Congés illimités, transparence des salaires, hyperflexibilité, feedback… Ces pratiques innovantes, expérimentées en première ligne par des startups, bousculent la gestion traditionnelle des RH. C’est le sujet auquel se sont attaqués Pierre Monclos, DRH chez Unow et Michel Barabel, directeur de l'executive master RH de SciencesPo dans leur ouvrage “Quand les start-up, scale-up et licornes réinventent les RH” (éditions Dunod).

Les auteurs ont sélectionné les innovations les plus marquantes au sein d’une quarantaine d’entreprises telles que 360Learning, Alan, Doctolib ou encore Welcome to the Jungle afin de les décrypter et d’en comprendre les ressorts. Le but du livre est sans ambages : au travers de témoignages concrets et d’enquêtes terrain, les auteurs souhaitent outiller les décideurs RH et les managers ayant à cœur de faire évoluer leur culture RH de manière cohérente et pérenne. Explications.

Maddyness : Pourquoi avoir écrit ce livre sur les nouvelles pratiques RH en 2023 ?

Pierre Monclos (P.M) : En 2014, alors que je prenais mes fonctions de DRH chez Unow, j’ai rapidement compris que je ne pourrais pas gérer les RH de manière traditionnelle. En effet, la culture startup est fondée sur deux piliers : la transparence et la flexibilité qui sont à l’orthogonal des RH classiques, plutôt opaques et rigides. Au sein de l’écosystème, mes pairs partageaient le même constat : j’ai donc créé un blog ainsi qu’un club RH, RH42, pour échanger sur nos questionnements et pratiques. J’ai pris conscience que d’autres typologies d'entreprises, comme les grands groupes et les PME/TPE, commençaient à s’y intéresser. Je me suis dit qu’il serait pertinent d’en faire un recueil pour les diffuser à plus grande échelle. Ce ressenti était partagé par Michel Barabel dans le cadre de ses fonctions au sein du Lab RH (auquel Unow appartient). Nos complémentarités étaient pertinentes pour écrire un livre pragmatique, fondé sur des retours d’expérience, tout en prenant en compte les contours de la fonction RH sur laquelle Michel a beaucoup écrit.

M : Entre témoignages et enquêtes, comment l’ouvrage a-t-il été conçu ?

Michel Barabel (MB) : Ce livre a été écrit en mode agile. Nous avons d’abord mobilisé nos réseaux respectifs, à savoir les DRH ou les CEO issus du club RH42 (200-300 startups) et du lab RH (300 entreprises). L’idée était de faire émerger les pratiques RH dites clivantes ou innovantes mises en place ou en cours de réflexion. Nous avions également nos propres convictions que nous avons pu confronter avec ces entrevues terrain. En complément, une enquête quantitative (119 DRH) a été menée ce qui nous a permis de pondérer l’adoption des différentes pratiques (combien ont mis en place le feedback, par exemple). Ces trois canaux d’information ont révélé 7 pratiques phares : transparence, rémunération, semaine de 4 jours, hyperflexibilité, recrutement, feedback et développement des compétences. Chacune est décortiquée sous le prisme de retours d’expérience dans le but d’aider les entreprises qui veulent tendre vers une culture RH différente.

M : Concernant les innovations RH : quelles sont les plus marquantes pour 2024 ?

MB : Il me semble que la semaine de 4 jours est le buzz de la rentrée. Néanmoins, encore peu d’entreprises l’ont réellement adoptée malgré des velléités. L’enquête quantitative menée auprès de 119 personnes révèle qu’une première vague de startups l’a mise en place (6,8 %) et une sur cinq l’envisage pour la suite. Plus globalement, on observe des “grappes de pratiques” émergentes : les horaires flexibles (74,6 %), le feedback (65,5 %) ou encore la transparence (47,1 %).

PM : La transparence au sens large me semble en effet une lame de fond. Il ne s’agit pas uniquement des salaires, mais plus largement des informations afférentes à l’entreprise. En ce sens, l’initiative telle que la coconstruction de la politique RH avec ses salariés, comme le fait Héloïse Lutton, DRH de Tarides, tend à se développer. Autre point : les grands groupes s’emparent de plus en plus du sujet de l’hyperflexibilité : les horaires, les congés…

M : Ces inspirations ne sont-elles pas éloignées des préoccupations des PME /ETI ?

MB : Quand on parle d’innovation RH, il faut oublier la typologie de l’entreprise ou la taille. Il faut s’intéresser à sa culture et ses problématiques. Pourquoi se transformer ? Pourquoi mettre en place cette pratique plutôt qu’une autre ? Comment être cohérent ? Ce sont des questions qui guident les startups ou licornes quand elles décident de déployer une nouvelle pratique RH. Elles le font sous le prisme de leur culture en menant une transformation globale. Par exemple, pour lancer le feedback, l’ensemble des processus RH, le recrutement, les pratiques de leadership ainsi que l’évaluation en seront “infusés”. Un candidat recevra ainsi du feedback dès le recrutement, une recrue sera formée au feedback durant l’onboarding, l’entretien annuel prendra la forme du feedback, etc. Cette logique omnicanale est tout à fait applicable à une PME ou une ETI qui veut innover.

M : Ce livre tente de faire un pont entre startups et grands groupes : que dire des liens entre ces deux univers ?

PM : Les synergies restent encore trop rares. C’est dommage car le meilleur des deux mondes apporte des bénéfices réciproques : les grands groupes ont digéré pas mal de transformations, c’est donc une expérience précieuse pour les startups. Ces dernières, parce qu’elles ouvrent le champ des possibles, dynamisent ces grandes structures. Néanmoins, pour que les échanges soient fructueux, il faut réunir deux critères indissociables : des intérêts communs et une vitesse d’avancement cohérente.

M : Quelles recommandations donneriez-vous aux DRH pour changer, dès maintenant ?

PM : Un prérequis : ne pas aller vers les sujets qui brillent mais se tourner vers ses propres problématiques. Comme l’expliquait Michel Barabel plus haut : avant d’engager une transformation RH, il vaut mieux partir des enjeux ou des domaines en lien avec sa propre culture d’entreprise. Ils guident une transformation et lui donnent du sens. Est-ce une problématique de hiérarchie, d’autonomie, de flexibilité ou de réduction du temps de travail ? À quels problèmes devons-nous répondre ? Est-ce en lien avec ma culture d’entreprise ? Le livre est une bonne base de travail car les retours d’expérience sont étayés par des points de vigilance afin d’éviter les transpositions sauvages.

MB : Il faut en finir avec les chantiers de transformation sans fin : l’itération et l’amélioration continue me semblent les meilleurs alliés d’un changement RH pérenne et cohérent. Par étapes, on teste et on ajoute en tenant informées ses équipes afin de maintenir un consensus.