À l’aube des années 2010, l’impression 3D était présentée comme la nouvelle révolution qui allait transformer l’industrie. Cette technologie allait permettre de mettre fin à la délocalisation grâce à des unités de production disséminées un peu partout sur le territoire. Le consommateur allait aussi être en mesure de venir créer lui-même la pièce qui allait lui permettre de réparer son électroménager en parfaite autonomie.

Sculpteo faisait partie des acteurs sur lesquels se cristallisaient parfois ces espoirs. Créée en 2009 par Clément Moreau et Éric Carreel (fondateur et CEO de Withings, pionnier de la santé connectée), l’entreprise s’était donnée pour mission de rendre accessible l’impression 3D au plus grand nombre. La révolution a été pourtant beaucoup plus discrète qu’on le prédisait. Rencontre avec Alexandre d’Orsetti, l’homme qui a pris la suite de Clément Moreau à la tête de Sculpteo en juin 2022.

Sculpteo passe du BtoC au BtoB

À sa création en 2009, Sculpteo avait embrassé la mission de démocratiser l’impression 3D. Très vite, la startup a permis aux particuliers de commander directement depuis sa plateforme où ils pouvaient charger leur fichier 3D et se voir proposer un prix et un délai de manière automatique.

Cette première phase BtoC ne s’est pas déroulée sans embûches. Alexandre d’Orsetti, nouveau CEO de Sculpteo, le reconnaît volontiers : « nous étions sur de petites pièces un peu gadget, sans rencontrer l’engouement espéré. Puis sont apparues les problématiques associées au BtoC avec le traitement d’un nombre de commandes élevées pour des pièces uniques à chaque fois. C’était complexe de viser une bonne rentabilité sur ce modèle. »

Dès 2011, l’entreprise assume un virage marqué vers le BtoB, permettant aux entreprises de faire du prototypage de manière simplifiée. Il s’agissait d’ailleurs du point de départ de l’aventure. Éric Carreel et Clément Moreau avaient la chance d’avoir accès à une imprimante 3D dans les laboratoires de Thomson où ils travaillaient tous deux (suite au rachat d’Inventel). Ils utilisaient cette technologie pour prototyper des téléphones ou des box ADSL mais regrettaient que cet usage soit réservé à des privilégiés.

2019, l’année du rachat par BASF

La suite de l’aventure se fera en perpétuelle croissance, les clients étant toujours plus nombreux et les commandes se faisant sur des séries toujours plus grandes. « Vers 2016, on a commencé sur des projets de pièces plus ambitieuses pour des grands noms du luxe ou de l’industrie, raconte Alexandre d’Orsetti. C’est à cette époque que nous avons eu un gros projet lié à la maroquinerie avec la création de pièces de renfort notamment. Cette commande est très vite venue occuper plusieurs machines en continu. Ce projet est d’ailleurs toujours en cours six ans plus tard. »

Fin 2019, Sculpteo annonce son rachat par le groupe BASF, groupe chimique allemand, qui avait créé une division impression 3D quelques années plus tôt pour mettre au point des matières et des résines spécifiquement pour cette technologie. « Ils nous ont acquis pour redescendre dans la chaîne de valeur et se positionner très près du marché, explique le CEO de Sculpteo. Et pour nous, c’était le bon moment pour intégrer un grand groupe qui avait les moyens de financer notre croissance dans un marché très concurrentiel… tout en nous apportant une crédibilité industrielle. »

L’impression 3D est multiple et demande une expertise

Sculpteo a donc réussi à fidéliser sa clientèle au fil des années. Mais qu’en est-il du risque de voir des grands groupes acquérir une imprimante 3D pour venir internaliser cette technologie ?

Cela n’a jamais été une grande crainte du côté de Sculpteo qui rappelle combien le terme « impression 3D » vient rassembler une multitude de procédés. « Dans le monde professionnel, on parle de fabrication additive et cela représente une grande famille de technologie dont le seul dénominateur commun, c’est le fait de superposer des couches de matière successive. L’impression 3D, ce n’est vraiment pas de poser une machine au milieu d’une pièce et de commencer la production. Il y a différents procédés, matières, et il y a tout un travail sur la finition avec le sablage des pièces, on peut ensuite les teinter, les lisser chimiquement ou les polir, les peindre, etc. Cela nécessite au final de s’équiper d’un certain nombre de machines et d’atteindre un certain niveau de compétence et d’expérience. Cela arrive tout de même que certains clients s’équipent d’une machine… mais quand ils ont mis le doigt dans l’impression 3D, ils vont généralement découvrir d’autres matières, d’autres finitions, et ils finissent par revenir pour nous demander ces nouvelles pièces. »

L’impression 3D n’est pas magique

Mais alors, pourquoi l’impression 3D n’a-t-elle pas révolutionné l’industrie ? Pour Alexandre d’Orsetti, il y a tout de suite eu une incompréhension autour de la fabrication additive : « C’est fascinant de fabriquer un objet à partir de rien. Il y a un côté magique qui a tendance à brouiller les pistes. C’est loin d’être une technologie qui peut remplacer toutes les autres. Comme je le disais, c’est un procédé qui reste complexe à maîtriser et qui a un certain coût. Il ne s’agit pas d’appuyer sur un bouton pour sortir des pièces par magie. Nous vivons aussi dans un monde où, et c’est heureux, il y a des réglementations : les matières doivent être certifiées, elles doivent passer des tests et atteindre certains niveaux d’exigence en tolérance, en répétabilité, etc. Et puis la manière des industriels n’allait pas non plus changer du jour au lendemain, cela a été progressif. »

La croissance ne s’est ainsi presque jamais arrêtée ( à l’exception de 2020 pour les raisons que l’on peut imaginer ). L’année dernière, Sculpteo faisait 25 % de croissance et Alexandre d’Orsetti prévoit un chiffre très similaire pour l’année en cours. « On voit bien qu’il y a une vraie dynamique d’adoption aujourd’hui avec des clients récurrents et des séries de plus en plus grandes. Des tailles de commandes qui étaient rarissimes il y a deux ans sont devenues beaucoup plus régulières aujourd’hui. »