L'année dernière, 39 % des entreprises britanniques qui avaient enregistré la plus forte croissance comptaient au moins un fondateur né à l'étranger. Le secteur technologique florissant du Royaume-Uni s'est construit grâce à la présence d’entrepreneurs internationaux qui ont saisi l’opportunité de monter leurs projets dans un des écosystèmes startups les plus dynamiques au monde. En effet, le Royaume-Uni est une destination de choix pour les créateurs d’entreprise. Non seulement le pays bénéficie d'un secteur financier florissant, mais il dispose aussi d'un flux continu de talents issus des meilleures universités du monde, et d'un gouvernement de plus en plus intéressé par la technologie.

Dans ce contexte, comment se déroule la création d'une entreprise au Royaume-Uni ? Maddyness s’est entretenu avec six startups françaises implantées au Royaume-Uni – parmi lesquelles Back Market, Foodles et Malt – afin qu’elles nous racontent ce qu’elles ont appris de cette expérience.

Un plus grand marché veut aussi dire davantage de concurrence 

Après l'Allemagne, le Royaume-Uni est le pays le plus peuplé d'Europe. En plus d’un marché de taille enviable, il possède également un des taux d’accès à Internet les plus élevés, ce qui le rend attrayant pour les entreprises technologiques. 

Au-delà de ces données, le Royaume-Uni présente aussi un intérêt stratégique : avec l’Irlande, il est le seul pays anglophone d'Europe, ce qui en fait un tremplin particulièrement efficace pour atteindre le vaste marché américain. Pour cette raison, de nombreuses entreprises européennes qui souhaitent développer leur activité à l'échelle mondiale choisissent d’abord de s'installer au Royaume-Uni.

Pour Charlie Gregson, responsable Royaume-Uni de la plateforme pour auto-entrepreneurs Malt, l'expansion de la France (où l'entreprise a été fondée) vers le Royaume-Uni était une évidence. Ce choix représentait une possibilité d'accéder à un marché à la fois plus grand et plus mûr : l’entreprise n’a pas eu à dépenser des trésors d’énergie dans le marketing et l'éducation du public. En revanche, l’implantation au Royaume-Uni était également synonyme d’un marché bien plus compétitif. C'est ce qui a influencé sa stratégie de différenciation. « Une partie de nos concurrents britanniques sont davantage orientés vers l’international – pour eux, il s'agit par exemple de trouver de la main-d'œuvre bon marché en Asie du Sud-est. Notre plateforme est beaucoup plus axée vers le local », ajoute Quentin Debavelaere, directeur général de Malt pour l'Europe du Nord.

Suivre l’argent

Cela semble peut-être évident pour les fondateurs de startups, mais il faut aller là où il y a de l’argent. Or, le Royaume-Uni n'a pas de rival en Europe quand il s’agit du financement des startups. C’est donc une destination particulièrement intéressante pour les entreprises à croissance rapide.

Les types de capitaux disponibles y sont également différents. « Nous constatons que les sociétés de capital-risque ont bien plus le goût du risque au Royaume-Uni qu'en France, où le capital-risque reste plus conservateur », explique Alexandre Sagakian, directeur général de l'entreprise de cantines intelligentes Foodles au Royaume-Uni. Cela signifie qu'il y a à la fois davantage de capital de départ, et des réseaux de business angels beaucoup plus ancrés (alimentés par d'excellents programmes d’investissement dans les entreprises tels que SEIS et EIS).

Londres présente un attrait particulier pour ceux qui gèrent le capital des startups : de nombreux fonds américains y ont installé leurs branches européennes. Et la capitale britannique n’est pas la seule à attirer l’attention : de multiples villes telles que Manchester, Birmingham, Édimbourg et Newcastle investissent dans le développement de leur secteur technologique, et sont devenues des bases tout aussi intéressantes pour l’implantation d’entreprises. 

En outre, la flexibilité de la culture du travail britannique permet aux entreprises d'être mieux réparties. « Le Royaume-Uni a une culture plus favorable au travail à distance », explique Laetitia Carle, directrice de l'exploitation de la plateforme de gestion du carbone Greenly. Cela rend les entreprises plus disposées à embaucher des travailleurs indépendamment de leur situation géographique.

Optimiser les talents locaux 

Le marché du travail britannique est alimenté par plusieurs des meilleures universités au monde : Oxford, Cambridge et Imperial College London, pour n'en citer que quelques-unes. S'il peut être tentant de faire venir ses employés de France, il ne faut pas pour autant oublier de faire appel aux talents locaux. 

Alexandre Sagakian, chez Foodles, admet qu’une de ses premières erreurs a été de ne pas se concentrer sur les talents déjà présents au Royaume-Uni. « En tant qu'entreprise française, on attire beaucoup de candidats français, et il est naturel de les embaucher. Or, ce n'est pas la meilleure manière d'adapter son produit. Il faut aussi avoir des personnes capables de comprendre les codes sociaux du pays et d'adapter un produit français au marché britannique. »

Recruter les meilleurs talents pose toutefois un certain nombre de défis. « Attirer et garder des employés qualifiés sur un marché aussi concurrentiel que celui du Royaume-Uni peut s'avérer difficile. Les employeurs sont parfois amenés à proposer des salaires et des avantages compétitifs pour intéresser les meilleurs talents », explique Edouard Eyglunent, fondateur de la plateforme de réservation d'ateliers d'artisans Wecandoo. 

