Florent Ducos, directeur d'investissement Impact de 50 Partners, est « tombé dessus plusieurs fois ». Mais “Qui veut être mon associé ?”, cette émission qui donne la parole à des startups venues chercher des financements auprès d'un jury d'entrepreneurs célèbres, n'est pas une source de veille pour la structure qui réunit un fonds d’investissement et un accélérateur. « En général, on a quasiment déjà vu toutes les boîtes qui passent dans le programme », remarque-t-il. D'autant plus que l'émission est diffusée plusieurs mois après le tournage.

Même son de cloche chez Tudigo, plateforme de financement participatif. « Certains d'entre nous regardent l'émission mais peu de startups sont éligibles pour une levée de fonds sur notre plateforme », note Alexandre Laing, cofondateur et CEO. « La majorité sont très early stage, ça manque de diversité sectorielle et notamment de startups BtoB ou tech, et le potentiel de scale n'est pas évident. »

"La sélection de QVEMA est faite pour la télé"

Prime time et chaîne généraliste obligent, l'émission de M6 met plutôt en avant des projets grand public, pas toujours innovants. Dans le premier épisode de la quatrième saison, diffusé mercredi 17 janvier, les téléspectateurs pouvaient par exemple découvrir des éponges lavables et réutilisables, des pastilles d'hydratation et une marque de coiffeur barbier. « La sélection est faite pour la télé mais pas comme le ferait un professionnel de l'investissement. Les meilleurs dossiers n'ont pas besoin de “Qui veut être mon associé ?” », remarque Alexandre Laing. « Beaucoup de projets ne sont pas compatibles avec le monde du venture au sens professionnel du terme », relève aussi Florent Ducos.

Malgré ses biais, l'émission a le mérite de démocratiser le capital-risque. Pour Mathilde Iclanzan, directrice générale de WiSeed, plateforme de financement participatif spécialisée dans les entreprises à fort potentiel d’innovation et de rupture, qui s'y intéresse pour « suivre les tendances d'investissement », c'est même « un programme qui permet de faire vivre l'écosystème. S'il peut donner le goût de l'entrepreneuriat et de l'investissement, c'est fantastique », s'enthousiasme-t-elle. Elle regrette cependant « beaucoup d’affect là où le métier de l’equity repose plutôt sur des éléments tangibles. Cela peut donner l’impression qu’on est uniquement sur du coup de cœur. »

"Ça ne rentre pas dans notre analyse"

Loin des plateaux télé, le pitch se fait beaucoup plus complet. Et le passage dans le programme de M6 ne doit pas en être un élément central. Pour Karine Brana, responsable du développement des fonds 50 Partners, « c'est un input parmi d'autres, ça ne rentre pas spécialement dans notre analyse ». « Ce n'est pas parce que la boîte est passée dans l'émission que c'est un gage de succès », résume Alexandre Laing.

Ce qui compte, c'est plutôt ce que les entrepreneurs vont présenter de cette mise en avant. « En bons investisseurs, on leur demande quel a été l'impact observé post diffusion », appuie Laurent Foiry, cofondateur et managing partner de Spring Invest, fonds d'investissement qui s'intéresse à la transformation du commerce.

"Qui veut être mon associé" est un "accélérateur de visibilité"

Après un passage dans l'émission, les startups peuvent en effet voir leurs ventes s'envoler. L'agence de voyage responsable Explora Project a participé à la deuxième saison et, l'année suivante, à “Qui veut être mon associé ? La suite”, pour raconter aux téléspectateurs ce qu'elle était devenue. « A chaque fois, c'était des pics de trafic monumentaux sur le site. Lors de notre premier passage, début 2022, c'était quasiment 400.000 sessions sur le site en l'espace de dix minutes », se souvient Stanislas Gruau, cofondateur et CEO. « C'est un accélérateur de visibilité. »

Quelques mois plus tard, Explora Project annonce une deuxième levée de fonds, de 4 millions d'euros. « Je pense que les fonds et l’écosystème valorisent énormément le fait, pour des boîtes BtoC, d'être passé dans l'émission », observe l'entrepreneur. A condition de transformer l'essai. « Il faut que ça se passe bien, il faut en être au bon stade de développement pour absorber toute la vague de connexions sur le site, de followers sur les réseaux sociaux et avoir des équipes pour les convertir… »

50 Partners et Tudigo conseillent vivement aux jeunes pousses BtoC d'y participer. Laurent Foiry, managing partner de Spring Invest, met en garde. « Il ne faut pas en tirer plus que de la visibilité. Allez-y, mais en y consacrant le temps que ça mérite, parce que vous pouvez ne pas être retenu au montage. Et ne vous reposez pas là-dessus pour obtenir un financement. » Contrairement à ce que l'émission peut laisser croire, lancer une entreprise ne rime d'ailleurs pas forcément avec levée de fonds.