L’argent ne coule plus à flot. En peu de temps, le sujet des vagues de licenciements dans la tech a remplacé celui des batailles de talents et de l’inflation salariale. En cette période de vache maigre, de nombreuses startups doivent se serrer la ceinture et les ressources humaines deviennent souvent la principale variable d’ajustement. « Les licenciements sont inhérents à la vie d’une entreprise. Les proportions dans lesquelles certaines startups licencient aujourd’hui mettent en avant un petit vice de l’entrepreneuriat. Suite à des levées de fonds massives et au développement de la masse salariale de certaines sociétés dans des proportions parfois incontrôlées, les mesures de licenciement permettent d’apporter les correctifs nécessaires à la pérennité de l’entreprise et au maintien de sa compétitivité », déclare Kamal Naffi, associé chez Archers Avocats. 

En effet, les recrutements faits dans la foulée des levées de fonds pour accompagner la croissance d’une startup ne peuvent pas toujours être absorbés dans les temps. Les plans de licenciement sont alors nécessaires pour permettre aux entreprises de revenir sur de bons rails. « La maitrise des charges et la consolidation des effectifs est essentielle. Les sociétés qui n’ont pas privilégié ces aspects et qui se retrouvent dans une situation de trésorerie tendue sont contraintes d’adopter des mesures correctives pour parvenir à un équilibre financier. C’est bien souvent la gestion des effectifs et la maîtrise des coûts associés qui va permettre aux boîtes d’éviter de faire l’objet à court terme d’une mesure de pré-faillite de type conciliation ou mandat ad hoc ou d’une mesure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou pire, de liquidation judiciaire. Si elle est bien évidemment loin d’être le seul élément à prendre en compte, la maîtrise de la masse salariale est absolument clé », partage Kamal Naffi.

La réduction de la masse salariale : un phénomène normal dans une économie libérale

« Les licenciements, qu’ils soient individuels ou collectifs, ne constituent pas, en tant que tels, une mauvaise nouvelle. C’est une question de prisme. Pour la société, ses actionnaires et ses employés qui demeurent en fonction, la mise en place de telles mesures est une étape certes compliquée, mais nécessaire pour assurer la pérennité de l’entreprise. C’est peut-être une moins bonne nouvelle pour ceux qui partent, et encore cela dépend de la mesure de licenciement envisagée : ainsi, dans les cas de licenciements économiques, les salariés sont la plupart du temps bien accompagnés et indemnisés », relève Kamal Naffi.

La réduction de la masse salariale est en effet une variable d’ajustement classique dans l’économie libérale. Ce phénomène ne se limite pas aux startups et il ne remet pas en cause la viabilité d’un business model. Preuve en est, les GAFAM, qui ont prouvé la pertinence de leur business model, ont été les premiers à annoncer des plans sociaux.

« Il ne faut pas jeter la pierre aux startups ou aux fonds. Ces licenciements ne sont pas forcément synonymes d’une mauvaise gestion. La plupart des startups ne sont pas conçues pour être rentables tout de suite, et surtout, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ce n’était pas ce qu’on leur demandait », partage Gregory Edberg, cofondateur et associé chez Leuwen, une entreprise indépendante de conseil stratégique et financier dédiée aux entrepreneurs.

« Pour moi, la situation n’a rien de dramatique, j’ai foi en l’économie. Les entreprises doivent réduire leurs coûts pour réduire leur cash burn, qui correspond à l’érosion des capitaux, pour survivre jusqu’à ce qu’elles puissent à nouveau lever ou vendre dans de bonnes conditions. Au contraire, c’est le fait de ne pas prendre de mesures qui pourrait être inquiétant, car dans ce cas, elles courent à la faillite », avance Gregory Edberg. « Aujourd'hui, je trouve que l’écosystème est plus mature. On est déjà approchés par des startups qui ont amorcé une réduction de coûts et qui peuvent travailler plus sereinement sur des projets de levée ou d’opérations de M&A », poursuit-il.

Si licencier est une décision difficile, ce n’est donc pas nécessairement une mauvaise nouvelle. Au contraire, c’est une décision qui pourrait permettre de sauver des entreprises de la faillite, d’assurer leur pérennité et de maintenir un certain nombre d’emplois.

Un sujet culturel plus qu’économique 

Pourtant, si économiquement les vagues de licenciements s’entendent, elles restent difficiles à assumer et psychologiquement compliquées à gérer, particulièrement en France. Tant à l’échelle individuelle que du côté des startups. Contactées pour témoigner sur le sujet, Openclassroom, Payfit, Backmarket et Ankorstore, n’ont d’ailleurs pas donné suite.

Le monde des startups s’est inspiré du monde anglo-saxon, où le rapport à l’emploi est bien différent de celui qui existe en France. « Le monde des startups est risqué et le risque de licenciement est inhérent à ce monde. C’est vrai quelle que soit la phase du cycle économique, mais c’est en effet renforcé aujourd’hui. Il ne faut pas être naïf, aller travailler dans une startup sans prendre en compte ce type de risque est une certaine méconnaissance du monde économique », rappelle Gregory Edberg.