La rumeur courait depuis quelques mois déjà. C’est désormais officiel, la licorne Sorare, spécialisée dans les cartes NFT à l’effigie de sportifs, rejoint l’Adan, l’association qui défend les intérêts des professionnels du Web3 en France. “Nous sommes dans un moment central de structuration de l’écosystème”, estime Jennifer D’hoir, directrice des affaires publiques de Sorare, qui aura bientôt cinq ans. 

Après s’être concentrée sur des acteurs évoluant surtout dans la finance crypto, l’Adan s’ouvre aujourd’hui plus largement aux startups et entreprises entreprenant dans le Web3, c’est-à-dire recourant à la blockchain pour commercialiser des biens et services. “Les cas d’usage qui se fondent sur cette technologie et les crypto-actifs sont de plus en plus nombreux, ils se diversifient, se sophistiquent, et des acteurs de plus en plus différents s'en saisissent”, explique Faustine Fleuret, présidente de la fédération fondée en 2020 et qui compte aujourd’hui plus de 200 membres. Des entreprises comme la Société Générale, via sa filiale Forge, ou le PMU, en font ainsi partie et développent leurs projets cryptos.

La France pionnière sur la réglementation des cryptos

L’Adan, qui se revendique comme la “principale fédération du Web3 en Europe”, veut aussi renforcer son européanisation pour peser encore plus dans les discussions sur la réglementation. Le secteur est de plus en plus encadré au niveau européen, alors que le règlement MiCA entrera en vigueur fin 2024 et imposera à tous les prestataires de services sur crypto-actifs du continent l’obtention d’un agrément pour pouvoir exercer à partir de juillet 2026.

La France, dont l’écosystème crypto est particulièrement étoffé, a été pionnière sur le sujet, le cadre établi par la loi Pacte en 2019 ayant inspiré le texte MiCA. Les courtiers et plateformes d’échanges spécialisés dans les cryptos doivent déjà s’enregistrer auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et respecter certaines obligations (lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, compétence des dirigeants…).

Réglementer pour rassurer les utilisateurs et investisseurs

“Le droit apporte de la clarté et de la confiance pour nos utilisateurs et pour les investisseurs”, estime Jennifer D’hoir. Un nouveau régime pour les jeux à objets numériques monétisables (Jonum), qui reposent notamment sur les NFTs, est justement en cours d’adoption au Parlement français. Il vise à créer un cadre juridique pour l’activité d’entreprises comme Sorare, qui revendique 5 millions de joueurs dans 180 pays.

“Nous avons toujours promu l’existence d’une réglementation pour donner de la lisibilité et que les acteurs du secteur connaissent les règles régissant leurs activités”, insiste Faustine Fleuret. “Mais cette réglementation doit être adaptée aux spécificités de l’écosystème et proportionnée, car beaucoup d’acteurs du Web 3 sont encore jeunes”, ajoute-t-elle. 

“Tous ne passeront pas la barrière de MiCA”, craint de son côté Stanislas Barthelemi, expert crypto chez KPMG France. Selon lui, des petites structures vont éprouver des difficultés à faire face aux nouvelles exigences réglementaires, qui demandent des moyens humains et financiers.

La chute des cours affecte encore des entreprises

Après les prestataires de services cryptos, l’Union européenne compte en outre s’attaquer au chantier très complexe de la finance décentralisée, la DeFi. En attendant, beaucoup d’acteurs du Web3 peinent encore à se remettre de l’effondrement des cours des crypto-actifs l’an passé. Si le marché a un peu rebondi en 2023, des entreprises licencient encore, à l’image de Ledger, la deuxième licorne tricolore du secteur, spécialisée dans les portefeuilles physiques pour actifs numériques, qui a décidé en octobre de se séparer de 12% de ses effectifs, soit 90 salariés au total.

“Beaucoup d’acteurs de l’univers crypto ont un modèle d’affaires très dépendant des volumes d’échanges. Lorsque les cours chutent de façon prolongée, leur activité baisse et ils peinent à capter de la valeur”, rappelle Stanislas Barthelemi. Ce qui n’empêche pas des entreprises françaises de perdurer, comme Coinhouse et Kaiko, qui fêteront leurs 10 ans en 2024. “Pour s’inscrire dans la durée, il faut un produit qui continue d’innover et parvenir à fédérer une communauté, puis à l’élargir”, souligne Jennifer D’hoir. 

Bpifrance et d’autres acteurs en soutien

Reste que des startups éprouvent encore des difficultés pour ouvrir ou maintenir un compte en banque, alors que des établissements financiers continuent de percevoir d’un mauvais œil les crypto-actifs. 

L’écosystème Web3 peut néanmoins miser sur le soutien d’acteurs institutionnels comme la Caisse des dépôts et Bpifrance, qui a déjà investi dans de nombreux projets, ainsi que l’émergence de fonds dédiés comme ceux de Ledger Cathay Capital et d’Aglaé Ventures (soutenu par LVMH), doté chacun de 100 millions d’euros. Il existe enfin quelques incubateurs de startups spécialisés dans le Web3, à l’image de PyratzLabs.

Depuis leur création, les jeunes pousses du secteur ont levé près de 2 milliards d’euros, selon une étude du cabinet Deloitte, publiée en début d’année. Si 2023 a été difficile, 2024 s’annonce plus clémente pour l’écosystème, alors que les cours semblent repartir à la hausse, dans un contexte de fin de hausse des taux des banques centrales. L’un des grands enjeux du secteur reste de parvenir à proposer des produits moins dépendants de l’évolution des cours et globalement plus accessibles au grand public.