Bpifrance présente à nouveau le programme Demain, accompagné du dirigeant de Tribun Health, Jean-François Pomerol, pour partager leurs perspectives. 

La digitalisation transforme profondément le secteur de la santé, promettant notamment de rendre la recherche thérapeutique plus efficace en réduisant les délais et les coûts. Des avantages non négligeables quand on sait qu’aujourd’hui, le développement d’un médicament prend près de dix ans et coûte en moyenne un milliard de dollars. Cette révolution numérique offre l'espoir de traitements plus accessibles et plus sûrs. Mais avant d’arriver à cela, les obstacles et les enjeux sont nombreux, particulièrement en ce qui concerne le traitement des données.

La donnée secondaire, pierre angulaire du progrès

« Aujourd’hui, la donnée, c’est le nerf de la guerre. À chaque étape du développement d’un médicament, la donnée a un rôle à jouer. Nous devons donc de nous positionner comme un soutien aux acteurs qui développent des solutions pour exploiter ces données », partage Béatrice De Keukeleire, Responsable sectorielle Innovation santé chez Bpifrance

Au-delà de permettre le développement rapide d’une médecine et d’une recherche de pointe, les données de santé devraient permettre d’anticiper à la fois les bénéfices et les risques des médicaments en développement. « Grâce à la modélisation de jumeaux numériques, on va pouvoir faire des tests pré-cliniques et cliniques in silico, c'est-à-dire dans l’ordinateur, plutôt que sur des animaux ou des patients », explique Béatrice De Keukeleire. Un intérêt qui dépasse les considérations éthiques, puisqu’en moyenne un patient clinique coûte jusqu’à 200 000 euros.

Ces données sont de différentes natures : données de chimie, données issues de la littérature médicale, données administratives provenant des hôpitaux, données de santé collectées lors d’examens médicaux ou encore données de la vie réelle issues des objets connectés.

« Ces données sont en général générées à des fins primaires. Tout l’enjeu est de savoir comment on peut les réutiliser ensuite pour développer par exemple de nouveaux médicaments », indique Béatrice De Keukeleire.

La société Tribun Health, créée en 2016, présente un bon cas de l’utilisation des données secondaires. Elle avait pour ambition initiale de transformer les diagnostics et les pronostics pour les cancers, en proposant de numériser les échantillons issus de biopsie qui étaient traditionnellement observés au microscope. Une méthode qui permet de répondre à un enjeu de précision, tant sur le diagnostic que sur le choix du protocole.

Outre les bénéfices en termes de productivité et de précision, le digital permet de conserver la donnée, qui peut ensuite être utilisée dans un usage secondaire pour de la recherche. Ces données sont extrêmement précieuses pour les laboratoires pharmaceutiques qui ont besoin de données hautement qualifiées pour mettre au point des molécules répondant aux enjeux de la médecine personnalisée.

Un cadre réglementaire strict

Des scale-ups comme Owkin ou des entreprises comme Sanofi ont en effet un besoin immense de ces données pour pouvoir faire progresser la recherche. Mais l’usage secondaire de la donnée se fait dans un cadre réglementaire bien précis, en l’occurrence RGPD en Europe. « Les données de santé sont considérées comme sensibles, elles appartiennent au patient, et les laboratoires et les hôpitaux n’en sont que les gestionnaires. Pour qu’une donnée puisse être exploitée dans un usage secondaire, même si son usage n’a aucun impact sur le patient, il faut au préalable qu’il ait indiqué sa non-opposition. La vie privée doit être respectée dans tous les cas, et la donnée doit être anonyme ou au moins pseudonymisée », précise Jean-François Pomerol.

En France, il est interdit de vendre de la donnée. « On peut monétiser des services autour de l’extraction, le nettoyage et l’annotation de la donnée. C’est sous cette forme de données travaillées que des sociétés comme Owkin l’acquièrent pour développer des médicaments de pointe », explique Jean-François Pomerol. « C’est une nouvelle source de revenus considérable pour les hôpitaux et les laboratoires ! Quand ils passent du microscope au digital, cela a un coût, mais en plus de répondre à des problématiques de productivité et de précision, ce changement leur permet de valoriser la donnée », ajoute-t-il.

Parfois, ce cadre réglementaire est invoqué pour justifier le retard de la France en la matière. Ce n’est pas l’avis de Jean-François Pomerol.

« Partout dans le monde, les corpus réglementaires sont exigeants. Pour moi, le frein n’est pas réglementaire, mais culturel. Les Français sont frileux, là où les Américains, par exemple, n’hésitent pas à faire les choses à grande échelle », partage-t-il.

Au-delà du réglementaire, les enjeux sont multiples

En effet, au-delà des barrières réglementaires, qui, par nature, peuvent ralentir le progrès, les enjeux sont multiples autour de l’utilisation des données de santé. Les barrières techniques sont également un frein majeur. « Aujourd’hui, les données sont générées de manière anarchique et ne sont pas standardisées, il est donc encore très difficile de les exploiter », indique Béatrice De Keukeleire. Le seul moyen de rendre le digital vraiment profitable à la recherche thérapeutique serait de pouvoir travailler sur des bases de données standardisées et interopérables.

Les enjeux liés à la cybersécurité et au transfert des données sont sans surprise également majeurs, mais un autre enjeu moins connu et celui des RH et de l’acculturation. « Comment fait-on bien travailler ensemble des scientifiques et des ingénieurs ? Autrement dit, comment l’IA peut-elle rentrer efficacement dans les laboratoires pharmaceutiques et les biotechs ? Idem, sur l’acculturation, comment demander aux hôpitaux de se donner les moyens de devenir des entrepôts de données de santé alors qu’ils mènent déjà tous les combats que nous connaissons. Beaucoup d’actions sont en cours pour les aider à se structurer et à déployer des cas d’usage, dont l’AAP EDS, mais est-ce que cela suffira à dépasser certaines barrières ? », questionne Béatrice De Keukeleire.

Pourtant, surmonter tous ces enjeux ne semble pas être une option. « Nous avons une mine d’or, mais il va falloir être capables de structurer ces données pour les valoriser et rester dans la course, c’est un enjeu de souveraineté », conclut Béatrice de Keukeleir