Philippe Laval n’avait jamais prévu de se tourner vers l’entrepreneuriat. Il est pourtant tombé dedans au sortir de son master à Télécom Paris, qui le promettait pourtant à une carrière d’ingénieur. Après avoir réalisé son stage pour une entreprise spécialisée dans le traitement du langage naturel et d’avoir poursuivi en y réalisant une thèse Cifre (qui permet à une entreprise de recruter un doctorant), son patron lui annonce son départ à la retraite et son envie de le voir reprendre la société.

Dans la continuité de cette première expérience, il récupère un morceau de code pour venir co-fonder Sinequa. Si cette entreprise a connu de beaux succès et existe encore aujourd’hui, l’association des trois hommes à sa création a été bien moins pérenne. « Sinequa, c’était génial jusqu’à ce qu’on lève de l’argent, livre Philippe Laval. Dès que l’on a levé de l’argent et que la pression de l’immédiat a disparu, on s’est rendu compte que notre vision de la stratégie était complètement différente. Dans les trois mois qui ont suivi la levée, notre capacité à gérer une boîte ensemble a littéralement explosé ».

“Je n’ai pas écouté mes actionnaires”

Il quitte Sinequa en 2005 et fonde Evercontact en 2007 (entreprise qui a aussi été connue sous le nom de Kwaga ou WriteThat.Name) dont la promesse était de mettre à jour automatiquement les informations de contact dans le carnet d’adresses de ses utilisateurs. De nouveau, c’est une question liée au monde de l’investissement qui va mettre fin à l’aventure. 

« L’une de mes erreurs, explique Philippe Laval, c’est de ne pas avoir écouté ce que mes actionnaires me disaient. L’un d’eux m’alertait du fait que l’on ne grossissait pas assez vite et qu’il ne me refinancerait pas. J’ai refusé de le croire et quand, à la fin, j’ai effectivement compris qu’il n’allait pas remettre de l’argent, il était trop tard pour se retourner et faire un exit correct. Parce que tu comprends que le métier d’un investisseur, c’est de ressortir de ta société et ils ne peuvent pas investir indéfiniment. Cela va dépendre à quel moment tu es dans la vie du fond, de ce qu’il a écrit dans son mémo d’investissement. Il a un reporting énorme à faire et que l’on ne comprend pas en tant qu’entrepreneur. On ne comprend pas les contraintes qu’ont ces gens-là ». 

Une compréhension qu’il a acquise bien plus tard, une fois passé de l’autre côté du miroir en rejoignant Jolt Capital.

Atteindre la vitesse de rotation

Philippe Laval et Jean Schmitt (aujourd’hui Managing Partner de Jolt Capital) ont une relation de très longue date. Il l’a rencontré à Télécom Paris où Jean Schmitt était le patron de la junior entreprise et lui avait trouvé son premier job. Ils ont ensuite passé plusieurs années dans le même bâtiment puisque les premiers bureaux de Sinequa se trouvaient dans le surplus de place que Jean Schmitt avait dans les locaux de sa propre entreprise.

À la fin de l’aventure Evercontact, c’est une question de Jean Schmitt qui lui fait prendre conscience de la réalité de la situation : son projet était une brique et non un avion. « Le principe d’un avion au décollage, c’est d’atteindre la vitesse de rotation pour qu’il décolle, après tu as besoin de moins d’énergie pour voler. Et c’est ça que tu veux dans une startup… mettre énormément d’énergie jusqu’au moment où il va devenir autoportant. Par contre, la question qu’il faut que tu te poses, c’est : est-ce que ma boîte continue parce que j’y mets une énergie complètement folle ou est-ce que l’énergie personnelle pour le faire voler est en train de diminuer, ce qui veut dire que les forces du marché, d’une certaine manière, sont en train de prendre le relai ? ».

Philippe Laval va alors officiellement revendre Evercontact à One More Company en 2018. Jean Schmitt vient alors le chercher pour lui proposer de rejoindre Jolt Capital. 

« Je voudrais créer un fond dans lequel les Partners sont en contact direct avec le marché, mais pour ça j’ai besoin de technologie, lui explique-t-il. J’ai besoin d’un logiciel capable de parcourir l’ensemble des sociétés existantes en Europe pour identifier les plus intéressantes ». 

Cette expérience sera une révélation pour Philippe Laval : « Pour être un bon entrepreneur, il faudrait systématiquement passer du temps chez un investisseur. D'une part, parce que l'on voit beaucoup de boîtes en très peu de temps. À force de voir des business models, tu finis par comprendre deux ou trois trucs. Et puis tu vois combien une grande partie du succès des startups vient de leur capacité à se financer et, au-delà même de se financer, de le faire avec des gens qui vont vraiment apporter de la valeur ajoutée. C’est dingue de voir que ces deux populations ne se comprennent pas : elles parlent, elles pensent parler de la même chose, mais ce n’est pas le cas. Vivre les deux côtés, c'est vraiment une révélation… de voir toute l'incompréhension qu'il y a entre ces deux mondes ».