Adopter un état d’esprit international

Cela nous amène à une autre caractéristique essentielle du Royaume-Uni : son état d’esprit très international. Nombreux sont ceux qui attribuent cette caractéristique à son statut d'île, et au besoin vital de tisser des liens avec l'étranger qui en découle. En conséquence, le Royaume-Uni est devenu un creuset où se mélangent nationalités, cultures et attitudes commerciales différentes. 

« C’était parfait pour notre ambition commerciale, qui est de devenir une entreprise mondiale : le Royaume-Uni est vraiment le meilleur endroit pour se développer à l'international », affirme Fabrice Bernhard, directeur technique et cofondateur de Theodo, une entreprise de conseil et de solutions numériques.

Pour certaines entreprises, cette diversité inhérente au Royaume-Uni crée un marché de la demande propice à leur développement. Wecandoo, qui met en relation des personnes intéressées par l'artisanat avec des ateliers d'artisans locaux, a tout à gagner du paysage culturel britannique. « Londres est la ville multiculturelle par excellence, et l'éventail des savoir-faire qui peuvent intéresser ses habitants est encore plus étendu qu'ailleurs », explique Edouard Eyglunent, le fondateur de l'entreprise.

Thibaud Hug De Larauze, PDG et cofondateur de Back Market (la plateforme de e-commerce de produits technologiques reconditionnés) a constaté un changement d'attitude décisif après avoir décidé d’étendre ses activités au Royaume-Uni. « Lorsque nous nous sommes lancés au Royaume-Uni, nous étions encore une entreprise à la mentalité française. L'expansion sur de nouveaux marchés nous a permis d'adopter un état d'esprit plus international, ce qui a soutenu notre croissance et nous a donné la confiance nécessaire pour poursuivre notre croissance à l’international. »

Il ne fait aucun doute non plus que la diversité du Royaume-Uni permet de rendre les entreprises plus ouvertes et plus réceptives aux différences. Laetitia Carle, de la plateforme Greenly, s’en amuse : pour elle, les Britanniques sont « capables de pardonner notre francité » et tout à fait disposés à accueillir de nouvelles perspectives.

Se faire aider, car les choses peuvent prendre plus longtemps que prévu 

Quentin Debavelaere, de Malt, estime que le Royaume-Uni est un des pays où il est le plus facile de créer une entreprise – parfois en 48 heures seulement. Mais cela ne veut pas dire que tout se passe sans accroc, et certaines démarches peuvent prendre bien plus longtemps qu’on ne le penserait. 

Ouvrir un compte bancaire, obtenir un visa pour ses employés français (comme c’est généralement le cas lors d’une relocalisation)… Toutes ces étapes peuvent prendre un temps difficile à estimer.

Il faut d'une part gérer ses propres attentes quant aux différents délais, et d’autre part chercher de l'aide auprès des personnes les mieux placées. L'ambassade britannique à Paris offre un soutien aux entrepreneurs qui souhaitent créer une filiale aux Royaume-Uni, tandis que des organisations locales telles que London & Partners, partenaire de l'ambassade, constituent une passerelle inestimable vers l'écosystème britannique des startups.

Ne pas sous-estimer les différences culturelles

En arrivant au Royaume-Uni, comme dans tout nouveau pays, il faut prêter attention à certaines différences culturelles majeures. 

Il y a notamment de subtiles différences dans la culture du management, que Fabrice Bernhard, le cofondateur de Theodo a remarquées. « La culture du travail britannique est beaucoup moins conflictuelle, beaucoup plus détendue. Il nous a fallu un certain temps pour adapter notre approche française à la culture britannique », explique-t-il.

De même, il faut parfois quelques ajustements dans la manière d'aborder le marché pour y vendre certains produits. L'équipe de Foodles a constaté que la culture du déjeuner au bureau est moins sociale et plus fonctionnelle au Royaume-Uni qu'en France. « Ils se concentrent sur l'efficacité et la productivité », explique Alexandre Sagakian. 

Ces différences peuvent également offrir des opportunités. Pour le PDG de Back Market Thibaud Hug De Larauze, le marché britannique est bien plus intéressé par le numérique. « Le Royaume-Uni est une nation d'acheteurs en ligne qui veulent des produits de haute qualité pour l’argent qu’ils dépensent. C'est dans cette optique que nous avons adapté l'interface utilisateur et travaillé à des délais de livraison plus courts. » 

Les entrepreneurs internationaux ne doivent pas sous-estimer les possibilités qu'offre le Royaume-Uni dans le développement de leur entreprise, mais ils ne doivent pas non plus s’y lancer tête baissée. Il faut être prêt à faire ses recherches, avant de s’engager dans des dépenses et coûts fixes. Alexandre Sagakian suggère de tâter le terrain avant de s’y lancer à corps perdu. « Les entreprises devraient essayer de lancer un MVP au Royaume-Uni et de le tester sans coûts fixes. Puis elles devront trancher : est-ce le bon moment ? Est-ce qu’elles vont réussir ? »

Pour ceux qui pensent que l'opportunité prime sur le coût – ce qui est le cas de beaucoup au Royaume-Uni – le risque peut certainement en valoir la chandelle.

Le service commercial de l'ambassade britannique à Paris apporte son soutien aux entreprises françaises qui souhaitent s'implanter au Royaume-Uni.