déroule à Paris.

Outre Ledger, y a-t-il un projet qui attire votre attention en France ?

J'aime beaucoup le projet de PMU qui est développé en ce moment sur la blockchain Tezos : Stables. C'est un jeu autour de biens digitaux à collectionner, avec des chevaux de course. Je vous invite à regarder.

L'un des avantages potentiels de la régulation, c'est d'apaiser les peurs des utilisateurs 

Si l'écosystème blockchain et crypto est foisonnant, les régulateurs sont évidemment très attentifs à ce qu'il s'y passe. Le règlement MiCA arrive l'année prochaine en Europe et l'AMF vient de délivrer son premier agrément PSAN à Forge. Cette approche régulatoire est-elle bonne ou insuffisante ?

De manière générale, les régulations qui ont vocation à réguler des comportement d'acteurs, notamment ceux de tiers de confiance, sont beaucoup plus saines que les régulations qui régulent la technologie. Par exemple, quand quelqu'un qui conserve des crypto-actifs disparaît avec la clé, comme cela s'est déjà produit, c'est relativement sain de mettre en place une régulation. En revanche, quand j'entends des rumeurs, qui assurent que l'Union européenne essaie de réguler des logiciels de portefeuilles de crypto-actifs comme s'il s'agissait de tiers de confiance, ça ne fonctionne pas. Ce n'est pas tant qu'il s'agit d'une mauvaise idée. Mais fondamentalement ça ne colle pas, donc cela engendre des problèmes.

Dans la mesure où l'on parle de réglementations autour de l'usage de ces réseaux, de ces technologies et de tiers de confiance, ça ne marche pas si on parle de réguler la technologie elle-même.

Les régulations en gestation interviennent après une année 2022 difficile, marquée par l'effondrement de FTX. Les scandales de ce type ont-ils nui de manière considérable au développement de l'écosystème ?

FTX n'a jamais utilisé Tezos. (Rires.) Évidemment, ce scandale a affecté tout le monde. Cela a notamment créé une réaction régulatoire aux États-Unis, où le régulateur qui s'était endormi sur FTX a voulu montrer qu'il était sérieux. Au passage, si on regarde quelque chose comme FTX, c'est notamment à cause d'une insuffisance régulatoire aux États-Unis que certaines personnes ont mis leur argent aux Bahamas.

Ce scandale nous a affecté car cela a impacté l'ensemble des marchés, mais cela ne nous a pas affecté directement. Il y a une expression en anglais qui dit qu'une pomme moisie va faire moisir toutes les autres qui sont dans le sac. C'est ça le problème. Si on tolère ce genre de comportement, cela éclabousse tout le monde. Les gens à l'extérieur de l'écosystème vont penser que tout le monde se comporte comme FTX.

Forcément, cela impacte la réputation de l'industrie et l'intérêt pour ses solutions, car les gens ont peur. Dans ce cadre, l'un des avantages potentiels de la régulation, c'est d'apaiser ces peurs. Si les acteurs du secteur peuvent dire qu'ils sont régulés, cela peut potentiellement donner plus de confiance aux utilisateurs, et ainsi les rassurer.

Quelles sont les prochaines évolutions pour le secteur de la blockchain en général et pour Tezos ?

La thématique majeure, c'est le passage à l'échelle. On vit dans un monde où on a toujours connu les blockchains comme étant lentes, avec des prix qui deviennent chers quand les gens commencent à l'utiliser. Mais on sort de cette ère. Lors de la prochaine vague d'engouement, il y aura beaucoup moins de limitations de débit par rapport à celles qu'il pouvait y avoir avant.