« Ces dix dernières années, il y a eu beaucoup de recherche et développement sur le sujet des véhicules autonomes. Un investissement de temps et d’argent qui répondait à des attentes fortes. Ces travaux de R&D ont mené à une conclusion : le développement du véhicule autonome est beaucoup plus compliqué qu’on ne l’avait imaginé », déclare Salah Eddine Echatoui, responsable sectoriel industrie automobile et mobilité chez Bpifrance. « Aujourd’hui, nous avons une vision réaliste du sujet. Nous sommes conscients des barrières technologiques et du chemin qui reste à parcourir, mais nous savons également comment y arriver et nous avons des premiers cas d’usage avec des vrais services commerciaux autonomes sur site privé », rajoute Benoit Perrin, directeur général d’EasyMile.

Des attentes réajustées face à de multiples challenges technologiques 

Des barrières technologiques très liées au sujet de la sécurité. « Au-delà de l’IA, il y a toute la partie mécanique à adapter à la conduite autonome. Le freinage et la direction reposent encore sur des procédés mécaniques. Il faut passer à l’électronique, ce n’est pas insurmontable, mais cela demande du temps », explique Benoit Perrin. Consciente de cela, la filière semble aujourd’hui avoir clarifié sa feuille de route pour les prochaines années en se concentrant sur les principales barrières technologiques. Dans le même temps, le sujet de la décarbonation est devenu la priorité de la filière, reléguant le véhicule autonome au second plan et diminuant les budgets alloués à ce sujet.

« Pour moi, les investissements n’ont pas forcément diminué, mais ils se sont recentrés sur des cas d’usage, accessibles techniquement, avec un vrai business model », modère Benoit Perrin.

En parallèle, les choses ont avancé sur le plan réglementaire et depuis 2022, le cadre d’homologation pour la conduite autonome de niveau 4 est désormais défini en France. « Nous sommes convaincus que le vrai enjeu est le niveau 4, c'est-à-dire la conduite entièrement automatisée », partage Benoit Perrin.

Une nouvelle équation qui met la sécurité au centre

Sur le sujet de la sécurité, entre Américains et Européens, l’approche est bien différente. Quand les premiers roulent et doivent ensuite rendre des comptes en cas de problèmes, les seconds doivent d’abord démontrer qu’il n’y aura pas de problème avant de rouler. 

« La sécurité est l’élément central du véhicule autonome. Au départ, beaucoup ont vendu du rêve avec les véhicules autonomes. Aujourd’hui, l’équation a changé : comment obtenir une performance acceptable avec un niveau de sécurité bien supérieur à celui de la voiture classique. On ne peut pas compter que sur l’IA dont la sécurité n’est pas démontrable à 100% », déclare Benoit Perrin. « Dans la conception, les premiers 90% sont faciles, mais ensuite, dans les 10% restant, il faut mettre 90% des efforts. On a rapidement vu des voitures qui faisaient des choses extraordinaires, mais passer à l’échelle et enlever le conducteur, le tout avec des niveaux de sécurité satisfaisants, demande bien plus d’efforts », poursuit-il.

« Il faut y aller étape par étape, pour rendre sécuritaires les cas d’usages les uns après les autres, et débloquer de manière progressive la question de la sécurité », complète Salah Eddine Echatoui.

La France mise à la fois sur les transports en commun et la logistique

Le véhicule autonome pour les particuliers ne semble plus faire partie des priorités. Les constructeurs de véhicules particuliers n’ont pas réussi à converger vers une équation économique viable compte tenu du surcoût technologique. Loin des robotaxis américains, la France mise donc désormais plus sur les transports en commun, les pistes privées et la logistique. « Aujourd’hui, on commence à voir des choses qui fonctionnent bien en mode complètement autonome pour les bagages dans les aéroports par exemple, ou pour transporter des personnes sur des sites privés, comme des parcs de loisir », détaille Benoit Perrin.

Tout le monde s’aligne pour dire que les Américains et les Chinois ont des années d’avance sur les Européens sur certaines applications comme le robotaxi. Mais ce retard ne semble pas irrattrapable, loin de là. « En Europe, les niveaux de financements ne sont pas comparables à ceux qu’on retrouve aux États-Unis. Mais l’approche européenne est intelligente, elle consiste à chercher le meilleur moyen d’adresser rapidement le marché en tenant compte des contraintes, qu’elles soient technologiques, financières ou réglementaires », explique Salah Eddine Echatoui.

Le véhicule autonome partagé, un atout social

Aujourd’hui, la plupart des véhicules autonomes sont électriques, néanmoins la production de véhicules autonomes individuels ne répond pas aux enjeux environnementaux. « On ne va pas le cacher, tout comme pour les véhicules classiques, la production de voitures autonomes n’a pas d’effet positif pour l’environnement. En revanche, en se concentrant comme le fait EasyMile sur des modes de transport partagés, on peut en tirer d’importants bénéfices au niveau social. Le développement de transports publics plus efficients et moins couteux répond à des problématiques de vieillissement de la population, d’augmentation du nombre de personnes à mobilité réduite et de désenclavement des territoires ruraux », partage Benoit Perrin.

« À terme, cela pourrait tout de même conduire à diminuer l’usage des véhicules particulier, ce qui est positif pour l’environnement », complète Salah Eddine Echatoui.

« Aujourd’hui, il y a eu un vrai retour à la réalité. La filière est beaucoup plus mature qu’il y a quelques années, consciente des défis technologiques et des enjeux économiques. Le véhicule autonome n’est pas mort, nous sommes justement à un point d’inflexion, à un moment crucial pour la filière », conclut Salah Eddine Echatoui.